1-Outrage 2.16
2-Titan and Mariner 3.23
3-High-class Nightclub 1.41
4-High-class Nightclub Again 1.13
5-At the Dentist 1.21
6-Cars and Pursuers 2.05
7-Watching the Pusher 2.23
8-Gbanan Independence
Celebration Party 1.12
9-Casino#1 2.04
10-Casino#2 2.11
11-Dead Men Sauna 1.32
12-Casino#3 2.32
13-Run Mobsters Run 2.05
14-His Last Resting Place 4.05
15-Outrage (Finale) 5.35
16-M-0 Outtake PostMIX 2.09
17-Outrage 1st Take PostMIX 3.35
18-Outrage 2nd Take PostMIX 2.23
19-Titan and Mariner Demo 3.13
20-High-class Nightclub
1st Take 1.44
21-High-class Nightclub
Again 1st Take 1.18
22-High-class Nightclub
Again 2nd Take 1.13
23-Gbanan Independence
Celebration Party Demo 1.20
24-In Front of Noodle Restaurant
Outtake PostMIX 2.43
25-Run Mobsters Run
Outtake PostMIX 4.23
26-The Rustic Place
Outtake PostMIX 3.24
27-Outrage (Finale) Remix 5.47

Musique  composée par:

Keiichi Suzuki

Editeur:

Dream Music MUCD-1229

Album produit par:
Keiichi Suzuki

2010 (c) Office Kitano. All rights reserved.

Note: ***
AUTOREIJI
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Keiichi Suzuki
Après « Zatoichi » sorti en 2003, la carrière de cinéaste de Takeshi Kitano semblait entreprendre une chute vertigineuse dans l’anecdotique et l’essoufflement. Avec les sympathiques mais dispensables « Takeshi’s » et « Kantoku Banzai ! », Kitano retourna au registre de la comédie mais sans grand brio ni génie particulier – malgré une réflexion introspective originale sur la condition d’artiste du cinéaste japonais. Dans « Akiresu to kame » (Achille et la tortue), Kitano sembla déjà plus inspiré, même si le film ne s’est guère fait remarquer et reste encore bien en dessous de la qualité de certains de ses grands titres des années 90. C’est pourquoi le cinéaste nippon décida de revenir dans « Autoreiji » (Outrage) à un genre qui fit sa gloire à la fin des années 80 : le film de yakuza. Rappelons d’ailleurs qu’en 1989, « Beat » Takeshi, connu surtout comme comique et animateur à la télévision japonaise, fut révélé au public en tant que réalisateur dans « Violent Cop », polar inspiré des films de gangster de Kinji Fukasaku, qui restera d’ailleurs l’une des influences majeures du cinéaste tout au long de sa série de polars à succès (« Sonatine », « Hana-Bi », « Brother », etc.). Dans le très attendu « Autoreiji » sorti en 2010, Kitano suscita à nouveau l’engouement des cinéphiles lorsqu’il fut annoncé officiellement que le cinéaste renouait enfin avec son genre de prédilection, qu’il n’avait plus abordé depuis au moins 10 ans. « Autoreiji » se propose ainsi de plonger à nouveau dans le monde très clos et quasi claustrophobique des yakuzas japonais, transposé dans une société japonaise moderne et résolument contemporaine. On y suit ainsi les péripéties de plusieurs clans yakuzas qui se disputent ainsi le pouvoir, autour de leurs parrains respectifs. Otomo (Kitano), un vieux yakuza de la ‘vieille école’, assiste tout autour de lui à l’évolution de la profession de yakuza, qui entre désormais dans la société moderne du 21ème siècle : ainsi donc, les règles qui étaient valables autrefois ont été rapidement balayées d’un coup de balais par une nouvelle génération de yakuzas plus jeunes qui cherchent avant tout à accéder aux pouvoirs et à la fortune, et ce par tous les moyens. C’est ainsi que le film de Kitano évoque un monde de trahisons, de complots et de manipulations sans fin, chacun se renvoyant la balle jusqu’à un final cataclysmique et sanguinaire où se mêleront vengeance, corruption et règlements de compte. Chacun pourra y trouver son compte au final, que ce soit les gangsters véreux, les policiers corrompus ou même le pauvre ambassadeur africain qui a bien du mal à se tirer d’une mauvaise situation dans le film. « Autoreiji » reprend donc les formules habituelles des films de yakuzas du réalisateur pour mieux les annihiler, déconstruisant puis reconstruisant une trame complexe, ambiguë et sans fin. Suivant une logique déjà établie dans des films tels que « Sonatine » ou « Brother », Kitano élabore une atmosphère intense de manipulation et de trahisons où les anciens codes d’honneur des yakuzas semblent avoir cédés leur place à la corruption et à l’avidité du pouvoir.

Plus encore, on y retrouve ici un thème cher au réalisateur : l’omniprésence de la violence dans la société contemporaine et la lutte pour le pouvoir. En ce sens, « Autoreiji » est une sorte de « Brother » version 2010, mais avec un scénario plus déconstruit et moins attendu : hélas, le film de Kitano s’avère être plus laborieux d’un point de vue scénaristique : l’histoire est parfois assez brouillonne et confuse, les personnages secondaires sont trop nombreux et se ressemblent pour la plupart, à tel point qu’on finit par ne plus se souvenir qui est qui. Le fait même que Kitano ait choisi de faire appel à de nouveaux acteurs plutôt que ses interprètes fétiches confirme clairement les ambitions du cinéaste sur ce nouveau long-métrage. A vrai dire, Kitano semble animé ici d’une véritable volonté de casser les codes du genre qu’il a lui même mis en place dans ses anciens films de yakuzas tout au long de ces 20 dernières années, en montrant des gangsters modernes entrés dans l’ère de la finance – on n’est guère loin par moment des films de gangster américains de Martin Scorsese. La mise en scène de Kitano reste assez personnel bien que moins aboutie que dans ses anciens films, et pour cause : celui qui nous a habitué autrefois à des héros muets et taciturnes nous livre dans ce film un personnage principal extrêmement bavard et nerveux, l’exact opposé de l’archétype même du yakuza façon Kitano. Exit aussi l’aspect contemplatif habituel et les fameux plans intérieurs des coffres de voiture, place au nouveau Kitano de l’année 2010, plus nerveux et rythmé (le film n’est malheureusement pas dénué de longueurs), mais toujours aussi violent et féroce. Comme dans « Brother » ou « Hana-Bi », « Autoreiji » s’avère être extrêmement visuel et extrême dans sa description parfois crue des scènes de violence, et comme toujours chez le cinéaste, nulle volonté ici d’édulcorer ou d’atténuer la violence : comme toujours chez Kitano, cette histoire de yakuzas et de trahisons est parsemée d’explosions de violence qui font vraiment mal et qui montre la violence de manière la plus réaliste (et la plus éprouvante) possible, parfois même à la limite du gore. On a d’ailleurs beaucoup reproché au cinéaste nippon d’avoir un peu trop accentué cette violence dans ce nouveau film, au profit d’un scénario plus décevant et aussi plus brouillon et confus. Au final, si « Autoreiji » n’est malheureusement pas le nouveau grand chef-d’oeuvre de Takeshi Kitano ni même son meilleur film du genre, il n’en demeure pas moins suffisamment réussi pour permettre de réconcilier le public avec le cinéaste japonais.

Malheureusement, ce n’est pas encore avec « Autoreiji » que l’on pourra espérer retrouver le duo de choc Takeshi Kitano/Joe Hisaishi sur la musique du film, les deux compères s’étant officiellement brouillés en 2001 sur « Dolls ». Depuis, Kitano a manifesté une volonté évidente d’atténuer le plus possible la musique de ses films, quitte à n’utiliser que quelques éléments sonores ou rythmiques restreints et ultra minimalistes (c’est le cas dans la bande originale du film « Takeshi’s » par exemple). Le réalisateur a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises ne plus vouloir réentendre la musique de ses films utilisés à toutes les sauces dans les médias et à la télévision, ce qui fut effectivement le cas à l’époque des musiques de Joe Hisaishi pour des films tels que « Kikujio no natsu » sorti en 1999 – et dont le fameux thème principal tourna effectivement en boucle à la télévision japonaise pendant très longtemps. Suivant cette logique d’épuration extrême de ses musiques, Kitano n’a cessé de décevoir quand au contenu des bandes originales de ses derniers films, et ce depuis l’arrivée du compositeur japonais Keiichi Suzuki sur « Zatoichi » en 2003. On pourra néanmoins apprécier les quelques modestes efforts de Yuki Kajiura sur « Akiresu to kame », même si cela reste bien en dessous de ce que faisait Joe Hisaishi sur les anciens films du réalisateur – et qui faisait aussi toute la magie de certains de ses plus grands films. Takeshi Kitano retrouve donc Keiichi Suzuki 7 ans après « Zatoichi ». Le compositeur est connu à l’origine pour ses quelques musiques de jeux vidéo, et plus particulièrement sur le jeu « EarthBound » sorti sur Super Nintendo au milieu des années 90. Pour le cinéma, en dehors de « Zatoichi », Suzuki a aussi écrit la musique de films japonais tels que « Tokyo Godfathers » de Satoshi Kon (2003) ou « Chicken Heart » d’Hiroshi Shimizu (2002). Pour « Autoreiji », le compositeur nippon fait appel à un ensemble de sonorités électroniques/techno modernes pour une partition résolument contemporaine, minimaliste et atmosphérique. Kitano souhaitait ainsi une musique qui ne prenne jamais le pas sur les images, et qui soit aussi dépourvue le plus possible de tout contenu mélodique – l’opposé exact de ce que faisait Joe Hisaishi sur ses anciens films ! Dès le générique de début du film (« Outrage »), Suzuki impose le ton synthétique et atmosphérique de sa partition par le biais d’une série de textures synthétiques oscillant entre l’électro moderne et old school : les percussions synthétiques qui s’ajoutent vers le milieu de « Outrage » annoncent clairement la violence de cet univers de yakuzas et de trahisons. Les mélanges de sonorités sont très réussis bien que sans surprise particulière. A noter l'utilisation d'un violon sur la fin du morceau, tandis que le compositeur développe ici l'unique motif mélodique de sa partition, que l'on retrouvera vers la fin du film, motif répétitif associé à l'idée du mouvement perpétuel de la violence et du cercle infernal des trahisons et des conspirations.

Le reste du score évolue ainsi entre sons atmosphériques, loops rythmiques et nappes sonores pour accentuer l’atmosphère violente et agitée du film de Takeshi Kitano. Keiichi Suzuki nous offre aussi quelques morceaux de source music et d’autres non utilisés dans le film. Parmi les pièces de source music, on appréciera le jazzy « Titan and Mariner » ou les pièces pour quatuor classique de « Casino #1 » et « Casino #2 ». La tension inhérente à certaines scènes du film se retrouvent dans les sonorités étranges de « High-Class Nightclub », qui évoque une scène dans un nightclub au début du film, par le biais d’un travail intéressant sur les sons, incluant des nappes sonores inversées (une technique très utilisée dans la musique électro) et quelques notes furtives de piano. Jusqu’ici, rien de bien surprenant. Mais le parti pris musical de Keiichi Suzuki commence à se montrer réellement payant dans l’étrange « High-Class Nightclub Again », où le compositeur base l’essentiel de son morceau sur une nappe sonore crépitante et assez irritante. L’effet est intéressant à l’écran, car le morceau s’apparente davantage à une série de bruits qu’à une musique à proprement parler. En gommant volontairement la frontière (parfois floue) entre musique et bruitage, Suzuki réussit son coup et apporte à certaines scènes du film ce mélange étrange de sons déformés, grinçants et totalement abstraits, comme le rappelle l’horrifiante scène de torture chez le dentiste dans « At the Dentist ». Le morceau retranscrit toute la sauvagerie gore de la séquence par le biais d’un travail sur les pads et les fréquences de certains sons, en simulant de manière totalement expérimentale l’impression d’enregistrement raté. L’effet est osé et fonctionne parfaitement à l’écran. « Cars and Pursuers » prolonge cette approche bruitiste et expérimentale de la musique par le biais d’un « beat » répété des pads synthétiques et d’un nouveau travail intéressant autour des fréquences du son. Encore une fois, on nage ici en plein électro expérimentale, « Cars and Pursuers » accompagnant une scène de poursuites en voiture avec un loop techno parsemé de sonorités étranges et abstraites – les beats « techno » rappelant d’ailleurs le caractère urbain et moderne du film. Les effets de crépitement s’intensifient dans l’étrange « Watching the Pusher » qui oscille entre sonorités déformées et bruitages rappelant les grincements sonores d’une radio ou d’une télévision (le compositeur se sert d’ailleurs astucieusement des ces grincements pour en faire une boucle rythmique). Il règne une véritable sensation de malaise dans la musique électro expérimentale et abstraite de Keiichi Suzuki, à des années lumières du style de musique que l’on entend pourtant habituellement dans les films de Kitano. Toutes les idées du compositeur se retrouvent dans « Dead Man Sauna » qui reprend un motif de « At the Dentist », sans oublier l’intéressant et étrange « Run Mobsters Run » et ses boucles entêtantes, minimalistes et répétitives, reprises ensuite dans « His Last Resting Place » pour le final avec Otomo en prison, puis dans « Outrage (Finale) », avec le retour des percussions agressives et violentes de « Outrage » et un travail autour de sonorités de violons déformés, la boucle étant bouclée.

Keiichi Suzuki s’affranchit donc de certaines conventions musicales avec « Outrage » et nous livre une composition 100% électro qui devrait satisfaire les fans de musique synthétique expérimentale et abstraite, hors des sentiers battus. La musique s’écoute d’ailleurs aussi bien dans le film que sur l’album, où elle prend une seconde vie : c’est d’ailleurs dans cet esprit que le compositeur a écrit sa musique pour le long-métrage de Takeshi Kitano, conscient que les images violentes et froides du film nécessitaient une musique qui puisse conserver au maximum son autonomie et ‘survivre’ sans support visuel. Ce n’est donc une approche musicale conventionnelle des images, bien au contraire, et cela nous rappelle encore une fois à quel point Kitano semble désireux de tourner de plus en plus le dos au style musical très connoté de ses anciens films pour quelque chose d’encore plus sobre, de plus abstrait et de plus moderne. Les amateurs d’électro expérimental devraient donc jeter une oreille attentive à la composition atypique de Keiichi Suzuki pour « Outrage », mais attention aux autres : le score reste très abstrait et assez difficile d’accès !



---Quentin Billard