1-A Road to a Post-Town 4.36
2-Firewood-Chopping and a
Farmer Who Wants
to be a Samurai 2.08
3-Ginzo's First Command 2.09
4-The Naruto-Ya Rice Merchant Massacre 5.09
5-The Gambling House Massacre 3.14
6-The Wasteland Massacre and
The Reminiscence of Geisha 12.24
7-A House on Fire and
Massacres All Over 10.44
8-Constructors 2.14
9-O-Kagura 1.30*
10-Zatoichi Showdown 2.17
11-Festivo 3.44*
12-A Road to a Post-Town
(Alternate Mix) 4.31
13-Ginzo's First Command
(Alternate Mix) 3.39
14-A House on Fire and
Massacres All Over
(Alternate Mix) 7.16
15-Trailer 0.48

*Ecrit par Keiichi Suzuki
et The Stripes.

Musique  composée par:

Keiichi Suzuki

Editeur:

Milan Records 301 678-6

Arrangements:
Keiichi Suzuki
Programmation:
Koji Yamaoka

Artwork and pictures (c) 2003 Office Kitano. All rights reserved.

Note: ***1/2
ZATOICHI
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Keiichi Suzuki
Un an après « Dolls », l’acteur/réalisateur Takeshi Kitano nous livra en 2003 sa propre vision de « Zatoichi », célèbre héros guerrier crée par Kan Shimozawa dans les années 60 et très populaire au Japon, dont les aventures ont été maintes fois portées à l’écran et à la télévision nippone. Zatoichi a été régulièrement interprété par l’acteur Shintaro Katsu entre 1962 et 1989. Sortant d’une série de succès mitigés au cinéma, Takeshi Kitano avait besoin de redorer son blason et de se faire les dents sur un projet différent. C’est pourquoi il décida de s’attaquer à « Zatoichi », un défi risqué étant donné le statut culte de ce héros typiquement japonais de l’ère Edo. L’histoire du film se déroule ainsi en pleine ère médiévale au temps du Japon des samouraïs. Zatoïchi (Kitano) est un voyageur aveugle qui gagne sa vie en tant que masseur et joueur professionnel. Mais derrière son apparente cécité – Zatoichi garde constamment les yeux fermés – l’homme s’avère être un guerrier redoutable, qui manie le sabre à une vitesse ahurissante, faisant de lui un combattant de kenjutsu quasi invincible. Un jour, Zatoïchi arrive dans un village dirigé par Ginzo (Ittoku Kishibe), chef local tyrannique et malveillant qui sème la terreur en forçant les habitants à payer une somme d’argent considérable pour assurer leur protection, tout en se débarrassant de ceux qui se trouvent sur son chemin, épaulé par son principal bras droit, le samouraï ronin Hattori Genosuke (Tadanobu Asano). Au cours de son périple, Zatoïchi croise deux geishas dans un bar qui sont en quête de vengeance, recherchant ainsi le meurtrier de leurs parents. Notre héros décide d’aider les deux geishas (dont l’une est un homme) à accomplir leur vengeance, découvrant ainsi que les meurtriers font partie de la bande à Ginzo. C’est alors que Zatoïchi croise la route des hommes de main de Ginzo et décide de les affronter. Sortant vainqueur du combat, Zatoïchi ne tarde pas à s’attirer les foudres du chef local, révélant par la même occasion sa légendaire canne-épée qui va faire beaucoup de dégâts chez ses ennemis.

« Zatoichi » est à ce jour le plus grand succès commercial dans la carrière de réalisateur de Takeshi Kitano, récompensé à juste titre par le lion d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Venise 2003. Si « Brother » et « Dolls » ont moins convaincu le public (tout en étant pourtant de belles réussites dans leur genre !), « Zatoichi » a fait taire pour de bon les détracteurs de Kitano, qui revient en pleine forme sur ce film de sabre en hommage aux grands classiques du cinéma japonais des années 50/60. Les cheveux teints en blond, peu bavard, les yeux fermés mais une dextérité terrifiante dans le maniement de l’épée, Kitano impose d’emblée un héros pas comme les autres, une vision atypique de Zatoichi, assez éloignée de la version de Shintaro Katsu (qui était brun). Réalisé avec une certaine liberté, le film de Kitano impose une vision très personnelle de ce héros mythique, avec ses paysages évoquant un Japon ancestral lointain, ses séquences de combat d’une rare virtuosité – et aussi très sanguinaires, comme toujours chez Kitano – et ses scènes plus comiques et décalées. On retrouve ici la personnalité habituelle de Takeshi Kitano, qui illustre aussi bien la violence crue des combats (avec son sang numérique, une première chez Kitano !) que l’exubérance de certains personnages (le jeune gars qui s’entraîne tous les jours en courant autour des maisons), tout en évoquant l’idée de la tromperie et des fausses apparences à travers un personnage d’aveugle qui voit bien plus qu’il n’en dit, un vrai rôle de composition pour Kitano qui assure aussi bien la casquette d’acteur que de réalisateur, comme toujours. Le film prend parfois une tournure plus délirante, alors que le cinéaste japonais va même jusqu’à faire exécuter un numéro de claquettes à des paysans qui travaillent dans une rizière, sans oublier le numéro de comédie musicale final, qui rappelle le goût de Kitano pour les shows et le monde du spectacle (le réalisateur étant lui-même un grand spécialiste des claquettes !). Enfin, en évoquant la lutte contre les hommes de main d’un odieux chef local, Kitano nous renvoie subtilement ici à son univers habituel des yakuzas, sujet de prédilection qui hante d’ailleurs une bonne partie de sa filmographie. Film libre, virtuose, singulier, violent, poétique et parfois complètement absurde, « Zatoichi » est encore une réussite magistrale dans l’univers cinématographique de Takeshi Kitano, qui s’impose encore une fois comme l’un des meilleurs cinéastes japonais de son époque !

Suite à de profonds désaccords qui provoquèrent la fin de la collaboration entre Kitano et le compositeur Joe Hisaishi sur « Dolls » en 2002, le réalisateur décida avec « Zatoichi » de se tourner vers un nouveau musicien capable de trouver les notes justes pour illustrer ce héros masseur/aveugle qui part en croisade pour libérer un village de l’oppression. C’est ainsi que Kitano décida d’engager pour son film le compositeur Keiichi Suzuki, connu pour ses musiques de jeu vidéo chez Nintendo (« EarthBound ») et ses quelques musiques de film telles que « Uzumaki » (2000) ou « Tokyo Godfathers » (2003), sans oublier sa musique pour le film « Chicken Heart » (2002), d’Hiroshi Shimizu, alors assistant de Kitano à l’époque (ceci expliquant peut être cela). Suzuki est aussi connu pour avoir fondé le groupe de rock nippon « Moonriders » en 1975, avec lequel il collabora pendant quelques décennies en tant qu’arrangeur, chanteur, auteur et compositeur. Ainsi donc, Keiichi Suzuki était un choix parfaitement inattendu et atypique sur « Zatoichi », alors que, selon les dires de Takeshi Kitano lui-même, Joe Hisaishi ne correspondait plus à son univers cinématographique personnel. A l’écoute de la musique de Suzuki dans le film, on se laisse très vite surprendre par les particularités de cette musique, tour à tour mélodique, abstraite, rythmique et expérimentale. La musique de « Zatoichi » est entièrement synthétique et minimaliste, dans un style un peu froid qui risque d’en rebuter quelques uns à la première écoute. Mais ce serait trop vite oublier que les premières musiques d’Hisaishi pour Kitano étaient elles aussi bien souvent synthétiques et possédaient pourtant une âme et un charme certain. Moins accrocheuse que la musique d’Hisaishi, celle de Suzuki possède pourtant ses propres qualités intrinsèques qui méritent de ne pas s’attarder davantage sur une comparaison superflue avec Hisaishi, les deux musiciens possédant des univers musicaux totalement différents. Le film débute avec « A Road to A Post-Town » qui introduit l’arrivée de Zatoichi dans le village avec un rythme constant et une utilisation de samples orchestraux divers. Le rythme est l’élément clé du score de Zatoichi, puisque Keiichi Suzuki va même jusqu’à sampler le son des paysans en train de bêcher un champ pour s’en servir comme d’un élément rythmique à part entière, une idée originale et astucieuse typique du travail de Suzuki dans le film. La musique suit alors le rythme des bêches des paysans dans la scène du film, un rythme image/musique en symbiose parfaite, qui ancre la partition dans le contexte de l’époque du film (le Japon médiéval ancestral), avec l’anachronisme étonnant de l’approche entièrement électronique.

Expérimentant ses différentes sonorités synéhtiques, Keiichi Suzuki offre dans « Firewood-Chopping and a Farmer Who Wants To Be A Samurai » une musique plus disparate et énigmatique, avec des éléments plus représentatifs de la culture musicale japonaise traditionnelle que le compositeur connaît bien, et notamment dans le jeu des percussions ethniques/asiatiques lors des scènes avec le paysan qui s’entraîne pour devenir un samouraï. Libre dans sa façon de penser et de concevoir la musique, Suzuki prolonge ses expérimentations électroniques dans un « Ginzo’s First Command » plus abstrait, avec ses motifs de synthétiseurs répétitifs et minimalistes et ses percussions disparates. La première scène de massacre (« The Naruto-Ya Rice Merchant Massacre ») permet au compositeur de développer un motif entêtant et répétitif de piano et percussions, dans un style radicalement minimaliste. Ici aussi, le rythme est un élément-clé de la musique de Suzuki, notamment dans le jeu solo des percussions électroniques diverses durant la scène de massacre, dont l’amplitude sonore est réduite ici au minimum afin de prendre le contre-pied de la violence à l’écran, un choix plutôt radical et étonnant à l’écran, preuve de l’inventivité atypique du compositeur. Même chose pour « The Gambling House Massacre », qui accompagne la scène du combat dans la salle de jeu à l’aide de samples de chant traditionnel nippon et d’instrumentation ethnique plus typique de la musique japonaise d’antan, sur fond de basse synthétique moderne et urbaine. Suzuki cherche ici la confrontation des époques et des sonorités en alliant tradition et modernité, un peu comme le fit Toru Takemitsu dans certaines de ses musiques de films japonais des années 70/80. Les scènes de combat offrent donc l’occasion à Keiichi Suzuki de développer des rythmes entêtants, des percussions en tout genre et une utilisation souvent étrange et décalée du piano, comme dans « The Wasteland Massacre and The Reminiscence of Geisha », long morceau de plus de 12 minutes qui reprend le thème de Zatoichi entendu au début du film dans « A Road to A Post-Town ».

Assumant pleinement la carte du décalage et de l’anachronisme, Keiichi Suzuki va même jusqu’à multiplier les rythmes électro/techno et les pads saturés et imposants dans l’intense et dramatique « A House on Fire and Massacres All Over », où il accentue l’idée de la violence avec son flot incessant de percussions/rythmes électro et de pads étranges quasi surréalistes. Suzuki décrit ici de façon atypique la violence des combats avec une vraie personnalité musicale, qui risque fort d’en rebuter plus d’un à la première écoute, mais qui grandit au fil des écoutes et finit par s’imposer comme une évidence parfaite sur les images du film de Takeshi Kitano. Dans « Constructors », Suzuki reprend le principe établi dans « A Road To A Post-Town », à savoir sampler des ouvriers en train de construire une maison et s’en servir comme base rythmique pour son morceau, sur fond de synthétiseurs et de violons samplés. Enfin, le film se termine sur la danse tribale débridée de « O-Kagura » et « Festivo » à la fin du film, les personnages ayant survécus aux combats célébrant leur victoire contre la mort dans une danse déchaînée et exubérante à grand renfort de numéros de claquettes (l’une des passions personnelles de Kitano, qui n’hésite pas à donner lui-même de sa personne dans ce numéro de claquette final en guise d’apothéose !). « Festivo » contient aussi une dimension humoristique plus étonnante, typique de l’univers de Kitano qui, rappelons-le, s’est fait connaître à ses débuts à la télévision nippone en tant qu’humoriste (« Beat » Takeshi). L’album de « Zatoichi » nous propose pour finir des versions alternées intéressantes de « A Road To A Post-Town » ou « Ginzo’s First Command », qui nous permettent d’entendre les idées initiales de Keiichi Suzuki, finalement non retenues pour le film, mais qui témoignent là aussi de l’inventivité incroyable du compositeur, qui a décidément de la suite dans les idées. Vous l’aurez donc compris, la partition de « Zatoichi » est une surprise incontestable de la part d’un compositeur relativement peu connu au cinéma. Keiichi Suzuki expérimente grâce au film de Takeshi Kitano et livre une composition électronique plutôt atypique essentiellement basée sur le rythme et les motifs répétitifs et minimalistes. En symbiose parfaite avec les images, même jusque dans les samples des ouvriers construisant une maison ou des paysans qui bêchent un champ, la musique de Keiichi Suzuki entretient un lien évident avec l’idée de la chorégraphie, celle des combats mais aussi des personnages dont les existences se croisent et s’entrechoquent, à l’image du sabre de Zatoichi, que le héros aveugle dégaine avec la rapidité de l’éclair pour défendre les opprimés ou pourfendre les criminels malveillants. Evidemment, les nostalgiques de Joe Hisaishi auront du mal avec la froideur apparente du score de « Zatoichi » et son manque d’émotion ou de relief, mais toujours est-il que le résultat est ce qu’il est et que la musique est en symbiose parfaite avec le film, et constitue par la même occasion une écoute plutôt curieuse et intéressante sur l’album, un score assez atypique qui devrait satisfaire à coup sûr les fans des films de Takeshi Kitano !



---Quentin Billard