1-Opening Titles/
Revolution in the Air 1.08
2-Daisy's Theme/Embarkation 2.29
3-War Lament 5.53
4-Foxhunt 6.09
5-Children's Theme 3.53
6-Abduction of Ned 1.50
7-Forest Search/Attack 3.10
8-Journey To The Hogan 1.37
9-Lovers (Ned & Bella/
Daisy & Tom)/Attack/
Field of the Dead 6.18
10-Searching for Daisy/End Title 8.05

Musique  composée par:

John Corigliano

Editeur:

Varèse Sarabande 302 067 000 2

Album produit par:
John Corigliano, Robert Townson
Interprété par:
The National Philharmonic Orchestra
Conduit par:
Harry Rabinowitz
Monteur musique:
Robin Clarke
Orchestrations:
John David Earnest

Artwork and pictures (c) 1985/2009 Warner Bros. Entertainment, Inc. All rights reserved.

Note: *****
REVOLUTION
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by John Corigliano
Auréolé par le succès de ses premiers films, « Chariots of Fire » (1981) et « Greystoke the Legend of Tarzan, Lord of the Apes » (1984), le réalisateur britannique Hugh Hudson décida de changer de sujet avec « Revolution », ambitieuse production historique sortie en 1985 avec Al Pacino, inattendu dans un film historique de ce genre (l’acteur était jusqu’ici essentiellement cantonné aux rôles de mafieux et de gangsters dans des films cultes tels que « Scarface », « Dog Day Afternoon » ou la trilogie « The Godfather »). Le film nous replonge dans les années de la guerre d’indépendance américaine de 1776, à l’aube de la création des Etats-Unis. Tom Dobb (Al Pacino), un modeste émigrant écossais, vient tout juste d’arriver à New York avec son jeune fils Ned (Sid Owen). Mais la ville est en proie à une révolte contre le pouvoir des anglais, et les révolutionnaires sont en train de lever une armée pour combattre le régime britannique. Tom ne se sent absolument pas concerné par cette lutte, mais son fils Ned est engagé de force par les révolutionnaires. Tom s’engage alors à son tour dans l’armée révolutionnaire américaine pour pouvoir protéger son fils. Mais sur le champ de bataille, la guerre fait ravage et les morts s’accumulent. Tom fait alors la connaissance d’une jeune révolutionnaire aristocrate et idéaliste, Daisy Mc Connahay (Nastassja Kinski), qui va le suivre sur le front pour s’occuper des soldats blessés et du ravitaillement. C’est alors que Ned est fait capturé par les soldats anglais et rejoint le clan des prisonniers américains, maltraités par les soldats du tyrannique sergent major Peasy (Donald Sutherland). Tom va alors tout faire pour retrouver son fils et prendra part à des batailles importantes qui forgeront le destin d’une nation toute entière. « Revolution » était un pari risqué et plutôt audacieux en 1985 : grande production britannique du studio anglais Goldcrest au budget conséquent pour l’époque (28 millions de dollars), le film aborde un sujet rare au cinéma, la guerre d’indépendance américaine, avec un casting remarquable, jusque dans les seconds rôles (Al Pacino, Nastassja Kinski, Donald Sutherland, Steven Berkoff, Annie Lennox, Joan Plowright, etc.). Sur le papier, « Revolution » avait tout pour réussir. Mais le film fut au final un gigantesque gouffre financier et un échec cuisant au box-office 1985 : avec un chiffre d’affaire d’à peine 346.761 dollars aux USA, « Revolution » s’écroula rapidement et fut même nominé 4 fois aux Razzie Awards de l’époque (pire film, pire réalisateur, pire acteur et pire musique) et remporta 1 Stinkers Bad Movie Awards dans la catégorie pire film. Le film fut un tel échec qu’il causa du tort à la carrière d’Al Pacino, qui mit près de 4 ans avant de retrouver un projet sérieux (le thriller « Sea of Love » en 1989). Quand au réalisateur Hugh Hudson, il mit lui aussi du temps avant de tourner un autre film en 1989 avec « Lost Angels ».

Pourtant, le film n’a rien de réellement honteux mais fut trop rapidement mis au placard par les critiques et les spectateurs de l’époque à cause d’un montage bâclé rapidement, à la demande du studio Goldcrest qui souhaitait que « Revolution » sorte rapidement en salle en même temps que leurs deux autres productions majeures de l’époque, « The Mission » et « Absolute Beginners » (qui fut aussi un échec cuisant au box-office). Hélas pour le studio, seul « The Mission » de Roland Joffé remporta un vif succès auprès du public, y compris au festival de Cannes où il remporta la Palme d’or en 1986. Conséquence de tout cela : « Revolution », sorti à la va-vite sur les écrans en 85 avec un montage inachevé, des ellipses incompréhensibles et surtout un manque total de développement des personnages (notamment dans la relation entre Al Pacino et Nastassja Kinski dans le film, curieusement survolée et incomplète), ne parvint pas à trouver son public, surtout en pleine ère reaganienne où il était plutôt mal venu de sortir un film qui ne valorise pas le militarisme américain ou le patriotisme U.S. (« Revolution » est une charge évidente contre la guerre en général – cf. scène symbolique où Al Pacino et son fils refusent de tuer le sergent major Peasy à la fin du film). Le montage et le ton anti-militariste du film n’étaient pas les seules causes du naufrage de « Revolution » en 1985, puisqu’on a aussi beaucoup reproché à Al Pacino son interprétation inégale dans le film, l’inconsistance et le manque de développement du personnage de Nastassja Kinski ou le méchant ultra caricatural et cartoonesque campé par Donald Sutherland. Et pourtant, « Revolution » contient des qualités évidentes : paysages grandioses, scènes de bataille épiques, sujet historique peu abordé au cinéma, casting de luxe, le tout porté par une caméra à l’épaule à la limite du documentaire. Fort heureusement, Hugh Hudson décida de ressortir le film en 2009 dans un tout nouveau montage plus fluide et compréhensible, ainsi que le rajout d’une toute nouvelle voix-off d’Al Pacino réenregistrée spécialement pour l’occasion. Cette nouvelle version 2009 nous permet enfin d’apprécier « Revolution » à sa juste valeur, et d’oublier la ‘malédiction’ qui entoure le film, car le long-métrage d’Hugh Hudson est un spectacle de haut niveau et un film historique de grand intérêt, injustement boudé à sa sortie en 1985 mais que l’on pourra enfin redécouvrir dans une toute nouvelle version à la hauteur des efforts du cinéaste britannique !

La partition symphonique de John Corigliano est à coup sûr l’un des éléments clé du film d’Hugh Hudson, qui a toujours su s’entourer des meilleurs compositeurs sur ses différents projets. Corigliano était surtout connu à l’époque pour son unique musique de film écrite en 1980 pour « Altered States » de Ken Russell, et pour ses nombreuses oeuvres de concert. Musicien savant et grand nom de la musique contemporaine américaine, John Corigliano fut remarqué grâce à sa musique de « Altered States » et releva le challenge d’écrire une grande partition symphonique épique et dramatique pour « Revolution ». Dans une note du livret de l’album, Hugh Hudson explique que Corigliano possède la capacité d’écrire une musique évoquant les émotions humaines sans jamais tomber dans le mélodrame hollywoodien ou le sirupeux, et qu’il maîtrisait parfaitement les différents concepts opposés d’un conflit dévastateur et d’une relation intime entre un père et son fils. Hélas, l’échec catastrophique du film en 1985 incita à son tour John Corigliano à se retirer définitivement du monde de la musique de film qu’il n’avait donc côtoyé qu’à deux reprises, et ce bien avant de signer sa plus belle musique de film (oscarisée) pour « The Red Violin » en 1999. C’est d’autant plus regrettable que le compositeur américain possède un style qui sied parfaitement au cinéma et qui aurait certainement permis au compositeur d’écrire d’autres grandes musiques de film entre 85 et 99 – il faut d’ailleurs rappeler que, comme si l’échec du film ne suffisait pas, la musique de John Corigliano a aussi été nommé aux Razzie Awards de 1985 dans la catégorie « pire musique », un choix douteux et navrant de la part des responsables de la cérémonie des Razzie Awards, qui s’inscrivait avec une mauvaise foi certaine dans une volonté délibérée de briser le film et ses concepteurs par tous les moyens, une humiliation absolue pour le compositeur ! Comme le film, la partition de John Corigliano fut donc une oeuvre injustement incomprise en son temps, mais grâce à la ressortie du film en DVD en 2009 sous le titre « Revolution Revisited », le label Varèse Sarabande décida de ressortir le travail de Corigliano en CD, alors que le score, initialement prévu en 85 pour une édition CD chez RCA Records, ne fut même pas édité suite à l’échec du film et tomba dans les oubliettes pendant des décennies ! Autre problème de taille : le score fut remonté de façon bancale et parfois anarchique dans le film, en raison d’un montage expédié à la va-vite à la demande du studio Goldcrest. Et pourtant, malgré tous ces problèmes, le score est enfin là, présenté dans son intégralité sur l’album de Varèse Sarabande, et c’est une redécouverte majeure et passionnante pour tous fans de musique de film qui se respecte !

Avec le National Philharmonic Orchestra dirigé par Harry Rabinowitz, John Corigliano élabore une grande partition symphonique classique, romantique, tragique et sombre, mélangeant les techniques et les styles avec une habileté confondante. Le film débute avec le tumultueux et anarchique « Opening Titles : Revolution in the Air ». Les fans des musiques atonales contemporaines de Corigliano et de son travail hallucinant sur « Altered States » seront ravis de retrouver ici un compositeur en pleine esthétique avant-gardiste, dans la continuité de ses oeuvres de concert atonales héritées d’un langage musical savant du XXe siècle. Ainsi, le film commence au son de mouvements instrumentaux anarchiques baignant dans une atmosphère atonale et dissonante assez saisissante : glissandi rapides et suraigus des cors, intervalles extrêmes (le film débute sur une impressionnante neuvième majeure des cors), nuages sonores des piccolos, clusters des trompettes en sourdine, vibratos en quart de tons, trémolos agressifs des cordes, ponctuations aléatoires des percussions – incluant des caisses claires martiales annonçant l’ère de la révolution et de la guerre – « Opening Titles : Revolution in the Air » affiche d’emblée une sauvagerie musicale impressionnante dans la continuité de « Altered States », avec un orchestre puissant, virtuose et imposant, à l’image du film, annonçant une révolution américaine en train d’éclater, à l’image d’un orchestre explosif, d’une agressivité incroyable. Corigliano dévoile ensuite son premier thème majeur dans « Daisy’s Theme : Embarkation », entendu là aussi au début du film (à 0:22). Il s’agit d’un thème plus intime entièrement mené par une flûte soliste éthérée brillamment interprétée par le flûtiste anglais Sir James Galway, un thème de qualité, fragile, optimiste et poétique, associé dans le film au personnage idéaliste et rebelle de Daisy (Nastassja Kinski), et que l’on retrouvera dans certains moments-clé de l’histoire, notamment pour la relation entre Tom et Daisy. A noter que le morceau se termine pour l’arrivée de Tom et Ned à New York avec une tin whistle soliste et planante aux notes mélancoliques et fragiles, sur fond de contrebasses graves et pesantes. Corigliano joue ici aussi sur les registres extrêmes entre le suraigu de la tin whistle celtique (probablement en référence aux origines écossaises de Tom Dobb) et la gravité des contrebasses.

La partition de « Revolution » contient aussi des grands moments d’émotion, avec ce qui pourrait être LE moment le plus bouleversant de la musique de John Corigliano, l’élégiaque « War Lament », lamentation funèbre incroyablement poignante pour accompagner la tragédie de la guerre et des pertes humaines dans le film. Mais alors que Tom et Ned se battent sur le champ de bataille et voient les corps tomber tout autour d’eux, le réalisateur choisit de supprimer progressivement les sons et de laisser la musique prendre le dessus : le résultat est assez extraordinaire émotionnellement, avec un thème tragique développé pendant plus de 5 minutes par les différents pupitres de l’orchestre. Tragique, désespéré, brutal, bouleversant, funèbre, « War Lament » respire le drame et la mort, avec ses lamentations extrêmes des cordes, ses cuivres funèbres et ses timbales meurtrières. A la violence des combats, Corigliano préfère répondre par un véritable thrène pour les victimes de la guerre, une véritable épitaphe musicale pour ceux qui ont donné leur vie afin que les Etats-Unis puissent naître enfin. Très classique et post-romantique dans l’âme, « War Lament » s’inspire de modèles musicaux évidents du XIXe et XXe siècle (on pense à l’Adagietto de la 5ème Symphonie de Mahler, à l’Adagio de Barber ou au « War Requiem » de Britten) et apporte un souffle tragique déchirant à cette séquence de bataille du film, accentuant la dénonciation de la guerre et le pamphlet anti-militariste du film d’Hugh Hudson : un grand moment de musique, tout simplement (le compositeur reprendra ce thème quelques années plus tard dans sa 1ère Symphonie en hommage à des amis décédés du SIDA) !

Et si cela ne vous a pas convaincu, attendez d’écouter la suite, car Corigliano a encore quelques tours dans son sac : ainsi, on découvre avec joie un autre grand classique de la partition de « Revolution », le superbe « Foxhunt », scène de chasse à courre cruelle durant laquelle Tom et un autre prisonnier deviennent les proies de chasseurs anglais. Corigliano imite ici les Zmusiques de chasse à courre dans la plus pure tradition française de la vénerie, comme on pouvait les concevoir dans le temps, avec des modèles évidents qui nous viennent immédiatement en tête : la chasse au renard dans « The List of Adrian Messenger » de Jerry Goldsmith (1963) ou dans « The Final Conflict » du même Goldsmith (1981), la scène de chasse à courre dans « Marnie » (1964) de Bernard Herrmann, sans oublier les musiques de chasses royales de Jean-Baptiste Lully durant l’époque baroque. Corigliano reste fidèle à ce style de musique très codifié dans « Foxhunt » – appels de cors en arpèges majeurs – créant un superbe scherzo très classique d’esprit à la Mendelssohn (à la façon du « songe d’une nuit d’été »), dans lequel les cuivres se répondent entre eux tandis que le thème entraînant du scherzo poursuit son chemin. Idée intéressante et déroutante que nous propose ici le compositeur : superposer le scherzo triomphant de la chasse à courre avec le thème tragique aux cordes du « War Lament » à partir de 3:40, la a juxtaposition étonnante des deux morceaux (dans deux tonalités différentes !) étant plutôt atypique et extrêmement déroutante, accentuant encore une fois de façon brillante l’idée de la violence de la guerre.

Avec « Revolution », les morceaux d’anthologie se succèdent donc ainsi de suite, et ce malgré la courte durée du score (une quarantaine de minutes environ). On découvre aussi le magnifique « Children’s Theme », thème intime et mélancolique dominé par la flûte et la tin whistle délicate et chaleureuse de Sir James Galway, une mélodie d’une grande beauté, en hommage aux très jeunes soldats et préadolescents qui constituèrent une grande partie des victimes durant cette guerre. Encore une fois, et comme pour « War Lament », Corigliano a conçu ce thème comme un hommage aux victimes de la guerre et à ceux qui ont donné leur vie pour que les Etats-Unis puissent voir le jour. A noter que « Children’s Theme » inclut par la même occasion des allusions au très beau thème de flûte de Daisy. Dans « Abduction of Ned », on retrouve la tin whistle des enfants lors de la scène où Ned est capturé par les soldats anglais, avec une seconde partie plus tourmentée au violoncelle, avec l’emploi remarquable d’une petite formation à cordes, très classique d’esprit, pour évoquer le sergent major Peasy et son caractère maléfique. On retrouve aussi le Corigliano des musiques atonales/dissonantes dans l’impressionnant et agressif « Forest Search : Attack » alors que Tom part secourir son fils Ned dans la forêt et tue par la même occasion un indien traqueur de l’armée britannique. Corigliano élabore ici un long crescendo menaçant de cordes dissonantes lent et progressif, sur fond de nuages sonores des bois et des cordes, et de ponctuations diverses des percussions boisées évoquant la nature sauvage. La musique s’enfonce ici dans un large crescendo angoissant absolument terrifiant, débouchant sur une explosion orchestrale d’une violence ahurissante à 2:40, avec des clusters sauvages de cuivres extrêmes – sans aucun doute l’un des passages les plus impressionnants de la partition de « Revolution » - La traque continue dans « Journey to the Hogan », le compositeur développant ici ses atmosphères dissonantes et menaçantes de « Forest Search : Attack ».

Enfin, l’album se termine sur deux suites regroupant les morceaux du dernier acte du film, à commencer par l’intense « Lovers (Ned & Bella, Daisy & Tom)/Attack/Field of the Dead ». Corigliano développe ici le « Children’s Theme » et le « Daisy’s Theme » pour les romances naissantes, sans oublier l’aria pour la soprano soliste composé par Corigliano lors de la fin de la guerre (remplacée dans le film par le chant traditionnel « Minstrel Boy »). Morceau inédit jusqu’à présent, l’aria final de « Revolution » est sans aucun doute la plus belle surprise de cet album, un morceau poignant sur fond de samples de vent qui évoque un sentiment de désolation sur les terres dévastées. Puis, « Searching for Daisy/End Title » vient conclure le film en beauté, 8 minutes incroyablement intenses débutant sur un crescendo dramatique dissonant de l’orchestre pour la version originale du film (alors que le morceau a été retiré de la version de 2009) lorsque Tom parcourt la foule à la fin du film à la recherche de Daisy. Les retrouvailles entre Tom et Daisy dans la version de 1985 permettent à Corigliano de déboucher sur une reprise grandiose et lyrique du « Daisy’s Theme » aux cordes dans toute sa splendeur. Le film se conclut sur une magnifique reprise du « Children’s Theme » à la tin whistle/flûte et l’orchestre. Voilà donc une partition incroyablement riche, puissante et bouleversante qui ne laissera personne indifférent, tant la musique écrite par John Corigliano s’avère être extraordinairement intense, variée et émotionnellement très forte, que ce soit dans les moments les plus sombres ou dans les élégies funèbres des scènes de bataille, ou bien encore dans les thèmes mémorables au lyrisme bouleversant. Le paradoxe de « Revolution » est donc là : musique conspuée en son temps (comme le film), le score de John Corigliano prend aujourd’hui des allures de chef-d’oeuvre de la musique de film, une oeuvre rare d’une qualité incroyable digne des plus grands maîtres, passionnante de bout en bout, dans laquelle tout est bon, aussi bien dans le film où la musique apporte une force de conviction rare aux images que sur l’album, dans lequel la musique s’écoute comme une vraie oeuvre de concert à part entière !




---Quentin Billard