1-Nina's Dream 2.48
2-Mother Me 1.06
3-The New Season 2.39
4-A Room Of Her Own 1.56
5-A New Swan Queen 3.28
6-Lose Yourself 2.08
7-Cruel Mistress 3.29
8-Power, Seduction, Cries 1.42
9-The Double 2.20
10-Opposites Attract 3.45
11-Night of Terror 8.01
12-Stumbled Beginnings... 3.51
13-It's My Time 1.30
14-A Swan Is Born 1.38
15-Perfection 5.44
16-A Swan Song (for Nina) 6.23

Musique  composée par:

Clint Mansell

Editeur:

Sony Classical 88697813562

Musique extraite du "Lac des Cygnes"
de Piotr Ilyich Tchaikovsky
Adaptée et arrangée par:
Clint Mansell, Matt Dunkley
Score conduit et orchestré par:
Matt Dunkley
Préparation du score:
Jill Streater, David Russell
Producteur enregistrement:
Geoff Foster
Préparation musique:
Jill Streater
Assistant technique:
Nigel Wiesehan
Consultant musical:
Chris Benstead
Préparation MIDI:
David Russell
Monteur musique:
Nancy Allen
Supervision musique:
Jim Black, Gabe Hilfer
Direction de la musique pour
20th Century Fox:
Robert Kraft
Musique supervisée pour la
20th Century Fox par:
Tom Cavanaugh
Coordinateur production musique:
Rebecca Morellato
License produit pour
Sony Classical International:
Mark Cavell
Développement produit pour
Sony Classical International:
Isabelle Tulliez
Producteur exécutif de l'album:
Darren Aronofsky

Artwork and pictures (c) 2010 Twentieth Century Fox Film Corporation. All rights reserved.

Note: ***1/2
BLACK SWAN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Clint Mansell
Pour son cinquième long-métrage, le surdoué Darren Aronofsky nous livre avec « Black Swan » un thriller psychologique assez dense et dérangeant, tourné entièrement dans l’univers peu abordé au cinéma des danseuses de ballet classique. On y suit le parcours chaotique de Nina (Natalie Portman), jeune danseuse de ballet de la troupe du New York City Ballet, prête à tout pour obtenir le rôle principal de la ‘reine des cygnes’ dans le célèbre « Lac des Cygnes » de Piot Illitch Tchaïkovski qu’est en train de monter le maître de ballet, l’ambigu Thomas Leroy (Vincent Cassel). Après quelques essais, ce dernier pressent que Nina pourra être danse le Cygne blanc, en revanche, comme il s’agit d’un double rôle, et qu’il faut aussi trouver quelqu’un pour incarner le double maléfique, le Cygne noir, Thomas préfère Lily (Mila Kunis), qui lui semble plus adaptée pour ce rôle. Avec une conviction inébranlable et beaucoup de sacrifices (et de souffrance), et malgré son apparente fragilité, Nina finit par décrocher le rôle de la reine des cygnes, au détriment de Veronica (Ksenia Solo). Après plusieurs répétitions, Nina, qui subit la pression de sa mère possessive Erica (Barbara Hershey), qui tente de la surprotéger de tout et l’empêche de faire ce qu’elle veut, commence à sombrer dans la folie : elle s’imagine que des plumes de cygnes poussent sur son dos et aperçoit des visions d’elle un peu partout où elle va. Thomas pressent alors sa capacité à jouer le cygne noir mais exige d’elle qu’elle libère toute sa sensualité : pour se faire, il décide de l’embrasser mais le résultat n’est pas à la hauteur de ses attentes. Au cours d’une soirée de gala où elle accompagne Thomas, Nina fait la connaissance de Beth Macintyre (Winona Ryder), ancienne danseuse de ballet qui approche de la quarantaine, et qui annonce qu’elle ne dansera plus jamais. Furieuse et soûle, Beth s’en prend à Nina en lui hurlant dessus, puis quitte la salle en catastrophe. Peu de temps après, Beth est renversée et se retrouve à l’hôpital avec deux jambes cassées : son destin est brisé à jamais. Au même moment, Nina, qui décide de lui rendre visite, commence à sombrer de plus en plus dans la folie, alors qu’on la devine schizophrène, victime de ses propres hallucinations : elle ne parvient pas à égaler la sensualité de son double maléfique, le cygne noir, et ressent une attirance pour Lily, sa camarade mais néanmoins concurrente sérieuse, qui réussit là où Nina échoue. Comme souvent avec Darren Aronofsky, « Black Swan » est un film oppressant et incroyablement immersif dont on ne ressort pas indemne. A l’inverse de beaucoup de productions hollywoodiennes d’aujourd’hui, « Black Swan » s’avère être quasi exclusivement centré sur ses personnages, avec un véritable rôle de composition pour Natalie Portman, un personnage d’une épaisseur ahurissante et d’une complexité redoutable.

Le film aborde non seulement l’univers très clos (et souvent méconnu) des danseuses de ballet classique, un univers exigent, rigoureux et plus difficile qu’il n’y paraît, mais se construit aussi sur l’idée de la schizophrénie de son personnage principal, une schizophrénie symbolisée ici à travers l’oeuvre phare de Tchaïkovski, le « Lac des Cygnes », qui sert de mise en abîme à cette confrontation entre la jeune danseuse et ses concurrentes. Reflétant l’évolution du célèbre ballet du grand maître russe composé entre 1875 et 1876, « Black Swan » se construit autour de la double personnalité de Nina, jeune danseuse fragile et bridée qui cherche à se surpasser pour obtenir le rôle du Cygne noir et triompher sur la scène, lors d’une représentation finale exceptionnelle qui se conclura aussi de façon tragique (comme dans la pièce de Tchaïkovski). Abordant le thème de la dualité bien/mal et de la schizophrénie, le film de Darren Aronofsky est entièrement filmé caméra à l’épaule, comme une série de saynètes à la limite du documentaire, suivant le personnage de Natalie Portman partout où elle va, comme s’il désirait ne jamais la lâcher un instant, à l’instar de sa mère possessive et surprotectrice, chez qui elle vit encore malgré son âge (et brillamment interprétée par une Barbara Hershey devenue trop rare à l’écran). Cette façon de filmer l’actrice rappelle aussi le goût du réalisateur pour cette recherche de perfection, du plan parfait, à l’instar de l’obsession de Nina dans le film, qui cherche à atteindre la perfection dans son art (et qu’elle atteindra finalement à la fin du film, au prix de nombreux sacrifices), quitte à monopoliser une bonne partie du film et à retenir l’attention de tous au cours d’un final anthologique digne des plus grands moments de l’histoire du septième art. Evidemment, la réalisation immersive de Darren Aronofsky apporte au récit une dimension psychologique/freudienne saisissante mais aussi évidente (la fille qui cherche à ‘éliminer’ sa mère et découvre la figure oedipienne du père dans le personnage ambigu de Vincent Cassel, qui symbolise l’éveil à la sexualité chez la jeune fille), tandis que l’on ressent un sentiment de suffocation tout au long du film, une quasi claustrophobie douloureuse dans la façon dont Aronofsky parvient à nous enfermer brillamment dans les méandres de l’esprit torturé de Nina (le film a aussi été tourné au format 16 mm, apportant un grain particulier à l’image qui renforce la sensation immersive et claustrophobique du récit). Cette sensation de douleur, on la ressent très fortement tout au long du film, surtout dans cette manière dont le cinéaste filme les souffrances et les douleurs des corps des danseuses du New York City Ballet, des douleurs qu’elles s’infligent bien souvent elles-mêmes, comme pour rappeler l’idée que l’art et la passion sont étroitement liés à la quête de la perfection, une quête destructrice dans laquelle il est facile de se perdre. Tel semble d’ailleurs être le message du film d’Aronofsky, renvoyant à ses propres obsessions de perfection artistique, qui débouchent sur un nouveau chef-d’oeuvre, salué par le public et la critique à sa sortie en 2010 et par une pluie de récompenses dont l’Oscar de la meilleure actrice pour Natalie Portman.

Clint Mansell retrouve à nouveau Darren Aronofsky sur « Black Swan » pour la cinquième fois après « Pi » (1998), « Requiem for a Dream » (2000), « The Fountain » (2006) et « The Wrestler » (2008). Le compositeur concocte pour « Black Swan » une partition orchestrale/électronique résolument sombre, nerveuse et torturée, reflétant l’état d’esprit complexe et dérangé de la jeune Nina dans le film. La musique de Clint Mansell cohabite d’ailleurs tout au long du film avec celle de Tchaïkovski, mais réussit malgré tout à trouver sa place sur les images, offrant un contrepoint émotionnel intéressant à la trame psychologique du récit centré sur le personnage de Natalie Portman. Pour refléter les obsessions et la schizophrénie de l’héroïne de « Black Swan », Clint Mansell utilise habilement la musique de Tchaïkovski qu’il n’hésite pas à ‘pervertir’ ou manipuler en y ajoutant des sonorités électroniques voire menaçantes, comme pour mieux personnifier l’esprit dérangé de Nina. C’est ce que l’on devine dès l’introduction du film dans « Nina’s Dream », qui reprend le fameux thème dramatique du Cygne extrait de l’Introduction dramatique du « Lac des Cygnes » de Tchaïkovski, avec l’ajout de quelques nappes sonores torturées et de sonorités sombres qui semblent déjà en dire long sur le protagoniste principal du récit. Très présent tout au long du film, le thème du Cygne est adapté, réarrangé et développé pour les besoins du film, tout comme le célèbre « Danse des petits cygnes » de l’acte II du ballet, lui aussi assez présent (on peut par exemple l’entendre à partir de 1:34 dans « Stumbled Beginnings »). A partir de l’oeuvre culte de Tchaïkovski, Clint Mansell élabore l’essentiel de sa partition faite de variations mélodiques, de passages sombres et de sonorités complexes, ambiguës ou torturées, avec, cerise sur le gâteau, un classicisme musical hérité du grand maître russe du XIXe siècle. L’idée était aussi d’évoquer le maléfique Cygne noir avec les parties électroniques de Clint Mansell, et le Cygne blanc avec la musique de Tchaïkovski. Dans « Mother Me », Mansell nous offre par exemple l’un de ses propres thèmes pour hautbois, piano et cordes constitué de notes ascendantes puis descendantes dont l’écriture rappelle subtilement celle de Tchaïkovski. « The New Season » introduit un autre thème important du score : un motif simple en notes descendantes du piano aux consonances logiquement classiques et élégantes, thème mélancolique entendu notamment à 1:50 dans « The New Season » et repris de façon similaire dans « A Room of Her Own » à 1:22, avec toujours la présence indispensable du piano, instrument-clé du score de Clint Mansell, accompagné ici des cordes. Ce thème entêtant revient aussi dans « Cruel Mistress », notamment à 2:03.

Mansell poursuit son exploration de l’oeuvre de Tchaïkovski dans « A New Swan Queen », où il devient parfois compliqué de savoir où commence la musique du compositeur russe et la musique originale de Clint Mansell : le compositeur anglais brouille ainsi habilement les pistes dans le film, comme pour mieux retranscrire la folie et les obsessions de Nina à l’écran, notamment à travers l’emploi de sonorités électroniques étranges, abstraites, mystérieuses et menaçantes. « Lose Yourself » développe des cordes mélancoliques minimalistes avec l’emploi de synthétiseurs sombres qui viennent obscurcir l’ambiance du morceau de façon troublante (élément récurrent dans la partition de « Black Swan »), notamment avec l’emploi d’un motif répété de 3 notes de guitare électrique aux sonorités déformés et retravaillées par traitement de son. Dans « Cruel Mistress », le piano domine là aussi la musique avec toujours ce ton lent, sombre et vaguement mélancolique, et ce sound design synthétique particulièrement inquiétant et de plus en plus troublant, notamment lorsque Mansell incorpore des sonorités dissonantes et tendues. « Power, Seduction, Cries » évoque une atmosphère sombre et morose typique du compositeur, tandis que « The Double » renforce l’idée de la descente anx enfers de Nina et sa schizophrénie qui lui fait perdre toute lucidité. On retrouve aussi l’idée des obsessions de la jeune danseuse de ballet avec le développement ici d’un motif de 3 notes descendantes au piano, le tout avec une retenue et un minimaliste impressionnant et pourtant porteur de sens. « Opposites Attract » reprend les cordes mélancoliques de « Lose Yourself » dans une atmosphère similaire et développe l’entêtant motif de 3 notes de guitare déformée pour suggérer la folie de Nina, notamment durant sa scène lesbienne avec Lily. Mansell accentue ici l’utilisation des synthétiseurs pour assombrir la scène, entamant un grand crescendo dramatique assez saisissant, notamment lorsque le motif de 3 notes se voit adjoindre un accompagnement rythmique rock de la batterie, débouchant sur un climax intense, notamment dans l’utilisation de cuivres agressifs et d’un violon soliste sur fond de roulements de caisse claire. Mansell juxtapose habilement ici les éléments de Tchaïkovski et ses propres idées sonores/mélodiques pour un final évoquant clairement l’orgasme de Nina dans la scène, à la découverte de sa propre sexualité.

Et c’est en toute logique que l’on débouche sur le dernier acte du film dans le tumultueux et torturé « Night of Terror », évoquant les hallucinations de Nina durant près de 8 minutes particulièrement glauques, sinistres et denses. Mansell développe ici ses arrangements de l’oeuvre de Tchaïkovski et propose notamment des variations de l’entêtant thème mélancolique de piano de « The New Season » à partir de 2:58, alors que l’orchestre intervient ici à travers une série de sursauts orchestraux agressifs (repris en fait de certaines mesures du « Lac des Cygnes ») et de clusters synthétiques dissonants et chaotiques, évoquant la terreur et la folie de Nina. Cohérent dans son approche mélodique/thématique, Mansell cite à nouveau le maître russe en reprenant un court segment de l’introduction du « Lac des Cygnes » (entendu au début du film dans « Nina’s Dream ») aux cordes à 4:38, juxtaposé aux sonorités anarchiques des synthétiseurs. Ici plus que jamais, l’objectif du compositeur est de brouiller les pistes et de faire disparaître progressivement les frontières entre la musique de Tchaïkovski et sa propre musique originale, avec au passage une reprise de son motif descendant de piano de « The Double » à 6:09. Les thèmes bien connus du « Lac des Cygnes » sont cités à plusieurs reprises dans le tumultueux « Stumbled Beginnings » à l’orchestre, comme si l’oeuvre maudite de Tchaïkovski finissait par envahir complètement Nina, détruite progressivement par ses propres obsessions. On retrouve notamment le célèbre thème principal mélancolique du Lac des Cygnes au hautbois à 2:22, alors que ce dernier semble noyé par les sonorités électroniques de Clint Mansell, qui finissent par envahir le morceau et noyer les mélodies de Tchaïkovski : le message est clair : il n’y a plus de marche arrière possible pour Nina, qui ira jusqu’au bout de sa folie, quitte à se détruire elle-même (le caractère tragique de ce morceau reflétant quelque part la propre tragédie que vécu en son temps Tchaïkovski avec cette oeuvre qui fut un échec public et personnel en son temps). Cette idée de destruction paraît plus qu’évidente dans l’anarchique « It’s My Time » dans lequel Mansell développe le sound design dissonant à base de piano préparé/samplé et de sonorités métalliques déstructurées, surréalistes et chaotiques (à la limite des sonorités ‘alien’, à partir de 0:49). « Perfection » évoque la concrétisation de l’obsession de Nina avec un arrangement étrange du thème principal du « Lac des Cygnes », que le compositeur n’hésite pas à déstructurer et manipuler pour parvenir à ses fins.

Le film se termine sur le sombre « A Swan Song (For Nina) », pour le final tragique du film, où le piano reprend le dessus avec un arrangement à peine reconnaissable du thème du « Lac des Cygnes », Mansell s’arrangeant pour rendre la mélodie assez différente en supprimant quelques notes, un choix subtil et habile qu’il complète par un sound design en arrière-fond lourd de sens : l’oeuvre de Tchaïkovski semble déjà lointaine, et n’est plus qu’un souvenir pour l’artiste qui a atteint la perfection, le sublime, au prix de sa propre vie. Le fait que la musique se termine quasi exclusivement sur les sonorités électroniques, alors que la mélodie de l’Introduction et celle du thème principal des Cygnes disparaissent progressivement sous une forme purement synthétique, est ici aussi lourde de sens : le Cygne noir a fini par prendre le dessus sur le Cygne blanc, s’auto détruisant lui-même, une conclusion extrêmement sombre qui vient clore parfaitement ce film déroutant et immersif. Au final, Clint Mansell compose pour « Black Swan » une partition pas aussi mémorable que celles de « Requiem for a Dream » ou « The Fountain » mais qui parvient à atteindre son objectif grâce à des choix judicieux de la part du compositeur, qui réadapte des segments et des mélodies du « Lac des Cygnes » de Tchaïkovski pour parvenir à ses fins, manipulant la musique du maître russe en lui adjoignant toute sorte de sonorités et d’ambiances, le tout complété par les propres thèmes et motifs du compositeur britannique (et notamment l’entêtant thème mélancolique classique de piano de « A Room for Her Own »). Le résultat est aussi déroutant que le film lui-même, Mansell brouillant les pistes entre musique originale et non originale avec un certain doigté, reflétant l’énergie et l’incroyable inventivité de sa collaboration passionnante avec Darren Aronofsky. Sans être le meilleur score de Clint Mansell, « Black Swan » s’impose donc comme un parfait contrepoint émotionnel au film, une musique torturée, tourmentée et obsédante, à l’image du personnage de Natalie Portman dans le film : il ne fait nul doute que les inconditionnels de Clint Mansell apprécieront son nouvel effort, un peu particulier, mais extrêmement envoûtant !




---Quentin Billard