1-Phoenix Pictures Present 0.18
2-Main Titles 3.25
3-"I'm Busy" 1.03
4-The Chamber 1.38
5-The Stories 2.48
6-The Speech 2.06
7-"I Want To Hear About It" 1.54
8-Playing With Fire 2.04
9-Cat Bake 1.37*
10-It Never Goes Away 2.14
11-The Tables Turn 2.45
12-Rite Of Passage 1.51
13-Curiosity 1.29
14-An Ailing Heart 2.52
15-Cleaning Up 1.04
16-Recognition 2.54
17-A Question Of Power 2.13
18-The Fowl Play 1.09
19-Extradition 4.38
20-An Apt Pupil 0.50
21-End Titles 2.36
22-Das Ist Berlin 1.38**

*Portion de "Cat Bake"
composé par Larry Groupé
**Composé par Leo Leux,
Matthias Hen, Hans Hannes
et Bruno Balz
Interprété par Liane et
The Boheme Bar Trio.

Musique  composée par:

John Ottman

Editeur:

RCA Victor
09026-63319-2

Musique produite par:
John Ottman
Superviseur du score:
Frank Macchia
Superviseur de la musique:
Lia Vollack
Monteurs de la musique:
Amanda Goopaster,
Lia Vollack

Artwork and pictures (c) 1998 TriStar Pictures. All rights reserved.

Note: ***1/2
APT PUPIL
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by John Ottman
Révélé en 1995 grâce à l’inoubliable thriller ‘Usual Suspects’, Bryan Singer nous revient en pleine forme avec ‘Apt Pupil’ (Un Elève Doué), où le réalisateur réexplore son thème de prédilection: le mal. Adapté d’une sinistre nouvelle de Stephen King réputée pour être soi-disant inadaptable à l'écran, ‘Apt Pupil’ raconte comment le jeune étudiant Todd Bowden (Brad Renfro), fasciné par le nazisme, harcèle son voisin, Kurt Dussander (Ian McKellen) qu’il a reconnu être un ancien tortionnaire nazi et le fait "chanter" pour l'obliger à lui raconter les horreurs de l’Holocauste et des camps de concentration, comment l’on s’y prenait pour entasser les prisonniers, quel effet cela faisait de massacrer des milliers de personnes, etc. Le spectateur assiste impuissant à une terrifiante peinture psychologique toute en profondeur dans le film, à une plongée abyssale et noire dans les tréfonds de l’âme humaine et de ses pulsions morbides. Ainsi, le jeune Todd est un adolescent à la fois perturbé et fasciné par le nazisme, un double sentiment qui va changer sa vie et qui va lui faire vivre la plus terrible des expériences: celle du mal absolu. Quand à son voisin, Dussander, ce dernier renoue avec ses pulsions meurtrières et retrouve le goût du sang et de la violence alors que son "élève" l'oblige à ressortir des choses enterrées dans son passé depuis des années. L'étrange relation qui unit les deux individus reste toujours très ambiguë et malsaine, jamais vraiment amicale, jamais vraiment haineuse. Au cours de leur histoire, Dussander devient en quelque sorte le professeur de Todd qui va lui enseigner une chose que bon nombre de personnes choisissent dans leur vie par faiblesse et facilité: le mal. C’est un choix que le jeune étudiant devra assumer jusqu’au bout, quitte à apprendre à son tour à tuer.

Bryan Singer retrouve avec ‘Apt Pupil’ son complice John Ottman, qui signa une partition mémorable pour ‘Usual Suspects’. Il se trouve qu’Ottman est aussi assistant monteur du film et producteur associé. Une note de Bryan Singer adressée à son compositeur dans le livret de l’album résume parfaitement le concept de la musique de ‘Apt Pupil’: «une fois encore, j’ai besoin que tu fasses appel à tes démons et que tu crées une ténébreuse et terrifiante aventure musicale (...)» Tels étaient les mots de départ du réalisateur adressé à John Ottman. Le compositeur, jusqu’ici principalement cantonné aux films noirs, n’a jamais encore eu la chance de mettre en musique un film plus léger et joyeux, et comme le compositeur le précise avec humour dans le livret de l’album, ce n’est pas encore cette fois qu’il en aura l’occasion. Ottman signe pour ‘Apt Pupil’ une partition profondément noire, sombre et dramatique, une musique qui plonge immédiatement dans un malaise constant, qui renvoie indubitablement au sujet dérangeant du film. Pour un film traitant de la fascination du mal, on ne pouvait rêver mieux! Ottman utilise l’orchestre traditionnel avec quelques effets électroniques et même un choeur entendu dans certains passages clé du film, à commencer par le superbe ‘Main Titles’, où le compositeur impose l'ambiance générale: le thème, qui prend progressivement forme, évoque la fascination pour le mal et le double sentiment tourmenté/fasciné de Todd à l'égard du nazisme et de l’Holocauste. Le thème, confié à un piano, des clarinettes et un violon (on pourrait y voir une habile réminiscence des sonorités de la musique tzigane populaire) prend la forme d’une valse où règne un certain malaise, bientôt accentué par des voix lointaines (les victimes de l’Holocauste?), le tempo de valse créant une certaine ironie morbide dans cette magnifique ouverture toute en nuance qui en dit long sur la nouvelle oeuvre de John Ottman.

Alors que le générique de début fait se succéder dans un montage très réussi des clichés perturbants sur les nazis durant la seconde guerre mondiale, et ce sous les yeux d'un jeune adolescent dont la candeur encore fraîche va vite se briser sous la pente glissante du mal, Ottman suggère un véritable climat psychologique saisissant à travers sa musique. Confusion, désordre, tempête d'esprit; Todd est submergé de sentiments multiples alors qu'il se plonge dans une étude sur la plus grande horreur humaine de tout le 20ème siècle pour un devoir d'histoire au lycée. C'est ce qu'évoque clairement ici la musique. Le thème se développe jusqu'à prendre une dimension troublante, sous la forme d’une valse malsaine. L’intrusion de quelques percussions martiales pourraient même évoquer l’idée du mal (les nazis) avec ces voix semblant surgir de l'au delà, d'un passé lointain qui pourrait basculer à tout moment pour devenir réalité si des gens comme Dussander continuaient de perpétrer ce qu'ils ont fait il y'a près de 60 ans. Le ‘Main Titles’ est une pièce exemplaire tout à fait représentative du travail que peut produire un compositeur lorsqu'il tente d'aller jusqu'au fond de son sujet, d'une situation, d'un contexte, lorsque le compositeur tente de se mettre dans la peau du personnage, de s'imprégner de son esprit pour ensuite le repeindre dans sa musique. Inutile de préciser que lorsqu’on sait de quoi le film de Bryan Singer parle, le ‘Main Titles’ fait particulièrement froid dans le dos. Un grand moment de musique de film, tout simplement!

Atmosphérique, la première partie de la musique se veut à la fois sombre et mystérieuse, évoquant la curiosité malsaine de Todd qui veut toujours en savoir plus. Le bref ‘I’m Busy’ semble être particulièrement routinier et anecdotique (scène de la première rencontre entre Todd et Dussander), mais lorsqu’un angoissant sursaut de terreur secoue l’auditeur/spectateur dans le terrifiant et horrifique ‘The Chamber’ (scène du cauchemar dans le camp de concentration) au sein d’une atmosphère orchestrale atonale et macabre à souhait, on comprend bien mieux où le compositeur veut en venir: explorer l’âme du jeune Todd, évoquer sa fascination pour le mal couplé à un sentiment d’angoisse et de malaise profond - on ressent d’ailleurs à l’écoute de ce morceau toute l’influence qu’a pu avoir Christopher Young sur John Ottman, qui n’a d’ailleurs jamais caché son admiration pour ce grand compositeur. La scène du ‘speech’ de Dussander est accompagnée de manière sombre et mystérieuse, cordes et piano mis en avant, où règne une certaine retenue inquiétante avec quelques brefs rappels du thème principal associé à l’idée du mal. On ressent ici aussi un malaise grandissant, une impression confirmée par ‘The Stories’, morceau curieusement non crédité par erreur sur la jaquette du CD mais qui est bel et bien présent, entre la piste 5 et 6 indiqué par le track-list de l’album. L’atmosphère de la pièce oscille entre un certain mystère envoûtant et une noirceur grandissante véhiculée par une écriture sombre des cordes et des cuivres - à noter l’intervention de ces cuivres martiales, dont la symbolique malsaine fait évidemment froid dans le dos, dans le contexte du film.

La tension opposant Todd et Dussander est suggérée dans le sinistre ‘Playing with Fire’ où gravite une solide impression de menace, avec des sonorités orchestrales graves et dissonantes (à noter ici le retour du sinistre motif de 6 notes entendu dans ‘The Chamber’), évoquant le fait que le jeune étudiant joue à un ‘jeu’ particulièrement dangereux avec l’ancien tortionnaire, et que le rapport dominé/dominant pourrait bien s’inverser si la situation lui échappait. Si un passage plus convenu comme ‘Cat Bake’ (qui débute sur une musique mickey-mousing écrite par Larry Groupé pour une scène de dessin animé aperçu durant le film dans un écran de télévision) et son sursaut orchestral de terreur pure paraît plus conventionnel bien que très efficace (le morceau accompagne la scène dérangeante où Dussander tente de mettre un chat dans un four – une analogie évidente particulièrement dérangeante ici), Ottman développe avec habileté une véritable atmosphère psychologique dans le sombre ‘It Never Goes Away’ qui rappelle avec effroi qu’une fois qu’un homme a pris le goût de faire du mal, il ne peut plus jamais s’arrêter jusqu’à la fin de sa vie. C’est avec une certaine habileté que le compositeur évoque un sujet aussi grave, là où sa musique aurait pu frôler le racolage pur et dur, Ottman ayant préféré opté pour une approche plus nuancée, plus distante, mais aussi plus inquiétante et parfois même dérangeante.

Plus l’histoire avance, plus la musique semble inexorablement s’enfoncer dans les ténèbres, toute à l’image du parcours du jeune Todd. A ce sujet, ‘The Tables Turn’ évoque la transition de la première partie plus atmosphérique de la musique vers une seconde partie de plus en plus cauchemardesque où la notion de mal absolu paraît dominante, comme c’est le cas dans le morbide ‘Rite of Passage’, sans aucun doute l’un des plus sombres morceaux du score. Ottman utilise ici divers effets de cordes dont des gargouillis de cordes et des nuages de sons à la Penderecki/Xenakis créant une ambiance atonale quasi fantomatique, accentuée par des cuivres dissonants rampants pour la scène du ‘rituel’ de passage, lorsque Todd doit tuer un homme dans la cave de Dussander. ‘Rite of Passage’ est sans aucun doute la pièce charnière de la partition de ‘Apt Pupil’, celle par qui tout bascule progressivement dans l’horreur avec une efficacité redoutable à l’écran. Dès lors, un morceau comme ‘An Ailing Heart’ (scène particulièrement malsaine du meurtre du clochard) et son véritable ‘cri’ orchestral introductif strident impose une atmosphère cauchemardesque quasi grand-guignolesque, qui rompt légèrement avec l’ambiance psychologique du début, même si le résultat musical est ici particulièrement impressionnant, Ottman évoquant ici la progression du mal alors que Todd est devenu un tueur à son tour. Le travail autour des cordes (glissendi, jeux sur les quarts de ton, clusters, etc.) et des masses sonores orchestrales nous renvoie à la musique bruitiste des années 50/60 pour les besoins dramatiques et émotionnels du film. La musique apporte une noirceur incomparable au film, ‘An Ailing Heart’ étant avec ‘Rite of Passage’ deux des plus sinistres morceaux de toute la partition de ‘Apt Pupil’.

‘Recognition’ accompagne la scène où le patient d’un hôpital reconnaît Dussander comme étant l’ancien tortionnaire du camp de concentration nazi dans lequel il fut emprisonné durant la seconde guerre mondiale. Ottman plonge la musique dans une sombre atmosphère de menace évoquant une nouvelle fois le mal absolu. Il paraît donc bien évident que ‘A Question of Power’ va poursuivre cette ambiance de menace, suggérant un profond sentiment de trouble et de malaise grandissant alors que les rôles se sont inversés et que Todd a perdu tout contrôle par rapport à Dussander (l’élève est doué mais ne dépassera jamais son maître). Idem pour le morbide ‘Fowl Play’ que l’on croirait sorti d’un film d’horreur. La partition atteint son climax dans le dérangeant ‘Extradition’, durant la scène où la véritable identité de Dussander a été découverte, et où il est sur le point d’être emmené dans un tribunal afin d’être jugé pour crime contre l’humanité. Le choeur de l’extradition (ainsi nommé, non sans un certain humour noir, la formation chorale intervenant dans ce morceau) intervient en clamant de manière répétée et martelée ‘extradite’, une idée originale et dérangeante qui fait son effet ici et impose un véritable malaise au cours de cette scène-clé de la fin du film, où règne une atmosphère psychologique sombre et tourmentée. On nous fait ainsi comprendre que les jeux sont fait, et que cette sinistre aventure touche à sa fin, débouchant sur un ultime rappel du thème principal dans ‘An Apt Pupil’ et ‘End Titles’, reprenant la valse de l’ouverture avec une superbe écriture de violon soliste dialoguant avec le piano dans un style se rapprochant d’une oeuvre de musique de chambre classique (une réminiscence ironique d’un style de musique allemande classique?), couplée avec l’orchestre.

Certes, ‘Apt Pupil’ n’est peut-être pas un chef-d’oeuvre d’originalité et d’innovation, mais force est de constater que pour le nouveau film de Bryan Singer, John Ottman s’est une fois de plus montré plus inspiré que jamais, nous livrant une partition mémorable faisant désormais partie de ses œuvres incontournables. On est loin ici du génie et de l’inspiration de ‘Usual Suspects’, mais le score de ‘Apt Pupil’ n’en demeure pas moins une oeuvre troublante, inquiétante, psychologique et résolument sombre, une musique parfaitement intégrée à l’ambiance et aux images du film, évoquant la noirceur de l’âme humaine et le mal qui se trouve dans le coeur de chacun. Certains penseurs disent que ‘en tout homme sommeillent une bête’. Il se pourrait bien que le film de Bryan Singer leur donne raison, tout comme la musique de John Ottman paraît totalement dénuée de tout espoir, de toute lumière. Sans jamais être racoleuse, la musique illustre avec habileté un sujet particulièrement grave, celui de l’Holocauste et de la fascination pour le mal, une idée parfaitement résumée dans l’incontournable ‘Main Titles’ qui montre un compositeur qui maîtrise parfaitement son sujet en jouant sur une nuance entre ironie noire et sens profond du drame. Si l’on reste donc ici un poil en dessous de la qualité de l’incomparable ‘Usual Suspects’, on ne peut néanmoins qu’apprécier la qualité du travail effectué par John Ottman sur ‘Apt Pupil’, qui confirme que sa collaboration avec Bryan Singer s’annonce particulièrement prometteuse et fructueuse à l’avenir, en espérant que le duo continuera dans cette voie-là. Quand au compositeur, il confirme le fait qu’il est décidément une valeur sure de cette nouvelle génération de musiciens officiant à Hollywood à l’heure actuelle!


---Quentin Billard