1-Lullaby 3.23
2-Gathering Clouds 1.09
3-Storm 2.46
4-Open Seas 1.33
5-Dead Calm 0.56
6-Aeolus 1.33
7-Blood Drops 1.02
8-Accusation 2.03
9-The Armoury 1.39
10-Arrival 1.37
11-Jess Spots Downy 2.10
12-Lockets 3.20
13-Jess Eavesdrops 5.02
14-Vic's Trail of Blood 2.06
15-Loop 3 2.08
16-Cabin Executions 2.14
17-Let Her Go 2.14
18-Sallys 2.50
19-Jess Carries Out Execution 2.13
20-Returning Home 3.26
21-The Driver 3.43

Musique  composée par:

Christian Henson

Editeur:

Movie Score Media MMS-09023

Score produit par:
Christian Henson
Album produit par:
Mikael Carlsson

Artwork and pictures (c) 2009 Icon Film Distribution Ltd. All rights reserved.

Note: ***1/2
TRIANGLE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Christian Henson
En l’espace de quelques années, le jeune cinéaste britannique Christopher Smith s’est fait remarquer dans les années 2000 avec des films d’épouvante aussi singuliers que « Creep », « Severance » ou le récent « Black Death ». Le film « Triangle » est de loin l’oeuvre la plus impressionnante du réalisateur anglais. Filmé à la manière d’une série-B à suspense, « Triangle » débute de façon banale et se dirige vers un film de navire hanté (on pense à « Virus » ou « Ghost Ship ») avant de dévoiler un concept stupéfiant et inattendu de boucle temporel, dans laquelle l’héroïne brillamment interprétée par la sexy Melissa George se voit contrainte de revivre perpétuellement la même série d’événements sans fin. Jess est une jeune mère célibataire qui s’occupe seule de son enfant autiste. Un jour, elle décide de rejoindre un groupe d’amis pour une excursion en mer sur un voilier. Mais un étrange phénomène climatique détruit l’embarcation prise en plein coeur d’une tempête soudaine et brutale. Accrochés à l’épave du voilier, les survivants réussissent à atteindre un mystérieux paquebot sorti de nulle part en pleine mer. Mais une fois montés à bord, ils découvrent que le luxueux navire est abandonné. Alors que le groupe recherche d’éventuels passagers, Jess découvre des événements troublants : elle découvre ainsi les clés de sa propre maison en plein milieu d’un couloir, et découvre ensuite une inscription faite avec du sang sur un miroir indiquant au groupe de se rendre au théâtre du paquebot. Arrivés sur les lieux, Jess et ses amis sont attaqués par un mystérieux individu cagoulé et armé d’un fusil. Ce que la jeune femme ignore encore, c’est que tous ces événements vont se reproduire indéfiniment de manière inattendue, et que certains événements pourraient avoir un rapport direct avec elle. « Triangle » reprend donc le thème habituel du paquebot fantôme, l’action étant censée se dérouler dans le fameux Triangle des Bermudes (d’où le titre du film, qui fait aussi référence au nom du voilier), bien que les lieux ne soient jamais cités explicitement dans le film. Mais ce qui débute comme une banale série-B à suspense se transforme rapidement en intrigue diabolique à multiples niveaux de lecture, car l’idée de la boucle temporelle est non seulement parfaitement développée par Christopher Smith mais aussi extrêmement cohérente de bout en bout. A l’origine, l’idée du concept est née d’une image précise, celle de l’héroïne qui aperçoit son double sur un bateau. Partant de ce postulat étonnant, Smith élabore un suspense psychologique où règne une atmosphère de folie latente, brillamment centrée sur l’actrice Melissa George, dont le film évoque chaque aspect de la personnalité trouble de son personnage. La mise en scène est d’ailleurs suffisamment intelligente et soignée (que ce soit dans le montage, les cadrages ou le jeu sur les lumières) pour nous permettre de résoudre progressivement le puzzle complexe lié à l’intrigue du film. Les différents étages du navire représentent en réalité un niveau différent dans la personnalité de Jess. L’intrigue en elle-même est en réalité une relecture du célèbre mythe de Sisyphe, qui fut condamné à faire rouler éternellement le même rocher jusqu’au sommet d’une colline dans le Tartare parce qu’il osa défier les dieux (un des personnages du film y fait d’ailleurs explicitement référence). Mais le scénario de « Triangle » se rapproche davantage du fameux épisode « Triangle » (saison 6) de la série « X-Files », dont l’intrigue est curieusement similaire. Au final, le long-métrage de Christopher Smith s’avère être une très jolie réussite, un excellent thriller au scénario complexe et tortueux, qui devrait ravir tous les amateurs d’intrigue alambiquée à multiple niveaux de lecture.

« Triangle » marque les retrouvailles entre Christopher Smith et le compositeur britannique Christian Henson trois ans après « Severance ». Henson livre pour « Triangle » une partition sombre, lugubre et torturée à l’image du film lui-même. Construit à la manière d’un puzzle musical dans lequel chaque élément se met progressivement en place, le score de « Triangle » fait la part belle aux dissonances multiples et aux recherches sonores les plus abstraites pour un résultat musical plutôt immersif et oppressant, parfaitement adaptée à l’atmosphère intense du film. Pour parvenir à ses fins, Christian Henson a fait appel ici à la chanteuse écossaise Dot Allison, plus connue pour ses collaborations avec le chanteur Pete Doherty et des groupes tels que Massive Attack, Tindersticks ou bien encore The Fall. Henson explore d’ailleurs plus amplement la voix humaine dans sa partition en faisant appel au Synergy Vocals, un groupe de chanteurs londoniens habitués à travailler pour des artistes divers, que ce soit pour le cinéma ou les oeuvres de concert (Steve Reich a déjà fait appel à eux à plusieurs reprises). A ces voix s’ajoutent en plus l’orchestre symphonique habituel et une pléiade de synthétiseurs aux consonances expérimentales à la limite de la musique concrète. L’atmosphère étrange et oppressante du film de Christopher Smith est d’ailleurs un prétexte à une longue série d’ambiances brumeuses et vaporeuses dans lesquelles Christian Henson expérimente autour de l’électronique et manipule des sonorités diverses avec une inventivité évidente. Le film débute au son d’une étrange berceuse mélancolique, « Lullaby », associée à l’enfant de Jess et à la jeune femme. La berceuse est portée par les arpèges doux de piano et la voix éthérée et apaisée de Dot Allison, la berceuse faisant ici office de thème principal. Puis, très vite, des textures sonores plus menaçantes viennent s’ajouter à la berceuse pour renforcer la sensation d’oppression et de tension psychologique, annonçant clairement la couleur. Des cordes sombres viennent alors s’ajouter au morceau tandis que les quelques vocalises planantes du Synergy Vocals renforcent le mystère et la tension. Henson manipule le son avec brio, comme le confirme « Gathering Clouds » qui annonce la tempête : ici aussi, les voix planent de manière énigmatique alors que des drones et des textures synthétiques viennent renforcer le climat oppressant et menaçant de la musique à l’écran. La séquence de la tempête est quand à elle quasiment entièrement accompagnée de dissonances multiples et de percussions à base de cordes frappées avec le bois de l’archet (col legno) et de sonorités synthétiques. Le piano, les voix et les cordes deviennent les instruments du mystère et de l’énigme du navire dans « Open Seas », tout comme l’inquiétant « Dead Calm », qui laissent encore bon nombre de questions en suspend.

Cette sensation étrange de mystère s’intensifie dans « Aeolus » où la berceuse est alors entonnée au loin sur fond de nappes sonores lugubres, cédant le pas à un « Blood Drops » plus orientée vers le suspense glauque et les expérimentations sonores. A ce sujet, « Accusation » nous fait basculer dans la terreur avec le retour des effets vocaux torturés du Synergy Vocals et des effets percussifs de ‘col legno’ empruntés à « Storm ». On retrouve ici le motif mystérieux de cordes de « Open Seas », un motif constitué d’un groupe de quatre notes ascendantes et qui reviendra tout au long du film pour accompagner l’énigme entourant le paquebot coincé dans une étrange boucle temporelle. Il règne dans « The Armoury » une atmosphère fantomatique assez impressionnante, dominée ici par les voix féminines, les cordes dissonantes et les notes vaporeuses de piano. Le motif du mystère semble tourner ici en boucle de façon quasi entêtante voire obsédante, tandis que Christian Henson accentue le travail sur le sound design, remarquable au demeurant sans être pour autant d’une folle originalité. Le puzzle se met en marche dans « The Arrival », alors que Jess comprend qu’elle est condamnée à revivre perpétuellement la même série d’événements sur le navire. Dès lors, la musique devient plus massive et plus terrifiante, à l’image de la descente aux enfers de la jeune femme. Le thème mystérieux de quatre notes revient encore une fois aux violoncelles dans « Jess Spots Downy » en contrepoint avec les contrebasses et le sound design électronique. A noter d’ailleurs le timbre particulier des violoncelles qui interprètent quasi essentiellement le thème ici dans le registre aigu, apportant un effet particulier aux cellos, plutôt inhabituel pour ces instruments. Il est aussi question de folie dans « Lockets » et ses expérimentations sonores chaotiques et abstraites, à base de sonorités déformées et saturées. Henson confère alors à sa musique un caractère véritablement dérangeant assez intense à l’écran (et aussi très réussi). Ce mélange de terreur et de folie culmine dans le long et intense « Jess Eavesdrops », véritable maelström atonal de dissonances sauvages et de sonorités expérimentales agressives, ouvrant la voie à une série de morceaux conclusifs déchaînés (« Vic’s Trail of Blood », « Cabin Executions », « Sallys ») et de variations obsédantes autour de l’omniprésent thème de quatre notes, répété à satiété tout au long du score, sans oublier le climax oppressant de l’étrange « Jess Carries Out Execution », et ses sonorités grasses et saturées à la limite de l’audible, suivi de « Jess Returns Home » et sa reprise cacophonique de la berceuse sur fond de clusters éprouvants de cordes et de voix stridentes et dissonantes lorsque Jess retourne enfin chez elle. Christian Henson nous offre donc une partition sombre, intense et torturée pour « Triangle », un score à l’image du film lui-même : une véritable descente aux enfers gouvernée par le souci constant d’expérimenter et de repousser les limites du son (jeu sur les effets de saturations, fréquences sonores modifiées et filtrées, etc.), tout en proposant une musique indéniablement personnelle et typique des travaux du compositeur pour les films de Christopher Smith. A noter d’ailleurs que cette singularité d’écriture musicale se retrouvera dans le non moins intense « Black Death », pour lequel Christian Henson aura à nouveau l’occasion d’expérimenter diverses choses dans sa musique. Une belle découverte en somme, à redécouvrir grâce à l’excellente édition CD de Movie Score Media !





---Quentin Billard