1-Bolerish 13.41
2-Stop or I'll Shoot 1.05
3-Rage 3.59
4-Double 3.22
5-Tragedy 6.33
6-Déjà Vu 3.37
7-Searching for Gun 0.47
8-In Café 4.03
9-Blouse off Shoulder 3.04
10-Out of Water 4.33
11-Future 2.48
12-Déjà Vu II 5.31
13-Bolerish - Piano version 4.42
14-Altar 5.14*
15-Sexe 3.52**

*Ecrit et interprété par Elli Medeiros
Arrangé par Joseph Racaille
**Interprété par Saez
Ecrit par Damien Saez, Frank Phan
et Martin Jenkins.

Musique  composée par:

Ryuichi Sakamoto

Editeur:

ULM/La Bande Son 017 940-2

Album produit par:
Ryuichi Sakamoto

Artwork and pictures (c) 2002 Warner Bros. Pictures. All rights reserved.

Note: ***1/2
FEMME FATALE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Ryuichi Sakamoto
Avec « Femme Fatale », le cinéaste Brian De Palma revient à son genre de prédilection le thriller à suspense, avec comme toile de fond la ville de Paris - le réalisateur a toujours beaucoup apprécié la France et souhaitait y tourner un film depuis longtemps. Après l’échec cuisant du très sous-estimé « Mission To Mars » en 2000, De Palma souhaitait donc revenir aux sources de son art en nous offrant un thriller diabolique et manipulateur dans la lignée de « Snake Eyes », sauf que cette fois-ci, le rôle principal est confié à la très sexy Rebecca Romjin, qui campe ici le rôle d’une femme ténébreuse et vénale, dans la lignée des grandes femmes fatales qui peuplent les films noirs et les polars hollywoodiens des années 40 et 50 (on pense bien évidemment à Rita Hayworth ou Lana Turner par exemple). Fidèle à son style pour des intrigues psychologiques complexes et torturées, et à une mise en scène qui doit décidément beaucoup à Alfred Hitchcock, Brian De Palma décrit avec brio dans « Femme Fatale » les péripéties agitées de Laura Ash (Rebecca Romijn). Tout commence lors d’un audacieux hold-up en plein milieu du festival de Cannes. Laura en profite alors pour doubler ses complices et s’enfuit avec le précieux butin. Poursuivie jusqu’à Paris, Laura change alors d’identité en empruntant celle de son sosie parfait, Lily, une jeune veuve sur le point de se suicider. Pendant son trajet en avion qui la conduit à New-York, Laura séduit l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Bruce Hewitt Watts (Peter Coyote). Ils se marient et ont des enfants. Sept ans plus tard, Laura réapparaît sur une couverture d’un magazine people. C’est alors que ses anciens complices la reconnaissent et décident de la pister afin de retrouver la traîtresse en France pour se venger et récupérer le butin qu’elle leur a dérobé il y a sept ans à Cannes. La photo publiée par le paparazzi Nicolas Bardo (Antonio Banderas) relance ainsi l’engrenage infernal dans lequel se retrouve à nouveau embarquée Laura/Lily et le journaliste lui-même. Intrigué par la jeune femme, Nicolas commence à la suivre et va très vite découvrir que le danger est omniprésent autour d’elle et qu’il risque lui-même de mettre sa propre vie en danger s’il s’intéresse d’un peu trop près à son histoire - alors même que ses anciens complices l’ont enfin retrouvé à Paris et son prêts à tout pour lui faire la peau.

Avec un scénario machiavélique et un suspense intense, « Femme Fatale » est une nouvelle grande démonstration de tout le savoir-faire de Brian De Palma. Magnifiant les décors parisiens comme peu de réalisateurs américains l’ont fait avant lui (on pourrait peut être penser à Roman Polanski dans le thriller « Frantic »), De Palma nous livre ici un récit torturé et alambiqué sur le thème de la femme fatale - brillamment interprétée ici par la magnifique et sensuelle Rebecca Romijn - du changement d’identité et de la schizophrénie, des thèmes chers au cinéaste américain (on pense par exemple au film « Raising Cain » avec John Lithgow). La nouveauté ici, hormis les décors parisiens, vient surtout de la présence d’un érotisme provocateur et inattendu pour la longue introduction du film lors du hold-up au Festival de Cannes, sans aucun doute un pur moment d’anthologie cinématographique et un pur délice pour tous les cinéphiles et amoureux du septième art. Ces 15 premières minutes anthologiques mettent ainsi en scène Rebecca Romijn dans un incroyable jeu de séduction érotique lesbien avec une invitée du Festival, dans le but de lui dérober ses bijoux. Cette séquence est certainement le fruit des fantasmes personnels du cinéaste américain (certaines critiques ont qualifié cette introduction d’étalage de « mauvais goût »), mais qu’importe, c’est un pur moment de cinéma d’une virtuosité inouïe, tout simplement - à l’instar du non moins inoubliable introït du film « Mission : Impossible », ou le plan-séquence introductif du très sous-estimé « Snake Eyes ». Fidèle à ses propres codes et à son sens aigu du suspense, Brian De Palma nous offre donc un thriller certes référentiel et même autoréférentiel, mais néanmoins diabolique et suffisamment manipulateur pour nous maintenir en haleine jusqu’au bout. Alors ce n’est certes pas le meilleur film du réalisateur, mais cela n’en demeure pas moins un très grand film à suspense, Hitchcockien en diable, malin et efficace à souhait !

Après avoir écrit la musique du film « Snake Eyes » en 1998, le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto retrouve donc Brian De Palma pour la seconde fois sur « Femme Fatale », pour lequel le musicien nippon nous livre une nouvelle grande partition orchestrale teintée de mystères et de suspense. Dès le début du film, la musique crée, comme souvent chez De Palma, une tension extrêmement prenante avec une utilisation remarquable de la musique au cours des 15 premières minutes anthologiques du film. Ainsi, Sakamoto accompagne l’intégralité de la séquence du hold-up lors du Festival de Cannes avec « Bolerish », pour lequel le compositeur pastiche le célébrissime « Boléro » de Maurice Ravel, dont l’ostinato rythmique entêtant et la mélodie qui passe d’un instrument à un autre vient apporter ici une énergie et une ambiance incroyable à cette longue séquence introductive. Certes, on pourra toujours reprocher au compositeur le côté facile et sans grande originalité du pastiche de Ravel (n’aurait-il pas été préférable d’utiliser le morceau original directement, plutôt que d’en faire une copie ?), mais « Bolerish » apporte néanmoins une tension appréciable à cette scène, délaissant complètement toute forme de dissonance pour créer une sorte de ballet sensuel et entêtant, une sorte de long crescendo orchestral quasi orgasmique, à l’image de la scène érotique entre Laura et la star cannoise, un premier grand moment dans la partition musicale de « Femme Fatale », pour une entrée en matière déjà assez célèbre dans son genre et unique au film de Brian De Palma !

Dans « Stop or I’ll Shoot », la musique devient subitement plus sombre et oppressante, avec l’utilisation de cordes dissonantes et de nappes synthétiques sinistres et menaçantes. Ryuichi Sakamoto verse ici dans l’abstraction pure avec ses textures sonores dissonantes parsemées de quelques roulements de timbales agressives. Dans « Rage », le compositeur japonais poursuit son exploration de sonorités électroniques sur fond de bongos, loops électro et cordes sombres qui rappellent le suspense et la tension de la partition de « Snake Eyes ». Sakamoto reste donc fidèle à lui-même ici, même si, à l’inverse de « Snake Eyes », ce sont ici les synthétiseurs qui dominent avant tout pour retranscrire à l’écran le sentiment d’oppression et de danger - avec des orchestrations très soignées là aussi héritées de « Snake Eyes », notamment dans la façon dont le compositeur utilise les cordes et le xylophone. Sa musique apporte une tension assez intense au film, tout en rappelant l’idée que Laura n’est jamais réellement tiré d’affaire, et que le danger pèse continuellement sur elle. La musique devient ensuite plus lyrique et résignée dans « Double », où les cordes dominent et développent une mélodie plus plaintive et mélancolique, avec une partie finale plus ambiguë rappelant clairement Bernard Herrmann (une référence assez récurrente dans les musiques des films de Brian De Palma). Dans « Tragedy », Ryuichi Sakamoto développe une atmosphère plus intime, emprunte d’un lyrisme tragique poignant aux cordes, le tout soutenu par un classicisme d’écriture qui rappellerait presque Ravel ici aussi (notamment dans les harmonies rappelant celles de l’impressionnisme français). Comme pour « Double », Sakamoto évoque l’idée du changement d’identité et de la schizophrénie en créant une certaine ambigüité dans ses harmonies plus hésitantes des cordes, rappelant clairement ici le « Basic Instinct » de Jerry Goldsmith (une autre évocation musicale assez exceptionnelle d’une femme fatale !). Entre lyrisme et hésitation, « Tragedy » apporte un éclairage psychologique adéquat au personnage de Rebecca Romijn et crée une ambiance assez particulière aux images - grâce au savoir-faire du compositeur nippon - oscillant entre sensualité troublante, attirance et ambigüité, l’évocation musicale parfaite de la femme fatale.

Le suspense revient dans « Déjà Vu » avec ses nappes synthétiques obscures, ses notes de piano lointaines et ses cordes latentes et ambigües. Ici aussi, l’ambiance est complètement incertaine, quelques harmonies de cordes contrapuntiques et torturées clairement empruntées au 1er mouvement de la « Musique pour cordes, percussions et célesta » de Béla Bartók (un compositeur qui avait déjà quelque peu inspiré Sakamoto dans quelques mesures de sa partition pour « Snake Eyes »). Si les références à Bartók sont ici assez évidentes pour ceux qui connaissent bien l’oeuvre d’origine du compositeur hongrois, on ne pourra néanmoins qu’apprécier la densité et les qualités de l’écriture orchestrale de Sakamoto, qui conserve une approche à la fois contrapuntique et harmonique pour mieux refléter les tourments de Laura/Lily dans le film. On retrouve cette même atmosphère hésitante et psychologique dans « In Café » avec ses bois descendants et ses cordes envoûtantes pour la scène où Nicolas Bardo prend Laura/Lily en filature dans les rues de Paris. Sakamoto suggère clairement ici l’attirance du personnage d’Antonio Banderas pour la désirable et inaccessible Laura/Lily. On retrouve d’ailleurs ce sentiment dans le mystérieux et envoûtant « Blouse Off Shoulder », soutenu par des synthétiseurs atmosphériques new-age étranges, et un très beau mélange entre violon et piano. On retrouve cette forme de sensualité sombre et dangereuse dans « Out of Water » avec des cordes lentes et un suspense omniprésent pour la scène du pont vers la fin du film - traversé de quelques très bons passages d’action typiques du compositeur.

On retrouve le lyrisme poignant de « Tragedy » dans « Future » où les cordes dominent avec un classicisme d’écriture raffiné et émouvant, une émotion que l’on retrouve dans le dramatique « Déjà Vu II » qui reprend ses harmonies de cordes Bartokiennes pour renforcer le sentiment troublant de déjà-vu vers la fin du film, illustrant parfaitement la scène de l’affrontement final avec les deux anciens complices de Laura, superbe climax de tension conclusif avant le générique de fin. A noter que Ryuichi Sakamoto nous offre une dernière reprise de son pastiche du « Boléro » de Ravel dans « Bolerish (piano version) » où il arrange sa mélodie entêtante pour un piano solo. L’album nous propose pour finir la chanson « Altar » d’Elli Medeiros et l’atroce « Sexe » de Damien Saez, une faute de goût monstrueuse et insupportable pour un titre qui n’a visiblement sa place ici. Bilan plus que positif donc pour cette nouvelle grande partition symphonique/électronique de Ryuichi Sakamoto. Le compositeur apporte au film de Brian De Palma un suspense et une atmosphère à la fois sensuelle et dangereuse pour cette histoire de femme fatale, une musique tour à tour sombre, belle, lyrique et ambiguë, une réussite dans son genre, bien que les influences musicales du compositeur sont parfois ici beaucoup trop flagrantes (Ravel certes, mais aussi Bartók, Herrmann et Goldsmith) et que la partition manque d’un vrai thème mémorable, en dehors de quelques phrases mélodiques dans « Tragedy » ou « Déjà Vu ». On aurait ainsi aimé entendre le compositeur développer davantage son thème Ravelien de « Bolerish », un thème qu’il abandonne finalement en cours de route et qu’il ne reprendra que pour les besoins de l’album dans une version pour piano. Voilà donc un très bon score à suspense sombre et envoûtant, à conseiller aux fans du compositeur nippon et à ceux qui ont apprécié son travail sur « Snake Eyes » !



---Quentin Billard