1-The Artist Overture 1.02
2-1927 A Russian Affair 3.36
3-George Valentin 5.36
4-Pretty Peppy 2.33
5-At the Kinograph Studios 1.38
6-Fantaisie d'Amour 3.09
7-Waltz for Peppy 3.22
8-Estancia op.8 3.41*
9-Imagination 2.56**
10-Silent Rumble 1.16
11-1929 1.33
12-In The Stairs 3.15
13-Jubilee Stomp 2.35***
14-Comme une rosée de larmes 3.24
15-The Sound of Tears 4.48
16-Pennies From Heaven 2.14+
17-1931 4.47
18-Jungle Bar 2.07
19-L'ombre des flammes 5.58
20-Happy Ending...5.44
21-Charming Blackmail 2.13
22-Ghosts from the Past 2.00
23-My Suicide (Dedicated to 03.29.1967) 6.25
24-Peppy and George 2.06

*Extrait de "Danzas del Ballet:
II. Danza Del Trigo"
Composé par Alberto Ginastera
**Livingston
***Duke Ellington
+Johnny Burke/Arthur Johnston.

Musique  composée par:

Ludovic Bource

Editeur:

Sony Classical 88697-97895-2

Musique produite par:
Ludovic Bource
Arrangements de:
Ludovic Bource, Jean Gobinet,
Michel Ange Merino, Vincent Artaud,
Didier Goret

Direction artistique:
Michel Hazanavicius
Production exécutif et
supervision de la musique:
Jerôme Lateur
Coordinateur de production:
Mehdi Sayah
Assistant du compositeur:
Franck Hedin
Coordination légale:
Jacqueline Delvert, Camille Ringle
Montage musique:
Ludovic Tartavel

(c) 2011 La Petite Reine/Studio 37/La Classe Américaine/JD Prod/France3 Cinéma/Jouror Production/uFilms. All rights reserved.

Note: *****
THE ARTIST
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Ludovic Bource
Evénement cinématographique de cette fin d’année 2011, « The Artist » est aussi l’un des plus grands succès surprise du cinéma français actuel. Réalisé par Michel Hazanavicius et produit par Thomas Langmann, « The Artist » est un film très particulier car entièrement tourné en noir et blanc et muet. Il s’agit d’un hommage plus qu’évident aux films muets des années 1920 et plus particulièrement à ceux de Charlie Chaplin, s’inspirant au passage de l’histoire vraie des acteurs John Gilbert et Greta Garbo, sur un scénario reprenant l’intrigue du film « A Star is Born » de William A. Wellman en 1937, adapté par la suite à deux reprises au cinéma (dans la version de George Cukor en 1954 et celle de Frank Pierson en 1976). « The Artist » se déroule dans le Hollywood de 1927. George Valentin (Jean Dujardin) est un célèbre acteur de film muet au sommet de son art. Il fait alors la connaissance de la jeune Peppy Miller (Bérénice Bejo), jeune figurante qui, à force de multiplier les petits rôles, finira par devenir la nouvelle star incontournable de Hollywood. L’arrivée du cinéma parlant dans les années 30 va bouleverser à tout jamais leurs vies respectives. George Valentin se refuse à céder au cinéma parlant et préfère continuer dans le muet, mais ses films sont des échecs commerciaux successifs et n’attirent plus le public, qui préfère aller voir la ravissante Peppy Miller dans ses films parlants. George tombe alors dans l’oubli et finit ruiné. Quand à Peppy Miller, qui a toujours été amoureuse de George dès le premier jour, elle va tout faire pour tenter de prendre soin de lui et se préoccupera même de son sort lorsque l’acteur sera au fond du gouffre. « The Artist » est non seulement un film d’exception dans le paysage cinématographique français monotone mais aussi une sacré prise de risque pour Michel Hazanavicius et son équipe : tourner un film muet en noir et blanc en 2011 ? Le pari était insensé, mais le résultat fut au rendez-vous : le film a été plébiscité par le public et la critique, qui s’est laissé prendre au jeu et a apprécié le talent d’imitateur d’Hazanavicius (à l’instar du parodique « OSS 117 », qui rendait hommage aux films d’espion des années 60) et la retranscription assez fidèle du cinéma muet américain des années 20. Le film vaut aussi par l’interprétation remarquable du duo Jean Dujardin/Bérénice Bejo, probablement leurs meilleurs rôles à ce jour. Niveau casting, le réalisateur a aussi réunit quelques acteurs américains de renommée tels que James Cromwell, John Goodman et même Malcolm McDowell, qui fait une brève apparition vers le début du film. Seule ombre au tableau : le film paraît parfois un peu trop moderne dans certains effets et dans son approche de l’image et du noir et blanc, là où on se serait attendu à ce qu’Hazanavicius aille jusqu’au bout de son parti pris, quitte à vieillir et à dégrader un peu plus l’image pour reproduire le plus fidèlement possible l’aspect ‘pellicule de film des années 20’. Néanmoins, le résultat est stupéfiant et reste un triomphe majeur du cinéma français de 2011, une histoire d’amour rare et rafraîchissante sur fond d’hommage au cinéma muet récompensée par 5 Oscars et 6 Césars, après avoir fait son petit effet à Cannes - prix d’interprétation masculine pour Jean Dujardin – à ne rater sous aucun prétexte !

La musique du compositeur français Ludovic Bource occupe une place fondamentale dans « The Artist ». A l’instar des musiques accompagnant les films muets des années 20, la partition musicale de Ludovic Bource se devait d’accompagner l’histoire et ses différents enjeux dramatiques en multipliant les hommages et les influences tout en proposant quelque chose d’assez personnel. « The Artist » marque la quatrième collaboration entre Ludovic Bource et Michel Hazanavicius après « Mes Amis » (1999), « OSS 177 : Le Caire, nid d’espion » (2006) et « OSS 177 : Rio ne répond plus » (2009). La musique est confiée à l’Orchestre Philharmonique de Bruxelles-Orchestre des Flandres dirigé par Ernst Van Tiel et réunissant près de 80 musiciens, qui livre une interprétation solide et remarquable sur les images du film, capable de rivaliser avec n’importe quelle performance d’orchestre anglais ou américain. L’orchestre se compose ainsi de 50 instrumentistes à cordes, 4 cors, 4 trombones, 3 trompettes, 1 tuba, 5 percussionnistes, une harpe, 3 flûtes, 2 hautbois, 4 clarinettes, 2 bassons, 3 pianistes et 2 célestas. Avec un orchestre de taille conséquente, Ludovic Bource avait matière à produire une musique grandiose et mémorable, ancrée dans la tradition hollywoodienne d’antan. Dans les notes du livret de l’album, le musicien explique d’ailleurs le processus créatif de sa partition pour « The Artist » :

« Bien sûr, on est parti des grandes références du cinéma hollywoodien et même si le film se déroule au début des années 30, on a étalé nos choix sur une période beaucoup plus longue. On a écouté beaucoup de choses – de Chaplin, Max Steiner et Franz Waxman, jusqu’à Bernard Herrmann, et j’en passe...On a écouté et analysé tous ces trésors, on est revenu aux sources aussi, aux compositeurs romantiques du 19ème siècle...Donc, principalement, de la musique symphonique. Une musique extrêmement puissante, orchestrée, jouée par 80 musiciens (...) »

Le compositeur rappelle d’ailleurs que la principale difficulté dans l’écriture du score était liée au fait qu’il est lui-même autodidacte de formation, et pas du tout spécialisé dans la musique symphonique. La composition de « The Artist » représenta donc un véritable challenge artistique pour Ludovic Bource, qui dut ainsi se dépasser et travailler d’arrache-pied pour concevoir les différents thèmes et la musique dans son ensemble. Travaillant à partir des story-boards originaux de Michel Hazanavicius, le compositeur créa sa musique en collant au plus près des images, sachant pertinemment que sa musique serait particulièrement mise en valeur tout au long du film. Comme à l’époque des films muets du début du XXe siècle, la musique devait non seulement accompagner les images mais aussi rythmer les histoires et les encarts contenant les dialogues tout en apportant l’émotion nécessaire, remplaçant ainsi les dialogues et les bruits, encore inexistants dans le cinéma à cette époque. Reprenant ainsi cette fonction fondamentale de la musique au cinéma dans les films muets, le score de Ludovic Bource possède un rôle fondamental dans « The Artist », permettant ainsi au compositeur de développer pleinement ses différents thèmes avec un soin tout particulier. « The Artist Ouverture » dévoile d’emblée le thème principal du score, un superbe Love Theme évoquant la romance entre George Valentin et Peppy Miller tout au long du film. Le Love Theme de « The Artist » est confié ici à des cordes extrêmement romantiques et passionnées, à la manière des grands Love Theme du Golden Age hollywoodien : le style général de cette superbe ouverture évoque autant le lyrisme de Max Steiner, Miklos Rozsa ou même Bernard Herrmann, une grande ouverture traditionnelle imitant l’esthétique des prologues qui ouvraient traditionnellement les musiques des films de l’âge d’or hollywoodien : on pense surtout ici aux prologues de « Spellbound » de Rozsa, « Rebecca » de Franz Waxman ou à celui de « Marnie » d’Herrmann. Exercice de style périlleux pour Ludovic Bource – compositeur autodidacte, rappelons-le – mais résultat assez impressionnant, l’orchestre belge allant même jusqu’à imiter le jeu lyrique et le vibrato particulier des cordes comme on l’entendait souvent dans les musiques symphoniques de l’époque. Niveau écriture et orchestration, le résultat est tout aussi impressionnant de maîtrise, avec des harmonies très romantiques tendance 19ème siècle, une écriture contrapuntique/mélodique riche et des orchestrations très élaborées et détaillées. Un morceau comme « 1927 A Russian Affair » confirme le ton ‘Golden Age’ voulu par Bource sur ce film en évoquant la scène du film d’aventure/espionnage que tourne George Valentin au début de « The Artist » : cuivres héroïques, bois colorés, cordes amples, ponctuations percussives, tous les éléments sont en place pour nous renvoyer à un style symphonique ample et généreux rappelant ici aussi Max Steiner ou Franz Waxman – surtout lors des envolées cuivrées héroïques évoquant les exploits de l’espion qu’incarne Valentin à la fin de la scène. La virtuosité de l’orchestre est ici réellement impressionnante et confirme la vigueur de l’interprétation, les musiciens belges s’étant manifestement dépassés pour reproduire ce style hollywoodien et grandiose assez spectaculaire.

Dans « George Valentin », Ludovic Bource dévoile le second thème de la partition, thème de ragtime traditionnel plus proche des musiques des films de Charlie Chaplin dans les années 20/30 ou de ceux de Buster Keaton. Le thème est confié ici au piano sur fond de bois (clarinettes), cuivres, cordes et percussions diverses (woodblock, tambourin, xylophone, glockenspiel, batterie) et s’apparente à une mélodie simple, légère et enjouée, évoquant la naïveté et l’insouciance de l’acteur au début du film, associé à un cinéma muet encore très populaire à l’époque. Ce climat d’insouciance domine largement dans « Pretty Peppy », où la musique évoque l’ascension de Peppy Miller et sa popularité grandissante dans le cinéma hollywoodien des années 30. Ici aussi, on retrouve ce mélange d’insouciance naïve et d’exubérance largement véhiculée par le jeu sur les couleurs instrumentales, la musique passant rapidement d’un pupitre à un autre avec une fluidité remarquable : Bource soigne ici l’écriture des instruments en privilégiant chaque pupitre, qu’il s’agisse des cordes (qui dominent ici), des bois, des cuivres et des percussions. La musique frôle même le mickey-mousing dans « At The Kinograph Studios », où le compositeur évoque l’agitation et l’activité dans les studios de cinéma avec un fourmillement coloré des différents instruments de l’orchestre. A noter que les premières notes du Love Theme pour George et Peppy sont brièvement suggérées à partir de 0:56, thème romantique qui reviendra par la suite tout au long du film. Le ragtime sautillant et joyeux de Valentin est repris dans « Fantaisie d’Amour », ponctué de touches jazzy évoquant le swing américain des 30’s. Bource apporte un peu d’intimité et de douceur au personnage de Bérénice Bejo dans « Waltz for Peppy », pour une scène de danse entre George et Peppy, une très belle valse sentimentale au classicisme élégant dominé par le piano et l’orchestre. Le ton change dans « 1929 », évoquant les temps difficiles pour George Valentin, dans un pays touché de plein fouet par la crise financière et le début de la Grande Dépression, sous oublier l’arrivée progressive du cinéma parlant. Fini l’insouciance de « Fantaisie d’Amour » ou « Pretty Peppy » : place ici à une musique plus psychologique, dramatique et tourmentée, développant ici un nouveau thème majeur du score basé sur une quinzaine de notes lentes, mystérieuses et obsédantes en trémolos de cordes. Il s’agit du thème associé à la déchéance de George Valentin provoquée par son orgueil de comédien. Ce thème de l’orgueil/déchéance introduit par les pizz de contrebasses à partir de 0:52 dans « 1929 » sera d’ailleurs assez présent durant toute la dernière partie du film. L’atmosphère de doute et de tourment se confirme dans « In The Stairs », où l’on retrouve le thème de la valse sous une forme plus lente et intime, mais toujours très colorée. Le Love Theme est repris ici par les bois incluant le piano, la harpe et les cordes, apportant un lyrisme et une émotion plus touchante à la musique, sans jamais basculer pour autant dans le mélodrame. On appréciera aussi la magnifique reprise délicate du thème romantique pour piano solo dans « Comme une rosée de larmes », petit bijou de poésie musicale évoquant autant le « Clair de Lune » de Debussy que « L’ode saphique » de Brahms (influence évoquée par le compositeur dans le livret de l’album).

La musique évolue ainsi en fonction des situations et des personnages, et devient ainsi bien plus nuancée et dramatique dans la seconde et dernière partie du film, comme le rappelle « The Sound of Tears » et ses accords sombres des cuivres et des bois rappelant clairement Bernard Herrmann. Le Love Theme est ici repris de façon plus torturée et hésitante, traduisant clairement les tourments de George Valentin, qui voit sa carrière prendre une tournure tragique, tandis que sa principale concurrente, Peppy Miller, occupe désormais les premières places du cinéma hollywoodien. Dans « 1931 », Ludovic Bource reprend le thème de valse de Peppy sur un rythme plus jazzy et léger, qui rappelle l’insouciance des débuts (à noter ici l’excellente utilisation de la clarinette soliste). Dans un registre similaire, le thème revient ensuite à la guitare dans « Jungle Bar » qui rappelle aussi la musique jazz de l’époque. Mais cette insouciance temporaire n’est qu’une façade pour mieux préparer le drame à venir, drame qui explose enfin dans le sombre et agité « L’ombre des flammes » : cette fois, priorité aux orchestrations plus graves et sombres, incluant bassons, clarinettes, piano et cordes graves : le thème romantique n’est alors que brièvement suggéré, sous un angle plus noir et torturé, bien éloigné des élans passionnés du début. On pense ici aussi aux musiques d’Herrmann pour Hitchcock, notamment dans l’utilisation d’accords plus sombres et de quelques dissonances, bien que l’influence principale de Bource sur « L’ombre des flammes » semble être indiscutablement « L’Oiseau de Feu » de Stravinsky – à partir de 1:30, on découvre par exemple une variation rapide du thème de la déchéance avec des notes de bois furtifs staccatos qui rappelle un motif de la « danse infernale du roi Kastcheï » de Stravinsky. Le morceau, extrêmement puissant et intense, apporte à l’écran un sentiment de drame infernal et chaotique pour la scène où George fait brûler ses bobines de film et met ainsi le feu à sa maison. C’est l’occasion pour le compositeur de faire culminer ici son thème entêtant de la déchéance, repris notamment par des cuivres apocalyptiques et puissants à 3:01 (thème dont certaines variations sont malheureusement absentes de l’album). Quand au Love Theme, qui était jusqu’ici plus souvent suggéré qu’autre chose, il est enfin développé dans son intégralité dans le romantique et passionné « Happy Ending » illustrant les retrouvailles finales entre George et Peppy.

Dans « My Suicide (Dedicated 03.29.1967) », Bource fait référence au « Vertigo » de Bernard Herrmann, le morceau original de « Vertigo » ayant été utilisé pour toute la longue séquence finale où George est sur le point de se suicider. « My Suicide » est sans aucun doute le morceau dramatique/lyrique le plus impressionnant du score de « The Artist », même si cela reste un exercice de style assez scolaire (doublé d’un brillant hommage à Herrmann). On pourra toujours reprocher l’utilisation facile de la musique originale d’Herrmann dans le film – alors que le morceau original de Ludovic Bource aurait certainement été plus adapté – mais le résultat à l’écran est somme toute assez impressionnant, même s’il paraît difficile de ne pas penser au film d’Hitchcock à la vision de cette longue scène sur la fin de l’acteur. Enfin, la partition se clôt sur le swing désinvolte et exubérant de « Peppy and George », coda dansante et débridée d’une partition riche, lyrique et passionnée qui révèle un véritable travail de composition d’une qualité rare, surtout dans le cinéma français actuel. Dire qu’il n’y avait que Michel Hazanavicius et Ludovic Bource pour réaliser un pareil exploit tiendrait presque de l’euphémisme : « The Artist » est une réussite sur toute la ligne, une partition très riche qui rend un hommage vibrant aux grandes musiques de film de l’âge d’or hollywoodien et des films muets des années 30 : comme le film, ne manquez surtout pas ce petit bijou musical qui vous entraînera 50 ou 60 ans en arrière, avec un souci d’authenticité incroyable et un talent rare : sans aucun doute l’une des meilleures musiques de film de l’année 2011 !




---Quentin Billard