1-Angel of Love 4.21*
2-Alone, But At Ease 4.39**
3-Mima's Theme 5.48
4-Nightmare 5.22
5-Virtual Mima 4.53
6-Uchida's Theme 4.20
7-Cherish These Moments 5.10***
8-Akumu (Kaminari Version) 5.56
9-Ba-cha Mima (Voice) 4.42
10-Season 3.40+

*Interprété par Misa,
Emiko Furukawa et Mie Shimizu
Paroles de Kito Imai
Musique de Masahiro Ikumi
**Interprété par Emiko Furukawa
et Mie Shimizu
Paroles de Sumiyo Mutsumi
Musique de Makoto Mitsui
***Interprété par Misa
Ecrit par This Time
+Interprété par M-Voice
Paroles de Masato Odake
Musique de Pipeline Project.

Musique  composée par:

Masahiro Ikumi

Editeur:

Pony Canyon PCCR-95001

Album produit par:
Masahiro Ikumi

Artwork and pictures (c) 1998 Mad House/Rex Entertainment. All rights reserved.

Note: ****
PERFECT BLUE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Masahiro Ikumi
Chef-d’oeuvre incontournable de l’animation japonaise, « Perfect Blue » reste à ce jour le film culte par excellence du regretté Satoshi Kon (malheureusement décédé le 24 août 2010 à l’âge de 46 ans). Dès sa sortie au cinéma en 1997, « Perfect Blue » fit l’effet d’une bombe dans le monde de l’animation nippone, révolutionnant le genre en faisant entrer ce type de cinéma souvent très prisé d’ordinaire par les jeunes et les adolescents dans une nouvelle ère de maturité, preuve que l’animation japonaise peut aussi s’adresser aux adultes quand elle s’en donner les moyens. Satoshi Kon se formera tout au long des années 90 en travaillant sur différents projets pour lesquels il endossera des rôles différents : concepteurs des décors sur « Roujin Z » et sur le segment « Magnetic Rose » de Katsuhiro Otomo pour le film omnibus « Memories », animateur sur « Patlabor 2 » de Mamoru Oshii, etc. C’est en 1997 que Satoshi Kon (alors complètement inconnu du public) décidera de passer à la réalisation en adaptant à l’écran le roman « Perfect Blue » de Yoshikazu Takeuchi, qui met en scène une jeune idole de j-pop aux prises avec un fan machiavélique. L’histoire suit donc les péripéties de la jeune Mima Kirigoe, une chanteuse de j-pop qui décide de quitter un jour les Cham, son groupe de pourtant très populaire auprès de la jeunesse japonaise. La chanteuse décide de se lancer dans une carrière d’actrice à la télévision et au cinéma. Elle accepte alors un petit rôle dans une série télévisée, mais ce changement dans sa carrière déclenche la colère d’un de ses fans, qui commence à la harceler en dévoilant des éléments intimes de sa vie privée sur un site internet. Le mystérieux persécuteur décide alors de s’en prendre à des proches de la chanteuse. Confondant petit à petit la réalité avec ses rêves, Mima plonge dans la paranoïa et la schizophrénie avancée, de plus en plus incapable de faire la distinction entre le réel et le fictif.

« Perfect Blue » aborde un sujet rarement traité dans le cinéma d’animation japonais, le phénomène otaku, celui des fans hard-core prêts à tout pour posséder quelque chose de leur idole et sacrifier toute leur vie au profit de leur passion, un phénomène inquiétant et pourtant bien réel au Japon (et pas seulement). Satoshi Kon en profite pour égratigner au passage la société de consommation et l’identification aux icones de la mode, un phénomène qui peut s’avérer dangereux et constituer un véritable problème de société, lorsqu’il est poussé à son paroxysme. Dans une société qui privilégie de plus en plus le paraître à l’être, que serait prêt à faire le fan absolu d’une idole de la pop music ? C’est la question assez sensible qu’aborde le film de Satoshi Kon, avec une maturité extraordinaire rarement vue dans le monde de l’animation japonaise. Construit à la manière d’un thriller psychologique digne des plus grands films d’Alfred Hitchcock, le film nous perd progressivement dans les méandres de l’esprit torturé de sa jeune héroïne, brouillant progressivement les pistes en manipulant le spectateur avec génie (Kon joue sur les différents niveaux de lecture entre les scènes de tournage auxquelles participe Mima et qui brouillent la perception des scènes réelles), alors que l’on assiste à la lente descente aux enfers d’une jeune fille sombrant petit à petit dans le cinéma pornographique et la schizophrénie la plus totale. « Perfect Blue » doit autant à son suspense psychologique fort qu’à son atmosphère glauque et oppressante extrêmement maîtrisée (avec un zest d’érotisme et de violence), l’oeuvre d’un grand maître qui détourne les conventions du film animé japonais pour en faire un véritable thriller glacial digne des plus grands maîtres du suspense (Alfred Hitchcock certes, mais aussi Brian De Palma, David Fincher, etc.) : un film culte de l’animation japonaise, tout simplement incontournable !

La partition musicale étrange et expérimentale de Masahiro Ikumi contribue grandement à son tour à renforcer l’atmosphère psychologique oppressante et troublante du film de Satoshi Kon. Dès le début du film, la musique de Masahiro Ikumi s’avère être toute aussi singulière et radicale que le long-métrage animé qu’elle accompagne brillamment tout le long de l’histoire. L’album nous présente ici trois chansons techno-dance japonaises interprétées dans le film par les chanteuses du groupe Cham auquel appartient encore Mima au début du film. Les fans de ce type de musique un brin datée se régaleront donc avec la chanson-clé du film, « Angel of Love » (qui risquent de faire grincer des dents ceux qui sont allergiques au style de la j-pop traditionnelle), sans oublier un « Alone But At Ease » plus accessible, interprété dans le film par le reste du groupe Cham après le départ de Mima, ainsi que le sympathique « Season », et la ballade romantique « Cherish These Moments » avec guitare et piano, interprétée par la voix délicate de Junko Iwao. Les chansons sont là pour planter le décor et rappeler les activités musicales de l’héroïne et de ses anciennes compagnes de son groupe de j-pop. Rien de bien surprenant donc, mais attendez donc d’écouter la suite, car la musique dévoile très rapidement une toute autre facette à travers le score expérimental et dérangeant de Masahiro Ikumi. Le jeune Mima a droit à son propre thème avec l’étrange « Mima’s Theme », morceau mystérieux et inquiétant confié à des synthétiseurs atmosphériques et totalement expérimentaux. Le compositeur nippon joue ici sur ses différentes sonorités et nous livre une composition purement atonale et expérimentale, à base de nappes synthétiques et autres textures électroniques sonores glaciales et difformes, renforçant le malaise et le suspense psychologique du film. On appréciera d’ailleurs le caractère ultra répétitif et envoûtant des sonorités synthétiques froides du « Mima’s Theme », là où l’on se serait attendu au contraire à une mélodie plus conventionnelle.

Masahiro Ikumi s’éloigne donc des conventions musicales habituelles et privilégie une musique plus radicale et étonnante dans son traitement, brouillant les pistes comme le fait lui-même le réalisateur dans le scénario diabolique de son film. Seul le piano vient rappeler l’âme de la jeune héroïne dans « Mima’s Theme », tandis que les synthétiseurs créent ici une atmosphère totalement surréaliste et troublante, évoquant la descente aux enfers de Mima et la folie qui semble la guetter à chaque instant. On retrouve une atmosphère encore plus étrange et extrême dans l’obscur « Nightmare », où le compositeur mélange différentes sonorités industrielles et électroniques pour créer une sorte de magma sonore difforme et chaotique absolument saisissant à l’écran. A noter ici l’utilisation de voix masculines déformées au début du morceau, qui renforcent le caractère étrange et totalement abstrait de ce sinistre « Nightmare ». Le score de « Perfect Blue » semble même annoncer par moment le style de la future partition musicale qu’écrira le compositeur japonais Akira Yamaoka deux ans plus tard pour le jeu vidéo à succès « Silent Hill » (1999). Ici aussi, Ikumi joue sur le côté répétitif et torturé de ses différentes sonorités, n’hésitant pas à convoquer les sons industriels comme les voix déformées pour mieux retranscrire à l’écran le sentiment de folie et de schizophrénie qui s’empare progressivement de la jeune Mima. Difficile de ne pas réagir quand on écoute un morceau aussi extrême que « Nightmare » dans le film (comme sur l’album, qui constitue une véritable expérience musicale à part entière !). Mais la partition de « Perfect Blue » vaut surtout pour l’excellent « Virtual Mima », sans aucun doute le morceau-clé de la musique du film de Satoshi Kon : pendant près de 5 minutes, Masahiro Ikumi développe ici aussi une atmosphère étrange et envoûtante à l’aide de vocalises féminines déformées qui semblent tourner mystérieusement en boucle, sur fond de sonorités évoquant la musique traditionnelle japonaise. Dans le film, le morceau revient à plusieurs reprises pour évoquer les tourments de Mima et son incapacité grandissante à faire la différence entre la réalité et la fiction. L’atmosphère surréaliste et envoûtante de « Virtual Mima » contribue grandement à renforcer l’atmosphère étrange et troublante du film de Satoshi Kon, un morceau captivant et hypnotisant, qui reste aussi particulièrement dérangeant à force d’être répété tout au long du film avec une obstination rare - et ces choeurs féminins étranges qui tournent mystérieusement en boucle jusqu’à satiété.

Ikumi poursuit son exploration de sonorités industrielles et expérimentales dans le très étrange « Uchida’s Theme », où des voix masculines sont enregistrées et mixées de façon lointaine, dans une atmosphère suffocante à la fois cauchemardesque, torturée et surréaliste, sur fond de rythmes technoïdes agressifs. Le suspense devient alors plus intense avec l’angoissant « Akumu (Kaminari Version) » qui reprend les sonorités industrielles torturées de « Nightmare », alors que le fan se rapproche progressivement de Mima et que les meurtres se multiplient autour d’elle. La plupart des morceaux du score sont suffisamment longs pour permettre au compositeur de développer pleinement son travail d’atmosphère expérimentale, apportant ainsi une ambiance assez unique et radicale au film de Satoshi Kon. Vous l’aurez donc compris, « Perfect Blue » est une partition extrêmement étonnante, déroutante et troublante, une véritable expérience musicale refusant toute convention pour élaborer une atmosphère musicale assez unique en soi, dans un style qui n’est pas sans rappeler les expériences de Shoji Yamashiro sur un autre film culte de l’animation japonaise, « Akira » (1989). Même si la musique de « Perfect Blue » s’avère être très difficile d’accès et quasi inécoutable pour la plupart des mélomanes, la musique de Masahiro Ikumi possède une véritable richesse et nous propose avec une inventivité rare tout un travail assez abstrait autour de sonorités synthétiques/technoïdes/vocales extrêmement intéressant, renforçant l’atmosphère cauchemardesque et troublante du film de Satoshi Kon, une musique qui respire la folie et les tourments de l’âme humaine, un style expérimental et radical peu présent dans le cinéma d’animation japonais mais qui atteint ici, avec « Perfect Blue », des sommets du genre. Amateurs de musiques expérimentales étranges et anti-conventionnelles, cette oeuvre est réellement faite pour vous !




---Quentin Billard