1-Prelude 2.06
2-Marnie 3.51
3-Forio 0.47
4-Red Flowers 1.05
5-Flashback I 0.35
6-The Bowl 2.02
7-The Safe 0.43
8-The Drawer 0.41
9-Mark's Office 0.41
10-The Storm 2.44
11-The Stranger 0.38
12-The Paddock 0.29
13-The Homestead 1.28
14-Romance 1.01
15-Encounter 0.39
16-The Porch 1.22
17-The Checkbook 1.18
18-The Bridal Suite 1.25
19-The Cabin 0.57
20-Love Scene 1.44
21-The Pool 2.08
22-The Homecoming 1.11
23-The Horse 0.52
24-Gratitude 1.11
25-The Nightmare 1.01
26-The Word Game 0.35
27-The Hunt 4.17
28-Forio's Fall 0.31
29-Forio's Death 0.18
30-Shock 0.39
31-The Stairs, The Key
and The Stairway 1.23
32-The Dial 0.46
33-The Money 0.47
34-The Gun 1.18
35-Departure 0.42
36-The Street 0.36
37-Flashback II 1.12
38-Blood 0.59
39-Farewell 2.28
40-Finale 0.31
41-Cast 0.22

Musique  composée par:

Bernard Herrmann

Editeur:

Varèse Sarabande VSD-6094

Produit par:
Robert Townson
Orchestre:
Royal Scottish National Orchestra
Dirigé par:
Joel McNeely

(c) 2000 Masters Film Music. All rights reserved.

Note: ****
MARNIE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Bernard Herrmann
« Marnie » (Pas de printemps pour Marnie) est le 49ème long-métrage d’Alfred Hitchcock, et probablement l’un des plus grands chef-d’oeuvres de sa filmographie des années 60. Sorti en 1964, « Marnie » est adapté du roman éponyme de l’écrivain anglais Winston Graham publié en 1961, transposé à l’écran par le scénariste Jay Presson Allen. Le film suit le parcours agité de Marnie Edgar (Tippi Hedren), une jeune femme qui vient tout juste de dérober une importante somme d’argent à son patron avant d’être engagée comme secrétaire comptable par Mark Rutland (Sean Connery), son nouvel employeur. Ce dernier est au courant du vol mais préfère ne rien dire, intrigué par l’attitude et la beauté fascinante de Marnie. Mais un jour, la jeune femme remet ça et vole l’argent de Mark avant de s’enfuir à nouveau. Mais cette fois-ci, son employeur découvre le vol à temps et la rattrape avant qu’elle ait eu le temps de fuir la ville. Alors qu’il vient tout juste de commencer à flirter avec Marnie, dont il est tombé éperdument amoureux, Mark propose à la jeune femme de choisir entre le mariage ou la police. Marnie n’a plus le choix : si elle ne veut pas finir ses jours en prison, elle doit accepter le marché de Mark. Peu de temps après avoir épousé son employeur, Marnie embarque avec Mark sur une croisière pour leur lune de miel improvisée. C’est alors que Mark découvre les phobies de sa jeune épouse : Marnie est traumatisée par la couleur rouge, les orages et déteste qu’un homme la touche. Intrigué, il va essayer d’aider la jeune femme à se souvenir de ce qui lui est arrivée lorsqu’elle était enfant, mais les nombreux mensonges de Marnie et son attitude torturée vont lui poser bien des problèmes. « Marnie » ne rencontra hélas pas son public à sa sortie en 1964. On reprocha essentiellement au film le caractère peu convaincant des effets visuels et des faux décors peints – un hommage pourtant évident à l’expressionnisme allemand – et notamment les décors du port et de l’immense navire au fond de la rue où habite la mère de Marnie dans le film. Certains critiques reprochèrent aussi une utilisation similaire de transparence et de faux décors en arrière-fond de la fameuse scène de chasse vers la fin du film, une séquence pourtant fortement symbolique, qui permettra ensuite à l’héroïne interprétée par Tippi Hedren de se souvenir enfin de ce qu’elle avait refoulé depuis sa plus tendre enfance. On retrouve dans « Marnie » la plupart des thèmes chers à Alfred Hitchcock : les phobies obsessionnelles (on pense d’emblée à « Vertigo »), les changements d’identité, les allusions à la sexualité et à l’univers de la psychanalyse – un sujet récurrent dans les films d’Hitchcock, et pour lequel le cinéaste se passionne depuis « Spellbound » en 1945.

A l’instar de ce long-métrage, l’intrigue de « Marnie » repose essentiellement sur la recherche des origines de la phobie, sauf qu’ici, le couple incarné à l’écran par Tippi Hedren et Sean Connery est à des années lumières du couple idyllique qu’interprètent dans « Spellbound » Ingrid Bergman et Gregory Peck. Dès lors, Hitchcock confère à « Marnie » une atmosphère de suspense psychologique saisissante, servie par une maîtrise absolue de la mise en scène (la couleur rouge qui envahit l’écran lorsque Marnie est prise d’angoisse soudaine, les mouvements de la caméra en vue subjective lors des crises phobiques, etc.). L’interprétation ahurissante de Tippi Hedren est encore une fois la preuve incontestable qu’Alfred Hitchcock savait diriger ses acteurs comme personne d’autre. Quand au choix de Sean Connery pour le rôle de Mark Rutland, il paraissait assez étonnant en 1964, l’acteur écossais s’éloignant quelque peu du style habituel des héros masculins d’Hitchcock, en imposant un mélange plus personnel (et moderne) de charme et de charisme viril et un peu sec. Rappelons qu’en 1964, Sean Connery venait tout juste de percer au cinéma dans le rôle de James Bond en 1962, et qu’il semblait peu adapté pour l’univers d’Alfred Hitchcock. Qu’à cela ne tienne, le cinéaste offrit à l’acteur un nouveau rôle à sa juste valeur, à la fois intense et ambigu. Cette ambiguïté du personnage de Mark Rutland reste de loin l’un des éléments les plus étonnants du film d’Hitchcock, et peut être même le plus osé de tous : comment le public pouvait-il s’identifier à un personnage qui séduit une jeune femme et la soumet à un odieux chantage afin de la forcer à l’épouser, pour ensuite aller jusqu’à la violer lors de la scène de la lune de miel sur le bateau (probablement la séquence la plus osée et la plus audacieuse de toute la carrière d’Hitchcock, et qui a d’ailleurs été sévèrement censurée par la suite !). L’idée de cette scène de viol fut si choquante à l’époque que le scénariste d’origine de « Marnie » se brouilla avec le réalisateur et quitta le projet , mais pour Hitchcock, cette scène-clé, toute aussi choquante soit-elle, était nécessaire à la compréhension de l’intrigue et du personnage de Mark Rutland : il s’agit d’un amour impossible uniquement motivé par une pulsion fétichiste, un besoin irréfrénable que Mark ressent à posséder Marnie, qui s’avère être une voleuse incapable de contrôler ses propres pulsions cleptomanes. Dans un sens, le malaise et les troubles psychologiques de Marnie se reflètent alors dans les obsessions de Mark. A ce sujet, la scène où la jeune femme joue avec sarcasme au jeu de la psychanalyse avec Mark (qu’elle appelle alors ironiquement « Freud ») est lourde de sens, car elle résume à la fois toute l’intrigue du film et la profondeur psychologique des deux personnages principaux. Ainsi donc, « Marnie » reste une incroyable réussite, un thriller psychologique et dramatique d’une intensité remarquable, un pur chef-d’oeuvre d’Alfred Hitchcock, d’une modernité audacieuse pour l’époque !

Comme dans la plupart de ses films, Alfred Hitchcock souhaitait que la musique occupe une place majeure dans « Marnie ». Confiée à Bernard Herrmann – qui retrouva à nouveau le cinéaste après « The Trouble with Harry » (1955), « The Wrong Man » (1956), « The Man Who Knew Too Much » (1956), « Vertigo » (1958), « North by Northwest » (1959) et « Psycho » (1960), sans oublier la maigre participation d’Herrmann à « The Birds » en 1963, pour lequel le compositeur ne livrera pas une musique à proprement parler mais plutôt un assemblage de sons synthétiques assez expérimentaux. Pour sa huitième collaboration à un film d’Hitchcock, Bernard Herrmann livre une partition symphonique à la fois romantique, psychologique et tourmentée pour « Marnie », d’une intensité remarquable, et que l’on a très vite comparé au travail du compositeur sur l’incontournable « Vertigo », que beaucoup considèrent d’ailleurs comme le sommet absolu de la collaboration Herrmann/Hitchcock – signalons d’ailleurs qu’Herrmann composa « Marnie » à une époque difficile dans sa vie personnelle, puisque le compositeur était sur le point d’affronter un divorce difficile avec son épouse, ceci expliquant certainement l’intensité musicale et dramatique de « Marnie ». Le compositeur a utilisé pour le film d’Hitchcock une formation orchestrale plus conventionnelle et moins ample que celle de « Vertigo » : ainsi, les bois sont par deux, accompagnés de quatre cors (sans trompettes ni tuba et trombones), d’une harpe et de quelques cordes. Herrmann reproduit pour le film d’Hitchcock le même type de formation orchestrale qu’il avait déjà mis en place sur sa première collaboration avec Hitchcock dans « The Trouble with Harry » (1955). Comme toujours avec le compositeur, la partition de « Marnie » repose sur une série de thèmes mémorables, à commencer par le thème psychologique associé aux tourments intérieurs de Marnie, thème de notes rapides descendantes aux cordes entendu dès le début du traditionnel « Prelude ». Ce thème agité et sombre reviendra tout au long du film pour évoquer les angoisses de Marnie associées aux lointains secrets de son enfance, tandis que « Prelude » dévoile le second thème de la partition, l’inévitable thème de Marnie associé aux émotions et aux révélations de la jeune femme dans le film. Le « Marnie’s Theme » se distingue par ses cordes amples et généreuses au lyrisme spectaculaire sur fond d’harmonie de cors, de bois et d’arpèges de harpe. Cette mélodie incontournable dans la partition de « Marnie » (et aussi incroyablement omniprésente) évoque aussi les sentiments intérieurs et les émotions du personnage de Tippi Hedren tout au long du récit. En ce sens, le thème de Marnie est tout aussi intense et important que celui de l’angoisse et de la terreur psychologique. Le troisième thème est entendu dans « The Storm » : il s’agit de l’inévitable Love Theme associé à la romance tourmentée entre Mark et Marnie dans le film. Le thème romantique se distingue par son caractère passionné et lyrique entendu pour la première fois à 1:11 lors de la scène du baiser entre Mark et Marnie. On regrettera simplement la ressemblance plus qu’évidente du Love Theme de « Marnie » avec celui de « Vertigo », une affiliation d’autant plus flagrante qu’on retrouve une série de notes assez similaires entre les deux mélodies. Avec « Red Flowers », le compositeur évoque les troubles psychologiques de la jeune femme et son étrange phobie de la couleur rouge. Dans « Flashback I », Herrmann développe le thème de Marnie sous forme de cellules mélodiques répétitives et entêtantes aux bois et aux cordes sur un rythme à trois temps.

On retrouve ce genre de développements mélodiques dans « The Bowl », dans lequel le thème de Marnie cohabite judicieusement avec le thème psychologique, parfois juxtaposés et parfois même superposés suivant les différentes situations du film. Avec « The Storm », Herrmann nous offre un premier moment-clé dans sa partition lors de la scène de l’orage et du premier baiser entre Mark et Marnie : c’est l’occasion pour le compositeur de dévoiler son Love Theme sur fond de développements agités du thème psychologique et du thème de Marnie. L’écriture d’Herrmann reste très ample, classique, privilégiant les cordes mais aussi les bois et les cuivres pour les moments plus sombres et agités. Le compositeur reste fidèle ici à son goût pour un romantisme passionné influencé des grands maîtres allemands de la fin du 19ème siècle (Strauss, Wagner, etc.), comme le confirme le lyrisme savoureux et élégant de « Romance » et sa très belle reprise du Love Theme et du thème de Marnie aux cordes, sans oublier un développement plus conséquent du thème romantique dans « The Porch » et « The Bridal Suite », quasi exclusivement dominé par les cordes. « The Checkbook » introduit une nouvelle idée mélodique plutôt intéressante : un motif descendant de 5 notes de cordes en trémolos entêtant et obsédant, auxquels répondent les bois sous la forme d’un motif secondaire intrigant de 3 notes ascendantes. Ce double motif mystérieux et répétitif est associé dans le film aux suspicions de Lil (Danie Baker) quand aux secrets du couple Mark/Marnie. Les auditeurs les plus attentifs remarqueront d’ailleurs que le mystérieux motif de la suspicion est en réalité dérivé des premières notes du « Love Theme », une astuce qui permet à Herrmann de garder l’unité entre ces deux mélodies – et qui rappelle le secret lié au couple Mark/Marnie. Le compositeur développe ensuite ces trois principaux thèmes dans « The Cabin », le torturé « Love Scene » (pour la fameuse scène du viol) ou le dramatique et désespéré « The Pool ». Mais c’est « The Hunt » qui attirera ici notre attention. Suivant une longue tradition britannique, Marnie participe à une chasse à cours sur le dos de son cheval Forio. Le morceau est de loin l’un des meilleurs passages du score de Bernard Herrmann et peut être aussi l’un des plus mémorables du film : « The Hunt » repose sur une série d’appels de cors en tierces arpégées ascendantes typiques des musiques de chasse à cours anglaise sur un rythme ternaire. Le thème de Marnie vient alors se superposer sur l’ensemble, apportant un éclairage dramatique/psychologique intense à la scène. En plus d’apporter un rythme intense et un sentiment d’action et de tension, « The Hunt » est aussi une formidable démonstration de tout le savoir-faire du compositeur et de son apport au cinéma d’Hitchcock – « The Hunt » rappelle aussi le style d’autres grandes musiques de chasse à cours du cinéma américain, comme celle de Jerry Goldsmith pour « The List of Adrian Messenger » (1963) ou pour « The Final Conflict » (1981), ou celle que composera John Corigliano en 1985 pour le film « Revolution ». Avec « Flashback II », « Blood » et « Farewell », la partition se conclut de façon plus dramatique et tourmentée, avant d’aboutir au final plus lyrique et optimiste de « Finale » et « Cast ».

Bernard Herrmann composa donc avec « Marnie » l’une de ses meilleures partitions pour le cinéma d’Alfred Hitchcock, une partition lyrique, romantique et torturée dans la lignée de « Vertigo », une grande musique de film qui apporte une intensité rare au film et rappelle l’incroyable richesse de la collaboration Hitchcock/Herrmann : « Marnie » sera d’ailleurs la toute dernière oeuvre du duo, puisque après la fameuse dispute sur « Torn Curtain » en 1966 qui se conclut par le rejet intégral de la musique d’Herrmann (qui ne teint compte d’aucune des recommandations d’Hitchcock sur son film), le compositeur quittera la Californie et retournera à Londres, brisant définitivement ses chances de retravailler à nouveau sur un film d’Alfred Hitchcock. « Marnie » reste donc l’œuvre testament de la collaboration avec Hitchcock, une partition d’une grande richesse à redécouvrir grâce au magnifique réenregistrement dirigé par Joel McNeely à la tête du Royal Scottish National Orchestra.



---Quentin Billard