1-Flight to Compound 5.08
2-Drive to Embassy 1.44
3-Bombings 2.44
4-Ammar 4.06
5-Monkeys 2.59
6-Northern Territories 3.46
7-SEALS Take Off 2.34
8-21 Days 2.04
9-Preparation for Attack 1.45
10-Balawi 3.15
11-Dead End 3.26
12-Maya On Plane 3.59
13-Area 51 1.42
14-Tracking Calls 3.46
15-Picket Lines 3.03
16-Towers 2.02
17-Chopper 1.48
18-Back to Base 2.41

Musique  composée par:

Alexandre Desplat

Editeur:

Madison Gate Records
no label number

Musique produite par:
Alexandre Desplat
Interprétée par:
The London Symphony Orchestra
Producteurs exécutifs soundtrack:
Kathryn Bigelow, Mark Boal
Direction de la musique pour
Sony Pictures:
Lia Vollack
Musique produite par:
Solré
Monteurs musique:
Richard Ford, Gerard Charron
Opérateur auricle:
Peter Clarke
Opérateur pro-tools:
Gordon Davidson
Coordinateur score:
Xavier Forcioli
Programmation:
Roman Allender, Dan Marocco
Préparation musique:
Norbert Vergonjanne,
Claude Romano

Coordinateur album:
Tim Ahlering

Artwork and pictures (c) 2012 CTMG/Zero Dark Thirty, LLC. All rights reserved.

Note: ***1/2
ZERO DARK THIRTY
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Alexandre Desplat
« Zero Dark Thirty » est sans aucun doute l’un des films les plus attendus de l’année 2012. A l’annonce du projet quelques mois auparavant, les médias s’empressaient déjà d’annoncer un futur chef-d’oeuvre de la réalisatrice Kathryn Bigelow, qui avait déjà connu un grand succès avec « The Hurt Locker » en 2010 – Bigelow fut alors la première femme à remporter le prix du meilleur film et du meilleur réalisateur cette année – Dans « Zero Dark Thirty », la cinéaste américaine s’intéresse à la traque d’Oussama ben Laden, fameux chef du réseau jihadiste Al-Quaida traqué par la CIA pendant près de dix ans après les attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center dans le quartier de Manhattan à New York. Le film débute sur une scène de torture d’un terroriste impliqué dans les attentats du 11 septembre. Objectif de la torture : extirper au terroriste de précieuses informations permettant d’empêcher un nouvel attentat planifié par Al-Quaida et permettre à la CIA de mettre la main sur le chef du réseau terroriste. Sous la torture, l’homme finit par donner les noms de ses complices, et parmi ceux-ci se trouve Abu Ahmed al-Kuwaiti, l’agent de liaison privilégié de ben Laden depuis le 11 septembre. La traque est menée activement par l’agent Maya (Jessica Chastain), déterminée à tout faire pour retrouver Abu Ahmed, même lorsque les renseignements américains penseront qu’il est mort depuis longtemps. Pendant plus de dix ans, Maya suivra désespérément cette piste, contredisant les directives de ses supérieurs hiérarchiques, menant enfin ses recherches à Abbottabad au Pakistan en 2011, là où se cachait en réalité ben Laden depuis plusieurs années. « Zero Dark Thirty » est donc une plongée abyssale impressionnante dans cette traque longue et interminable, que l’on doit essentiellement à la détermination d’une femme, brillamment interprétée ici par Jessica Chastain, nouvelle actrice phare du cinéma hollywoodien actuel (elle fut révélée en 2011 dans le film « The Debt » aux côtés de Sam Worthington). Construit à la manière d’un documentaire, « Zero Dark Thirty » s’inspire de l’esthétique du précédent film de Kathryn Bigelow, « The Hurt Locker », et propose un point de vue neutre et réaliste sur la traque de ben Laden entre 2001 et 2011. Solidement documenté, le film reconstitue de façon minutieuse la traque du leader d’Al-Quaida avec un point de vue historique/pédagogique évident, à la manière de « The Hurt Locker ».

Refusant tout artifice hollywoodien, « Zero Dark Thirty » conserve donc son point de vue 100% humain, en montrant des personnages fatigués et exténués, lassés d’une traque qui n’en finit plus. C’est en ce sens l’un des points forts du film de Bigelow, qui parvient à éviter tout forme d’excès hollywoodien, de pathos ou de sentimentalisme : un peu froid, et surtout réalisé comme un reportage, « Zero Dark Thirty » est une longue et intense immersion dans une guerre contre le terrorisme (le film dure 2h30 environ), montrant au passage les limites et les dérives de la lutte contre le terrorisme – les scènes de torture menées par des agents de la CIA ont été vivement critiquées lors de la sortie du film dans les salles américaines en 2012, et pourtant, elles s’inspirent de véritables techniques de torture qui ont été réalisées à l’époque pour obtenir de précieux renseignements (on raconte même que la CIA aurait explicitement demandé à ce que certaines scènes soient retirées du film). Malgré la polémique, le film a continué sa carrière en salles et s’est vu finalement nominé à 5 reprises aux Oscars 2012 et obtenu l’oscar du meilleur montage de son. Il va de soi que « Zero Dark Thirty » ne prétend pas apporter des solutions ou donner un éclairage nouveau à certaines zones d’ombre entourant la traque de ben Laden. Pas question non plus pour Kathryn Bigelow de juger d’une quelconque façon que ce soit les méthodes de la CIA pour parvenir à leurs fins, mais le film est une fiction tournée à la manière d’un reportage, une reconstitution minutieuse et rigoureuse de cette traque interminable, avec un point culminant totalement ahurissant, les 30 dernières minutes évoquant l’opération « Neptune’s Spear » menée durant la nuit du 2 mai 2011 par un commando américain sur la maison fortifiée où se cachaient ben Laden et ses proches au Pakistan, opération qui se solda par la mort du leader d’Al-Quaida et de plusieurs occupants de la maison. Afin de conserver le réalisme intense de cette séquence, Bigelow décida de la tourner intégralement dans des éclairages naturels très faibles en pleine nuit, un choix artistique judicieux et visuellement impressionnant, mais aussi un véritable casse-tête pour la réalisatrice qui décida d’utiliser l’Arriflex Alexa, une caméra numérique ultra moderne permettant d’obtenir une image très dense, saturée et riche, idéale pour des scènes de nuit faiblement éclairées comme lors du raid final à Abbottabad à la fin du film. Au final, malgré toutes les polémiques et controverses qui entourent le film, « Zero Dark Thirty » est une réussite incontestable, sans être pour autant LE chef-d’oeuvre cinématographique annoncé par les médias plus d’un an avant la sortie du film (il y a beaucoup de longueurs, il n’est pas rare de s’ennuyer à quelques reprises, et le film est parfois inégal). Mais que l’on soit partisan ou non des parti pris de Kathryn Bigelow sur son film, il ne fait nul doute que « Zero Dark Thirty » est un film majeur de l’année 2012, une magnifique leçon d’histoire sur l’une des plus grandes chasses à l’homme de notre temps !

Alexandre Desplat n’a eu qu’un rôle plutôt mineur sur « Zero Dark Thirty », pour lequel il n’a écrit qu’une poignée de minutes de musique. Ecrite pour le prestigieux London Symphony Orchestra, la musique de Desplat reste très discrète dans le film, où elle reste utilisée avec parcimonie, afin de conserver le caractère réaliste du récit. Néanmoins, chaque apparition de la musique dans le film apporte un petit ‘plus’ aux images, Desplat optant dès le début pour un ton résolument atmosphérique et minimaliste. En plus de l’orchestre londonien (duquel les bois sont absents), le compositeur utilise aussi un ensemble d’instruments solistes incluant un violon, un violoncelle acoustique et électrique, un piano, une trompette, une flûte ney et l’habituel duduk arménien, utilisé ici avec la ney pour apporter une couleur ethnique/orientale indispensable à l’histoire du film. Le tout est accompagné de quelques touches électroniques plus modernes. Le score de « Zero Dark Thirty » dispose d’un thème principal, un motif de 4 notes entendu dans « Seals Take Off » vers la fin du film, qui reviendra à quelques reprises dans le film de façon discrète, et que l’on pourrait qualifier de thème de la traque. L’ensemble du score se concentre essentiellement sur un aspect atmosphérique plutôt fonctionnel, comme par exemple dans « Drive to Embassy », qui reprend le thème au piano sur fond de duduk et de nappe sonore sombre. Les éléments électroniques sont plus présents dans l’inquiétant et mécanique « Bombings », évoquant les actions terroristes d’Al-Quaida dans le film : Desplat suggère ici la tension avec un ostinato de sample synthétique obscur, des cordes sombres et des accords de cuivres plus menaçants. Même chose pour « Ammar », qui développe une atmosphère de tension intense à l’aide d’ostinato de synthétiseur, de cordes lentes et de cuivres plus atmosphériques, avec un thème de trois notes de duduk. Le suspense est ici largement véhiculée par l’utilisation minimaliste et tendue des instruments, le London Symphony Orchestra étant ici totalement dégagé du son brillant et éclatant que l’on a bien souvent l’habitude d’entendre chez les musiciens londoniens : c’est en ce sens l’une des réussites d’Alexandre Desplat sur « Zero Dark Thirty », qui a su trouver le ton juste dans sa musique, sans jamais en faire de trop (à l’image du film lui-même), tout en restant très proche d’un style plus minimaliste et épuré en adéquation avec la réalisation de Kathryn Bigelow.

« Flight to Compound » dévoile une série de rythmes scandés de façon plus nerveuse pour la scène où le commando s’envole vers la maison fortifiée à Abbottabad vers la fin du film. Pour parvenir à ses fins, Desplat maintient ici une tension permanente pendant près de 5 minutes en répétant constamment la même note aux contrebasses/synthés de façon mécanique, froide et déterminée. L’aspect répétitif de « Flight to Compound » est ici renforcé par le jeu des cuivres sombres – et notamment des cors – et l’utilisation du piano dans le grave, sans oublier le retour du thème de duduk de « Ammar », constitué d’une série de trois notes descendantes, thème oriental/ethnique que l’on retrouve à quelques reprises dans le film, suggérant la tension ou la traque d’un membre d’Al-Quaida. Niveau orchestrations, Desplat n’hésite pas à tenter certaines choses comme lorsqu’il utilise des cuivres en sourdine sur une série de notes répétées rapidement, un effet sonore rendu étrange par le jeu des sourdines, sans oublier l’apport indispensable ici du duduk (un cliché, mais utilisé pourtant habilement par le compositeur ici). Dans « Monkeys », le compositeur développe son utilisation intéressante de l’électronique et des sonorités ethniques, notamment en jouant sur des bourdons et des tenues indéfinies assez hypnotisantes. A noter ici l’utilisation des percussions ethniques dans « Monkeys », qui nous plongent clairement, en plus du mystérieux violoncelle électrique, dans une atmosphère orientale quasi mystique et incroyablement sombre, personnifiant la menace d’Al-Quaida et de leurs complices. A vrai dire, la plupart des morceaux de « Zero Dark Thirty » fonctionnent ici sur cette idée de tenue et de bourdon, un élément simple mais que Desplat utilise ici judicieusement pour les besoins du film, comme dans « Northern Territories », où l’on retrouve le violoncelle électrique aux sonorités résolument arabisantes et quasi improvisées, baignant dans une sorte de mysticisme oriental appréciable, en plus du duduk ou de la flûte ney. On retrouve aussi l’ostinato de cordes/synthé de « Ammar » qui suggère clairement l’atmosphère de filature du film. L’aspect plus humain du film est aussi présent dans le travail d’Alexandre Desplat, comme c’est le cas dans « 21 Days », suggérant l’attente interminable de Maya pour l’opération finale au Pakistan. Au fur et à mesure que les jours s’écoulent sans que rien ne soit fait ou décidé, Desplat développe un jeu plus réservé des cordes à base de pizzicati légers, de cors et d’un piano intime associé à Maya (voir aussi « Maya on Plane » qui reprend le même motif des pizzicati de violons). A contrario, la musique sait aussi basculer dans un registre plus nerveux et rythmé comme c’est le cas dans « Preparation for Attack », qui accompagne les préparatifs du raid final à grand renfort de basse, de percussions martiales/guerrières et de cors imposants quasi solennels. Le thème principal est ici développé à la trompette et aux cuivres sous un angle plus solennel et quasi héroïque, avec une détermination impressionnante (dommage que le morceau soit si court), accompagné d’un ostinato de basse.

Des morceaux plus atmosphériques comme « Balawi », « Area 51 » ou « Dead End » (qui reprend le thème principal de façon mystérieuse et lugubre) apportent une tension permanente au film, entre menace, appréhension, suspense et oppression, mais tout en conservant une retenue et un minimalisme constant, afin de rendre l’utilisation de la musique plus réaliste dans le film, ou du moins plus discrète. On retrouve dans ces passages les mêmes techniques d’ostinato, de motifs ou de nappes en bourdon, un élément récurrent dans le score de « Zero Dark Thirty », comme c’est le cas dans les tenues du cello électrique et des synthétiseurs de « Tracking Calls », pour la scène où la CIA poursuit un suspect depuis son téléphone portable. Plus étonnant, « Picket Lines » utilise une série de pizzicati nerveux et rapides des cordes (doublés par une basse de synthé) sur fond de notes de piano réverbérées et de cuivres sombres. Desplat crée ici un sample synthétique plutôt étrange qui reviendra à plusieurs reprises de façon là aussi très mécanique et métronomique, illustrant la rigueur insensée et la patience incroyable des agents de la CIA pour tenter de retrouver les principaux suspects et découvrir la planque de ben Laden. La musique bascule aussi dans la dissonance avec le sinistre et menaçant « Towers » qui reprend l’entêtant ostinato de synthé de « Ammar », tandis que Desplat imite les pales d’un hélicoptère dans « Chopper » pour lequel les cuivres résonnent ici aussi dans le grave avec un ostinato de caisse claire et de synthétiseurs. Le compositeur se montre d’ailleurs particulièrement inventif ici dans son utilisation de l’électronique, n’hésitant pas à créer des sonorités parfois étranges ou inhabituelles (comme dans « Picket Lines ») pour mieux retranscrire la tension du film. Le thème principal revient enfin une dernière fois dans « Back to Base » pour la fin du film, repris à la trompette et au duduk sur fond de cuivres/cordes sombres et ostinato de synthétiseur. Alexandre Desplat signe donc une partition atmosphérique et sombre pour « Zero Dark Thirty », plutôt lente, minimaliste et immersive, utilisée avec parcimonie à l’écran mais que l’on remarque grâce à ses motifs, son thème de qualité et ses atmosphères de suspense latent mécanique et froid. A vrai dire, une bonne partie du score de Desplat repose sur cette idée d’utilisation métronomique et systématique de techniques d’ostinato (notamment dans le jeu des synthétiseurs), afin de mieux suggérer la détermination ahurissante dont font preuve Maya et ses collègues dans leur gigantesque chasse à l’homme. Evidemment, le score de « Zero Dark Thirty » ne pourra pas faire l’unanimité, en raison de son caractère froid, sombre et atmosphérique et de son côté retenu et mécanique. Mais ceux qui apprécient les travaux plus minimalistes du compositeur dans la lignée de « Syriana » ou « Argo » apprécieront à coup sûr le travail d’Alexandre Desplat sur le long-métrage de Kathryn Bigelow, parfaitement adapté au film et plutôt sombre et intense sur l’album.



---Quentin Billard