1-Prologue/The First Fight 2.36
2-Main Titles 2.20
3-Su-Lin (The Monk) 4.56
4-Sampans and Flashbacks 6.19
5-Han's Island 2.54
6-The Banquet 3.02
7-Headset Jazz 2.10
8-The Gentle Softness 2.40
9-Into The Night 3.43
10-Goodbye Oharra 1.54
11-Bamboo Birdcage 2.32
12-Han's Cruelty 3.09
13-The Human Fly 3.34
14-The Big Battle 4.47
15-Broken Mirrors 5.54
16-End Titles 1.06
17-Theme From Enter the Dragon 2.23
18-Main Titles (Alternate) 3.17

Musique  composée par:

Lalo Schifrin

Editeur:

Aleph Records 048

Produit par:
Lalo Schifrin
Montage musique:
Eugene Marks
Orchestrations:
Lalo Schifrin, Richard Hazard
Mixage score:
Dan Wallin

Artwork and pictures (c) 1973 Warner Bros/Concord Productions. All rights reserved.

Note: ****
ENTER THE DRAGON
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Lalo Schifrin
Prétendre que Bruce Lee fut une véritable légende du cinéma d’arts martiaux des années 60/70 relèverait du doux euphémisme. Ce natif du quartier de Chinatown à San Francisco qui fonda son propre art martial, le jeet kune do, devient la figure emblématique du cinéma d’arts martiaux de cette époque, ouvrant la voie à de futurs acteurs spécialisés dans les arts martiaux – il inspirera ainsi Jackie Chan, Jet Li ou Jean-Claude Van Damme, Chuck Norris et Steven Seagal – Celui que l’on surnomma le « petit dragon Lee » débuta sa carrière américaine en 1964 avec la série « The Green Hornet » et multipliera par la suite les petits rôles avant d’accéder à la gloire avec « The Big Boss » qu’il tourne à Hong Kong en 1971 pour le compte du studio Golden Harvest de Raymond Chow. Après « Fist of Fury » et « The Way of the Dragon », Bruce Lee se voyait ainsi offrir l’opportunité de retourner à Hollywood avec le « Enter the Dragon » (Opération Dragon) de Robert Clouse sorti en 1973. Ce fut d’ailleurs le dernier film de Bruce Lee qui décéda prématurément peu de temps après la fin du tournage à l’âge de 32 ans – son autre film, « The Game of Death », tourné en 1972, restera inachevé après la mort de Lee et sera finalement achevé par Robert Clouse lui-même en 1978 – Considéré à juste titre comme l’un des plus importants films d’arts martiaux du cinéma, « Enter the Dragon » imposera de façon posthume Bruce Lee comme LA super star internationale du cinéma d’arts martiaux et influencera de manière durable de nombreux artistes dans les années à venir (en 1993 sortira un film intitulé « Dragon : the Bruce Lee Story », réalisé par Rob Cohen et retraçant les dernières années de la vie de l’acteur, interprété par Jason Scott Lee). « Enter the Dragon » raconte ainsi comment Lee (Bruce Lee), un artiste martial Shaolin d’Hong Kong, est engagé par Braithwaite (Geoffrey Weeks), un agent britannique qui mène une enquête sur un baron du crime, Han (Shih Kien). Braithwaite réussit à convaincre Lee de participer à un tournoi d’arts martiaux organisé par Han sur son île privée, alors que la police soupçonne Han, un ancien moine Shaolin, de vivre du trafic d’opium et de prostitution. La mission de Lee consiste à rapporter des preuves pour permettre aux forces de l’ordre d’arrêter Han. Mais lorsque Lee réalise que les hommes de main de Han tentèrent d’enlever sa soeur il y a trois ans, obligeant la jeune femme à se suicider plutôt que de se faire prendre, les enjeux de la mission prennent une toute autre tournure. Parmi les participants du tournoi se trouvent aussi Roper (John Saxon) et son ami et vétéran du Vietnam Williams (Jim Kelly). Lee rentre alors en contact avec Mei Ling (Betty Chung), l’espionne envoyée sur l’île pour suivre les agissements d’Han, et qui lui permet de visiter les entrepôts souterrains du maître des lieux. Mais lorsqu’Han apprend que quelqu’un est venu visiter ses installations secrètes, les choses se gâtent pour Lee qui doit se dépêcher de terminer sa mission afin de régler des comptes personnels avec le redoutable Han.

« Enter the Dragon » s’avère être l’un des grands classiques de Bruce Lee, sans être pour autant le film préféré des puristes de la filmo de Lee. Produit par la Warner, le film de Robert Clouse tente de surfer sur la vague des films d’arts martiaux hong-kongais qui commencent alors à cartonner au début des années 70. Désireux de satisfaire un large public, le film réunit des acteurs de différents horizons : un asiatique (Bruce Lee), un blanc (John Saxon) et un afro-américain (Jim Kelly) dans une dimension interculturelle typique du cinéma U.S. des seventies. Le film fut important pour Bruce Lee puisqu’il imposa son retour aux Etats-Unis après avoir tourné « The Green Hornet » et subi un terrible revers sur la série « Kung Fu » (où son rôle fut finalement confié à David Carradine). La Warner s’associera alors avec la Golden Harvest pour laquelle Bruce Lee travaillait quasiment exclusivement à Hong Kong au début des années 70 – c’est une grande première à l’époque - et mettra en chantier « Enter the Dragon ». Cette fois-ci, l’acteur se verra offrir l’opportunité de diriger lui-même les chorégraphies des combats avec une certaine liberté, un plus indéniable qui contribuera certainement au succès du film. Conçu comme une série-B d’action assez violente (on dénote quelques scènes assez sanglantes), « Enter the Dragon » amène Bruce Lee dans une intrigue d’infiltration et d’espionnage à la manière d’un James Bond (une île privée, des installations secrètes, un grand méchant qui rappelle aussi bien Dr. No qu’Ernst Stavro Blofeld, des services secrets anglais qui confient une importante mission au héros, etc.), avec un soupçon de Blaxploitation à travers le personnage de Jim Kelly – un genre qui connut ses heures de gloire au début des années 70 – A ce sujet, l’acteur avouera apprécier Bruce Lee car il partageait lui aussi un même combat pour les droits des minorités aux Etats-Unis. D’ailleurs, le film est révélateur de cette pensée puisqu’on observe ainsi une scène se déroulant dans un dojo au début du film entièrement constitué de karatékas afro-américains, sans oublier cette séquence où Williams se fait maltraiter par deux policiers racistes. On sait par ailleurs que le film sera récupéré par le mouvement des Black Panthers aux Etats-Unis dans les années 70. Au-delà de son aspect interculturel qui n’a finalement aucune consistance particulière dans le scénario, « Enter the Dragon » est surtout la consécration de Bruce Lee qui s’impose ici à travers une série de scènes de combat époustouflantes, où l’acteur réutilise son traditionnel cri perçant si reconnaissable et affronte des hordes d’ennemis avec une force colossale – à noter que Lee affronte un jeune Jackie Chan au détour d’une scène de combat dans les souterrains – La mise en scène de Robert Clouse privilégie les ralentis et les plans forts qui renforcent la virtuosité martiale de Lee, et ce jusqu’à l’anthologique affrontement final dans la pièce des 8000 miroirs, séquence culte où Lee affronte Han à travers les reflets qui démultiplient les deux duellistes avec une incroyable inventivité, peut-être l’une des scènes les plus emblématiques de toute la filmographie de Bruce Lee.

La partition musicale de « Enter the Dragon » sera confiée à Lalo Schifrin, qui signe une musique funky typique de ses bandes originales pour le cinéma américain des années 70. La composition de cette partition représenta un véritable challenge pour Schifrin, qui dut écrire une heure de musique en très peu de temps, tout en trouvant le ton juste pour la partie asiatique de la musique, sans tomber dans les stéréotypes hollywoodiens habituels. Schifrin profita de son expérience et de sa formation d’éthnomusicologue au Conservatoire de Paris pour aborder la culture chinoise traditionnelle, tout en essayant de rester le plus authentique possible dans sa démarche. Le score est entièrement écrit pour un grand orchestre symphonique incluant les inévitables synthétiseurs 70’s que Schifrin utilisait régulièrement à cette époque, avec une section rythmique, un ensemble de percussions ethniques et quelques instruments solistes. Le film débute sur « Prologue/The First Fight » où l’on ressent l’influence asiatique avec les gammes pentatoniques habituelles et un jeu frénétique des percussions (gongs, claves, piano, cymbalum, woodblocks, toms, timbales, etc.) évoquant la musique contemporaine, pour le premier combat au début du film. Le thème principal de la partition, typique de Lalo Schifrin, est introduit dans le « Main Titles ». Il s’agit d’un thème à la rythmique funky/groovy typique des années 70, où l’on retrouve la personnalité habituelle du compositeur de « Mission Impossible ». Le thème est confié ici à une guitare électrique doublée par un synthétiseur, sur fond de riff funky des guitares avec pédale wah-wah et de la batterie caractéristique, sans oublier les ponctuations de cuivres et de cordes. Ce thème, devenu l’un des classiques et l’un des plus connus de la filmographie de Lalo Schifrin, influencera plusieurs compositeurs par la suite, à commencer par le musicien lui-même qui le pastichera dans « Rush Hour » dans les années 90. Concernant l’esthétique funky du thème très connotée des seventies, elle se rapproche des thèmes que Schifrin composait à l’époque sur des polars comme « Dirty Harry » ou « Magnum Force ».

Dans « Su Lin (The Monk) », Schifrin se laisse aller à son inventivité habituelle en alternant entre jeux de solistes, percussions, synthétiseurs et sonorités asiatiques caractéristiques, sans oublier l’apport de dissonances plus typiques du langage avant-gardiste habituel du compositeur. « Sampans and Flashbacks » reprend le thème principal de manière plus posée avec son mélange de funk rétro très 70’s. Plus intéressant, « Han’s Island » illustre l’arrivée sur l’île de Han au début du film à l’aide d’un morceau évoquant clairement la musique chinoise traditionnelle. A noter ici l’utilisation d’un saxophone qui apporte une couleur supplémentaire à un ensemble instrumental conséquent et particulièrement diversifié. « The Banquet » développe le thème chinois de « Han’s Island » avec ce même souci d’authenticité, et cette volonté de ne pas faire de pastiche mais d’illustrer ces scènes comme si elles avaient été mises en musique par un compositeur chinois. Certaines pièces de source music jazzy comme « Headset Jazz » ou « The Gentle Softness » sont plus typiques de l’époque et paraissent un brin datées, puis l’on retrouve enfin le score orchestral du film dans « Into the Night », alors que Lee s’infiltre la nuit dans la base souterraine de Han pour y mener son enquête. On appréciera ici la reprise du thème principal par une guitare clean, qui suggère une idée d’espionnage à la « James Bond », sans oublier l’utilisation inventive des percussions et d’effets sonores de flûtes, d’une basse électrique ou des cors en sourdine. L’atmosphère de suspense nocturne de « Into the Night » est assez impressionnante dans le film et traduit bien la volonté d’expérimentation du compositeur, habitué à ce type de musique dans les années 70 (on ressent ici l’influence manifeste de « Dirty Harry »).

« Goodnight Oharra » fait monter la tension avec ses cors et trombones en sourdine, ses notes électroniques étranges et surréalistes, et ses ponctuations graves de piano, évoquant la menace d’Han. De la même façon, « Han’s Cruelty » suggère la brutalité d’Han dans un morceau baignant dans l’atonalité pure, avec son lot de dissonances et d’effets sonores avant-gardistes. « The Human Fly » débute quand à lui sur une ponctuation entêtante de shakers et le retour du thème principal pour le duo guitare clean/basse. Ici aussi, Schifrin suggère le suspense et le danger qui pèse sur Lee et ses collègues lors du tournoi d’arts martiaux organisé par Han. Le morceau finit par basculer dans le chaos avec le retour des synthétiseurs expérimentaux et d’une utilisation impressionnante des percussions, sans oublier quelques effets d’écho utilisés de manière ponctuelle. Ces effets reviennent ensuite au début de « The Big Battle », qui annonce l’affrontement final contre Han à la fin du tournoi d’arts martiaux. Schifrin reprend les rythmiques funky du début alors que Lee et Roper affrontent les bras droits d’Han. Le morceau fait la part belle à la section rythmique et à des cuivres imposants, avant de céder la place au nerveux « Bamboo Birdcage » qui marque le début de la bataille finale entre Lee et Han à la fin du film. Agressive et nerveuse, la musique privilégie ici aussi des rythmes groovy imposants avec des ponctuations cuivrées musclées et des allusions mélodiques au thème principal partagé entre la guitare et les synthés. Enfin, la bataille finale est illustrée durant la célèbre séquence des miroirs (« Broken Mirrors »). Schifrin répond astucieusement au visuel époustouflant de cette séquence par des sonorités cristallines et électroniques évoquant les surfaces en verre, avec des effets de chimes et de waterphone, sans oublier des clusters de cordes plus avant-gardistes et des notes graves de clavier et de vibraphone. Schifrin fait monter la tension en alternant ensuite un duo de harpe/piano avec des nappes dissonantes et des ponctuations de cuivres chaotiques.

Les fans des musiques avant-gardistes de Lalo Schifrin apprécieront à coup sûr l’impressionnant « Broken Mirrors », l’un des meilleurs morceaux de « Enter the Dragon » et l’un des plus spectaculaires, avec son riff de basse funky à la troisième minute qui rappelle par moment le score de « Bullitt » (1968). Le thème est finalement repris de manière plus apaisée à la fin du combat, sans relâcher pour autant la tension, notamment avec ses trémolos discrets de cordes en fond sonore, et le retour du saxophone jazzy avec les flûtes altos si caractéristiques. Enfin, Schifrin reprend son fameux thème principal dans son intégralité dans le superbe « End Titles ». Et c’est ainsi que s’achève l’un des titres-clé du compositeur, régulièrement cité comme l’une de ses meilleures partitions des années 70, un sommet de la musique d’action dans lequel le musicien argentin a réussit l’exploit impossible de combiner à la fois funk groovy, orchestre symphonique, expérimentations avant-gardistes et sonorités asiatiques dans un véritable métissage musical que seul Lalo Schifrin était capable de faire à cette époque au cinéma. Il en résulte une partition à l’atmosphère assez unique en son genre, souvent imitée par la suite mais rarement égalée, d’autant que le score apporte une richesse et une personnalité indissociable au film de Robert Clouse. A noter pour finir que Schifrin a réédité le score de « Enter the Dragon » dans une version longue par le biais de son label Alpeh Records, qui permet de redécouvrir l’intégralité du score dans un son de bien meilleure qualité, pour ce qui reste le film ultime de Bruce Lee, une musique indissociable du célèbre cri aigu de l’acteur et de ce cinéma d’arts martiaux porté à son apogée avec cette première production américano-chinoise des années 70 : de l’anthologie pure !



---Quentin Billard