1-Regan's Theme (Finale) 2.55
2-Pazuzu (Theme from
Exorcist II) 2.50
3-Interrupted Melody 2.43
4-Rite of Magic 2.35
5-Little Afro-Flemish Mass 4.31
6-Great Bird of the Sky 1.33
7-Magic and Ecstasy 3.01
8-Seduction and Magic 1.14
9-Regan's Theme
(Floating Sound) 2.05
10-Dark Revelation 1.19
11-Night Flight 5.47
12-Interrupted Melody
(Suspended Melody) 2.55
13-Exorcism 0.58

Musique  composée par:

Ennio Morricone

Editeur:

Perseverance Records PRR 042

Musique produite et conduite par:
Ennio Morricone
Orchestrée par:
Ennio Morricone
Montage musique:
Eugene Marks
Direction chorale:
Harper MacKay

Artwork and pictures (c) 1977 Warner Bros. Pictures. All rights reserved.

Note: ****
EXORCIST II : THE HERETIC
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Ennio Morricone
Après le succès monumental du cultissime « Exorcist » de William Friedkin sorti en 1973, une suite tournée en 1977 fut produite par la Warner et réalisée par John Boorman, plus connu pour ses films tels que « Excalibur », « Deliverance » ou bien encore « The Emerald Forest ». Alors que le premier film reste un monument du cinéma d’épouvante américain, « Exorcist II : The Heretic » fut bien au contraire une déception magistrale et une grande claque dans la figure du réalisateur et des producteurs, le film s’étant totalement vautré au box-office U.S. de 1977 tout en accumulant les mauvaises critiques – on parle même d’émeutes dans certaines salles de cinéma lors de la première aux Etats-Unis en 77 – Considéré par beaucoup de critiques du cinéma comme l’un des plus mauvais films de tous les temps, « Exorcist II : The Heretic » prit dès le départ le parti pris radical de contrecarrer la noirceur absolue du premier film en évoquant un périple d’espoir mené par un prêtre, le père Philip Lamont (Richard Burton), qui est chargé par l’Eglise d’enquêter sur la disparition mystérieuse du père Merrin (Max von Sydow) suite à l’exorcisme raté de la jeune Regan MacNeil (Linda Blair) quelques années auparavant. Regan est aujourd’hui suivie par le docteur Gene Tuskin (Louise Fletcher), qui a inventé un appareil étonnant permettant de se synchroniser grâce à la lumière et aux sons sur les pensées de l’individu sondé afin de traiter le patient sous une forme d’hypnose assez inédite. Le père Lamont décide alors de se synchroniser sur les pensées de Regan : c’est alors qu’il aperçoit l’image du démon Pazuzu qui hante la jeune fille et qui invite le prêtre à survoler l’Afrique : dans ses visions, le père Lamont aperçoit le père Merrin en train d’exorciser un jeune homme nommé Kokumo dans un village reculé d’Afrique. Comprenant que Regan a toujours le démon en elle, le père Lamont défie l’autorité de son supérieur hiérarchique et décide de se rendre dans ce village africain à la rencontre de Kokumo, devenu aujourd’hui un scientifique qui mène des recherches sur les sauterelles : il sait que l’homme possède le pouvoir de chasser Pazuzu, et pour lui, il est l’unique chance de sauver Regan pour de bon de l’emprise du démon. Malgré un scénario plus orienté sur l’espoir et la lumière, « Exorcist II » n’a pas réussi à convaincre et reste une déception monumentale, car malgré un casting impressionnant (Richard Burton, Linda Blair, Max von Sydow, Louise Fletcher, James Earl Jones, Ned Beatty, etc.), le film accumule les maladresses et les incohérences à une vitesse ahurissante. La production du film fut d’ailleurs particulièrement houleuse, puisque le script original de William Goodhart fut constamment remanié et réécrit (en partie par John Boorman lui-même) pendant une bonne partie du tournage du film, à tel point que le résultat final fut totalement différent de ce qu’il devait être à l’origine. Linda Blair elle-même avoua quelques années plus tard qu’avoir participé à ce film était l’une des plus grandes erreurs de sa carrière d’actrice. Et comme si cela ne suffisait pas, le tournage fut rendu compliqué par un arrêt de plusieurs mois suite à de graves problèmes de santé du réalisateur, tandis que les actrices Kitty Winn et Louise Fletcher tombèrent elles aussi malades pendant le tournage. « Exorcist II », un film maudit ? Peut-être, mais si l’on met les superstitions de côté, force est de constater qu’il y avait pourtant ici un vrai potentiel pour faire de ce film une grande réussite. Mais les choix douteux de John Boorman et les nombreux problèmes survenus durant le tournage empêchèrent cette histoire de quête métaphysique du bien contre le mal de décoller réellement. A trop vouloir s’éloigner du style claustrophobique et ténébreux du premier film de William Friedkin, Boorman nous livre au final une série-B horrifique molle, ennuyeuse et sans envergure, avec des scènes ridicules et incohérentes (l’idée du synchroniseur a été bien mal exploitée !) à des années lumières du traumatisme de « Exorcist » premier de nom.

Seule l’impressionnante musique envoûtante d’Ennio Morricone parvient à capter un minimum notre attention tout au long du film. Avec une expérience solide acquise à travailler dans le domaine des giallos italiens et des films d’épouvante des années 60/70 (et notamment ceux de Dario Argento), Ennio Morricone était en quelque sorte le choix idéal sur « Exorcist II ». Après une première partition iconique et culte pour le film de 1973 (incluant le célèbre « Tubular Bells » de Mike Oldfield et quelques pièces de Krzyzstof Penderecki), Ennio Morricone devait relever le défi d’écrire une partition aussi intense et mémorable que ne l’était la bande originale du film de Friedkin (sans oublier la ténébreuse musique rejetée de Lalo Schifrin pour « Exorcist »). Le score de « Exorcist II » repose sur deux thèmes majeurs et mémorables : le magnifique « Regan’s Theme », associé à la jeune Regan (Linda Blair) dans le film, et le ténébreux « Pazuzu’s Theme », thème du démon Pazuzu qui se distingue rapidement par son entêtant motif circulaire de cinq notes et ses accents africains/tribaux assez insolites et très étonnants pour un film hollywoodien. Fidèle à son goût pour la musique avant-gardiste et expérimentale, Ennio Morricone ne perd pas de vue l’aspect mélodique et lyrique qui lui est cher et combine un mélange de dissonances, de rythmes tribaux et de passages mélancoliques et lyriques du plus bel effet. Le « Regan’s Theme » se distingue par son utilisation des cordes, d’un accompagnement de guitare et d’une mélodie interprétée par la chanteuse Gloria O'Brien pour le personnage de Linda Blair. Le thème de Regan évoque à merveille l’innocence de la jeune fille, avec une sensation onirique, rêveuse voire doucement mélancolique, à la manière de certains thèmes lyriques de Morricone pour les anciens westerns spaghettis de Sergio Leone dans les années 60. On y retrouve par la même occasion l’aspect opératique caractéristique du maestro italien, fidèle à son goût pour les vocalises éthérées et poignantes. A l’aspect poétique et mélancolique du « Regan’s Theme », Morricone oppose radicalement le « Pazuzu’s Theme », qui se distingue par son instrumentation particulière, dominé par d’étranges vocalises à l’unisson d’un choeur féminin africain, un ensemble de percussions (marimbas, gong, etc.), des cordes syncopées, des cris et un mélange étrange de basson et de hautbois jouant deux octaves au dessus du basson. Le mélange basson/hautbois qui double le chœur africain est rendu ici très particulier par le simple fait que le hautbois double le basson trois octaves au dessus : l’association assez extrême du grave et du suraigu apporte ici une couleur instrumentale très particulière à cette mélodie obsédante qui devient rapidement entêtante et angoissante dans le film. Le motif représente non seulement les origines africaines du démon Pazuzu (d’où le caractère tribal et ethnique du thème), mais aussi tout l’aspect de séduction et de menace du terrible démon : véritable messe noire africaine, « Pazuzu’s Theme » est une pure réussite dans son genre, témoin du génie incomparable d’Ennio Morricone dans le domaine de la musique de film.

Comme souvent chez le compositeur, l’album contient une suite réarrangée des différents morceaux du score, non classé par ordre chronologique du film mais reflétant davantage une écoute plus classique d’esprit, plus orientée vers une sélection « album ». Malgré cela, les moments-clé de la partition de « Exorcist II » sont tous bien présents. On appréciera ainsi la mélancolie poignante de « Interrupted Melody », confiée à un alto soliste sur fond de tenues de cordes et de notes rêveuses de piano, tandis que « Rite of Magic » vient contraster radicalement avec la beauté de « Interrupted Melody » en évoquant dans le film les scènes de rituel et de magie noire africaine, notamment pour les scènes où le père Lamont se rend en Afrique à la recherche de Kokumo. Le motif de Pazuzu est repris ici par un hautbois aigu sur fond de cordes latentes et d’accords de piano plaqués régulièrement dans le grave. Quelques voix féminines et des percussions ethniques viennent s’ajouter à l’orchestre de façon plus discrète, alors que les voix semblent véritablement hanter la musique à l’écran, comme pour suggérer une présence terrifiante et angoissante. On retrouve ici aussi cette idée de dangereuse séduction, avec une musique qui semble avancer de façon ininterrompue et implacable, à l’image du démon Pazuzu dans le film. Plus particulier, « Little Afro-Flemish Mass » est une pièce à part dans laquelle Morricone compose un véritable mouvement de messe à base de vocalises solistes/chorales mixtes inspirées du gospel et de la musique afro-américaine, écrit dans un style religieux évoquant clairement le mysticisme de l’oeuvre de John Boorman, et ce bien que « Little Afro-Flemish Mass » n’ait malheureusement pas été retenu pour le film (probablement jugé trop particulier pour les images !). En revanche, le compositeur développe clairement tout au long du film son « Pazuzu’s Theme », que l’on retrouve sous la forme d’une autre variation dans « Great Bird of the Sky », pour les scènes où Pazuzu traverse le ciel en prenant l’apparence d’un oiseau. Même chose pour « Seduction and Magic », où l’on retrouve l’aspect dissonant et entêtant du motif du démon, toujours dominé par le hautbois, les cordes dissonantes et une série de chuchotements féminins aléatoires et terrifiants, accentuant clairement l’aspect démoniaque, maléfique et occulte de la musique. Les variations autour du motif de Pazuzu sont donc assez nombreuses dans le film, et relativement similaires, comme c’est le cas avec « Dark Revelation », où le motif de hautbois/voix est renforcé ici par un nuage sonore de gargouillis aléatoires en col legno des cordes.

Influencé par l’avant-garde musicale des années 50/60 et des expérimentations polonaises ou italiennes de l’époque, Ennio Morricone s’impose surtout avec « Exorcist II » comme un maître des atmosphères musicales particulières qui ne ressemblent à aucune autre. Celui qui passa des années à expérimenter à l’IRCAM dans sa jeunesse nous livre ainsi l’étrange et déroutant « Night Flight », dominé par de terrifiants cris improvisés d’une chanteuse soliste à la manière d’un chant tribal ethnique, une véritable messe noire accompagnée de percussions exotiques (incluant les claquements de gong ressemblant à des coups de fouet), de glissandi en clusters des choeurs et de phrases scandées par les hommes : le résultat est non seulement déconcertant mais aussi extrêmement rude et angoissant, surtout pour les non-initiés et les réfractaires aux musiques expérimentales. On est clairement à des années lumière ici des conventions musicales hollywoodiennes (et ce même si certains passages trop particuliers du score n’ont pas été retenus pour le film !), Morricone composant avec une véritable liberté de ton et un souci de la création artistique qui va bien au-delà du simple cadre d’un film. On pourra aussi évoquer l’étrange « Magic and Ecstasy », qui se trouve être un arrangement rock/pop du thème de Pazuzu écrit pour un ensemble rock à base de guitare électrique/basse/batterie, orchestre, choeur et synthétiseur. L’arrangement très « 70’s » de « Magic and Ecstasy » peut paraître kitsch aux oreilles d’un auditeur des années 2000, mais le morceau dépasse complètement le cadre de son époque en rappelant par la même occasion les expériences musicales auxquelles certains groupes de rock des années 70 s’étaient déjà eux-mêmes livré, comme c’est le cas pour Pink Floyd ou certains groupes de rock progressif de l’époque. Ennio Morricone nous livre donc un nouveau chef-d’oeuvre expérimental et peu conventionnel pour « Exorcist II ». Fidèle à son goût pour une musique libre et éminemment personnelle, le maestro italien culmine ses deux axes principaux indissociables de son style musical sur le film de John Boorman : les musiques lyriques et plus opératiques (« Regan’s Theme » ou les passages plus religieux du score), et les musiques plus avant-gardistes, dissonantes et expérimentales, mélangées ici à des sonorités tribales/africaines mémorables. Impossible de rester de marbre face à une partition aussi particulière, qui apporte une vraie noirceur et un sentiment de fascination et d’envoûtement aux images du film, tout en misant la carte de l’expérimentation pure sans jamais délaisser totalement les conventions (les passages plus mélodiques et poignants de « Regan’s Theme » ou de « Interrupted Melody »). Avec l’inoubliable « Pazuzu’s Theme », Morricone se paie ainsi le luxe d’écrire un thème mémorable pour le cinéma américain de la fin des années 70, bien que le style expérimental et exotique du score risque fort d’en rebuter plus d’un : ce petit bijou musical du maestro italien est donc à réserver en particulier aux inconditionnels d’Ennio Morricone et à ceux qui apprécient ses travaux les plus créatifs et les plus non conventionnels !



---Quentin Billard