1-Argo 3.38
2-A Spy in Tehran 4.18
3-Scent of Death 3.26
4-The Mission 2.07
5-Hotel Messages 2.03
6-Held Up By Guards 5.31
7-The Business Card 2.55
8-Breaking Through The Gates 3.50
9-Tony Grills the Six 3.30
10-The Six Are Missing 3.21
11-Sweatshop 1.31
12-Drive To The Airport 3.45
13-Missing Home 3.00
14-Istanbul and the Blue Mosque 2.18
15-Bazaar 3.45
16-Cleared Iranian Airspace 6.01
17-Hace Tuto Guagua 3.39*

*Interprété par Familion
Traditionnel, arrangé par
Taato Gomez.

Musique  composée par:

Alexandre Desplat

Editeur:

WaterTower Music WTM39382

Musique conduite et produite par:
Alexandre Desplat
Orchestrations:
Alexandre Desplat, Conrad Pope,
Jean-Pascal Beintus, Clifford J. Tasner,
Bill Newlin, Nan Schwartz

Monteur musique:
Richard Ford
Mixage musique:
Dennis Sands
Monteur musique additionnelle:
David Metzner
Enregistreur Pro Tools:
Adam Olmsted
Opérateur Auricle:
Jay Duerr
Programmation:
TJ Lindgren, Dan Maroco,
Lewis Morison, Romain Allender

Préparation musique:
Mark Graham
Opérateur Mix ProTools:
Adam Olmsted
Album monté et séquencé par:
Joe E.Rand
Direction de la musique pour
Warner Bros. Pictures:
Paul Broucek, Carter Armstrong
Direction de WaterTower Music:
Jason Linn
Music business affairs:
Lisa Margolis
Supervision musique:
Linda Cohen

Artwork and pictures (c) 2012 Warner Bros. Entertainment Inc. All rights reserved.

Note: ****
ARGO
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Alexandre Desplat
La carrière d’acteur de Ben Affleck a connu des hauts et des bas au cours de ces dernières années, le comédien ayant souvent participé à des productions d’une qualité douteuse (« Phantoms », « Reindeer Games », « Daredevil »), à tel point qu’il jouera même dans un pur nanar considéré quasi unanimement comme l’un des plus mauvais films de tous les temps (« Gigli ») en plus d’être un monumental échec commercial et critique. Désireux de se renouveler et de multiplier les expériences, Ben Affleck ne s’arrêta pas là pour autant et décida de se lancer dans la réalisation en tournant « Gone Baby Gone » en 2007, « The Town » en 2010 et enfin « Argo » en 2012. Présenté au Festival international du film de Toronto 2012, « Argo » s’avère être très vite un grand succès critique et commercial, et remporte 3 Oscars en 2013 dont celui du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur montage. Le film de Ben Affleck retrace l’histoire vraie de la crise iranienne des otages survenue le 4 novembre 1979, alors qu’un groupe d’activistes iraniens ont pris en otage une cinquantaine de diplomates américains réfugiés à l’ambassade américaine à Téhéran en Iran. Les preneurs d’otage iraniens exigent alors que le président américain Jimmy Carter leur livre le Shah, alors hospitalisé au même moment aux Etats-Unis. Six des otages réussissent à prendre la fuite et partent se réfugier chez l’ambassadeur canadien Ken Taylor (Victor Garber). Pendant ce temps, les services secrets américains tentent d’organiser dans la plus grande discrétion une opération d’exfiltration hors d’Iran et font appel à Tony Mendez (Ben Affleck), un spécialiste des opérations d’exfiltration travaillant pour le compte de la CIA. Dubitatif quand aux solutions proposées, Mendez finit par avoir une idée folle et audacieuse : inspiré par le film « Battle for the Planet of the Apes » qu’il est en train de regarder, Tony s’imagine un plan farfelu visant à créer un gigantesque subterfuge en se faisant passer pour un groupe de cinéastes canadiens partis en Iran pour y filmer des décors pour un film de science-fiction. Tony décide alors de contacter John Chambers (John Goodman), un spécialiste des maquillages à Hollywood qui a travaillé à quelques reprises avec la CIA par le passé. Chambers met alors Tony et son équipe en lien avec le producteur hollywoodien Lester Siegel (Alan Arkin) : très vite, ils montent ensemble un faux studio de cinéma, une fausse équipe de tournage et créent de la publicité pour le film de science-fiction bidon qu’ils baptisent « Argo », et qui serait selon eux inspiré de « Star Wars ».

« Argo » est donc un thriller politique qui s’inspire de l’histoire vraie de la crise iranienne des otages de 1979 qui marqua le début des tensions conflictuelles entre la République islamique d’Iran et les Etats-Unis. Tourné à la manière des thrillers conspirationnistes et paranoïaques des années 70, « Argo » est une réussite incontestable car Ben Affleck réussit à donner une énergie et un rythme saisissant à son histoire, malgré quelques longueurs au début et vers le milieu du film. Mieux encore, le réalisateur/acteur parvient à se libérer du carcan purement historique/politique du récit et apporte un humour étonnant au récit, sans pour autant minimiser les événements qui se déroulés entre 1979 et 1981. C’est dans cette réflexion intelligente autour du subterfuge canadien et de l’une des plus étranges opérations menées par la CIA que le film de Ben Affleck réussit à marquer des points, apportant avec lui son lot de suspense (l’évasion finale dans l’aéroport est un grand moment de film !), d’action, d’humour et de tension. Certes, comme souvent dans ce genre de film adapté d’une histoire vraie, « Argo » n’a pas échappé aux polémiques et aux controverses, puisque l’Iran n’a pas du tout apprécié la description des iraniens dans le film, tandis que certains critiques canadiens ont accusé le réalisateur et les producteurs d’avoir enjolivé l’histoire pour offrir un rôle plus glorieux aux américains en minimisant le rôle du Canada dans l’opération d’exfiltration des otages. Qu’à cela ne tienne, « Argo » reste malgré tout une réussite de A à Z, filmée avec passion et intelligence, rendant un bien bel hommage à tout un pan du cinéma à suspense américain des années 70 (les thrillers politiques d’Alan J. Pakula ou de Sydney Pollack) sans jamais perdre de vue son propos : la mise en abîme du film dans le film, ou le thème symbolique de l’illusion cinématographique pour y recéler une vérité politique, sans oublier un casting génial (Ben Affleck est excellent, entouré de vétérans tels que Bryan Cranston, John Goodman, Alan Arkin, Kyle Chandler, Clea DuVall, Adrienne Barbeau, Bob Gunton, Philip Baker Hall, etc.) et une mise en scène qui distille savamment suspense, sens du détail, humour et montées de tension impressionnantes : une réussite, en somme !

Après avoir collaboré à deux reprises avec Harry Gregson-Williams, Ben Affleck se tourne cette fois-ci vers Alexandre Desplat pour écrire la musique de « Argo ». Le compositeur français a sans aucun doute été choisi par la production suite à ses partitions pour d’autres thrillers politiques tels que « Syriana » ou « The Ides of March ». Pour « Argo », Desplat reste dans sa zone de confort habituelle et livre une partition à suspense plutôt atmosphérique et minimaliste, à base d’orchestre, d’électronique et d’instruments solistes aux sonorités orientales/arabisantes pour suggérer les décors iraniens. En plus de l’orchestre de taille relativement moyenne, Alexandre Desplat met particulièrement l’accent sur les rythmes électroniques modernes et les instruments solistes orientaux, avec les vocalises de la chanteuse iranienne Sussan Deyhim, la traditionnelle flûte ney, le kemençe ou lyra (sorte de vièle rustique très présente dans les Balkans et au Moyen-Orient), les percussions ethniques et l’oud. Ces sonorités orientales, on les découvre très vite dès le début du film avec un solo introductif de kemençe et de la ney dans les premières secondes de « Argo », dévoilant le thème principal, mélodie orientale et majestueuse accompagné par une longue tenue de cordes et de synthétiseur du plus bel effet, une sorte de note en suspension par dessus laquelle la mélodie s’élève lentement mais sûrement. L’oud, les percussions et l’électronique sont introduits vers la fin du morceau avec quelques cordes staccatos, des éléments qui culminent dans le superbe « A Spy in Tehran » durant lequel Desplat développe une atmosphère de musique orientale/arabe absolument magistrale et relativement authentique, évitant les sonorités hollywoodiennes/occidentales habituelles pendant quelques minutes. A l’aide d’un ostinato rythmique trépidant de derboukas, les solistes peuvent s’en donner à coeur joie entre le bourdon du kemençe, les percussions électroniques et les notes quasi improvisées de l’oud pour évoquer dans le film la ville de Téhéran. On appréciera la façon dont Desplat mélange ici acoustique et électronique (en partie épaulé à la programmation par TJ Lindgren, complice d’Hans Zimmer chez Remote Control, et qui travaille aussi assez régulièrement avec Danny Elfman, Trevor Morris ou Steve Jablonsky). Si le rythme trépidant des premières minutes de « A Spy in Tehran » suggère clairement la tension du film, les notes plus lentes de la vièle à la fin du morceau et les vocalises de Sussan Deyhim parviennent à créer une atmosphère plus sombre et oppressante, rappelant le danger qui pèse aussi bien sur les otages que sur Tony Mendez et son équipe.

Plus étonnant encore, Desplat va même jusqu’à créer un ostinato entêtant à partir d’un duo vocal féminin en scat au début de « Scent of Death », les deux voix créant un étrange ostinato rythmique rapide et un peu hystérique sur fond de vocalises orientales quasi improvisées et de solistes. Ici aussi, comme dans « Argo » ou « A Spy in Tehran », Desplat utilise une pédale tout le long du morceau pour renforcer l’idée de la tension, du suspense et du compte à rebours. « Scent of Death » parvient ainsi à s’imposer aussi bien dans le film que sur l’album en créant un climat oriental assez étrange, envoûtant et fascinant, bien éloigné des clichés occidentaux habituels autour des musiques traditionnelles arabes. On appréciera d’ailleurs le fait qu’Alexandre Desplat ait choisi de placer sa musique selon le point de vue iranien, alors que l’aspect plus occidental, pourtant présent dans le score, est finalement assez régulièrement relégué au second plan. Evidemment, il y a aussi les passages plus obligés et conventionnels comme le solennel et magnifique « The Mission » qui apporte un espoir et une émotion poignante au film, avec son très beau thème lyrique de cordes/trompette pour la mission qui rappellerait presque James Horner ou James Newton Howard, un morceau magnifique qui, bien que beaucoup plus conventionnel et hollywoodien, parvient à apporter une émotion remarquable aux images. Dans le même ordre d’idée, le final à l’aéroport de « Cleared Iranian Air Space » développe pendant 6 minutes une atmosphère dramatique saisissante aux cordes, avant de reprendre le très beau thème de la mission au piano à 2:52, un passage plus poétique, solennel et touchant typique du lyrisme habituel d’Alexandre Desplat. Mais ce sont surtout les passages plus inhabituels comme « Hotel Messages » qui parviennent ici à nous impressionner par leur inventivité et les recherches d’idées. Ici, comme dans « Scent of Death », Desplat base l’essentiel de sa pièce autour d’un ostinato rythmique vocal en scat, Sussan Deyhim doublant en fait les rythmes de derboukas avec ses onomatopées rythmiques comme le font régulièrement les chanteurs de scat dans le jazz ou certains musiciens arabes. Quelques passages plus atmosphériques comme « Held Up By Guards » instaurent une tension permanente à l’écran oscillant entre cordes, électronique, percussions et solistes de façon peu surprenante, comme dans « The Business Card » où l’on retrouve les sonorités iraniennes/ethniques de « A Spy in Tehran ». N’oublions pas de mentionner la présence d’un second thème assez présent tout au long du score, un thème de piano intime introduit au début de « Held Up By Guards » pour les otages, repris aussi au début de « Tony Grills the Six », dans « Missing Home » (à 1:14 au piano) ou aux cordes dans « Cleared Iranian Air Space » à partir de 1:47 et à 1:16 dans « Breaking Through the Gates ».

Niveau action, le score nous offre sa part de rythmes complexes et robustes dans l’excellent « Breaking Through the Gates », scène de fuite entièrement rythmée par les percussions orientales, les loops électros, les ostinati rythmiques de voix en scat, l’orchestre et les solistes. On appréciera ici les nombreux rebondissements rythmiques qui suivent le montage de la scène, offrant encore une fois l’occasion à Alexandre Desplat d’expérimenter ses effets rythmiques vocaux inventifs de scat à partir de 1:38, comme il le fait aussi dans « Tony Grills the Six », « The Six Are Missing » ou « Sweatshop ». Les sonorités orientales culminent ensuite dans la scène à l’aéroport (« Drive to the Airport ») ou dans « Istanbul/The Blue Mosque », alors que la musique parvient aussi à se faire plus posée, minimaliste et discrète dans « Missing Home », ou plus sombre et atmosphérique dans le tendu « Bazaar ». Au final, Alexandre Desplat parvient à créer une partition assez accrocheuse et prenante pour « Argo », bien plus passionnante que son précédent travail sur « Syriana ». Grâce à une utilisation habile des instruments solistes orientaux, des ostinati rythmiques en scat utilisés de façon inventive ou d’un thème solennel assez poignant, Desplat parvient à apporter une tension intense au film et un sens du rythme assez surprenant sans jamais perdre de vue l’angle humain avec ses deux thèmes, même si une bonne partie du score est essentiellement consacrée aux élans rythmiques orientaux, aux passages ethniques évoquant l’Iran ou aux scènes de suspense. Pas forcément mémorable à la première écoute dans le film, la musique de « Argo » gagne véritablement à être appréciée en écoute isolée, où elle révèle tous ses détails et ses subtilités rythmiques et sonores. Certes, ce n’est pas le chef-d’oeuvre du moment, mais le score de « Argo » reste au final un travail de très bonne facture révélant un Alexandre Desplat en mode oriental assez inventif pour un résultat musical particulièrement rafraîchissant, extrêmement rythmé et énergique, à l’image du superbe « Breaking Through the Gates ». Sans être le score de l’année, « Argo » parvient à son tour à nous captiver complètement, une jolie réussite à mettre au compte d’Alexandre Desplat !




---Quentin Billard