« From Beyond » (Aux portes de l’au-delà) est le second long-métrage de Stuart Gordon, réalisé en 1986 soit tout juste un an après « Re-Animator » qui lui permit de se faire connaître au milieu des années 80. Gordon retrouve ici une partie de son équipe habituelle : Brian Yuzna au scénario (ce dernier avait produit « Re-Animator »), Charles Band à la production (le défunt studio Empire Pictures), Mac Ahlberg à la photographie, sans oublier la présence des acteurs fétiches de Stuart Gordon au casting : Jeffrey Combs, Barbara Crampton et Carolyn Purdy-Gordon (l’épouse du réalisateur). Le film raconte l’histoire d’une expérience scientifique qui tourne à la catastrophe. Le Dr. Edward Pretorius (Ted Sorel) et son assistant Crawford Tillinghast (Jeffrey Combs) mettent au point une machine capable de stimuler la glande pinéale (épiphyse) qui se trouve dans le cerveau humain et qui est un organe peu connu des scientifiques. L’objectif de l’expérience consiste à permettre à l’être humain de percevoir une autre réalité dimensionnelle bien au-delà de notre temps, de découvrir d’autres mondes juxtaposés au nôtre. Hélas, le test lancé par Pretorius et Crawford vire à la catastrophe : stimulé par le résonateur, le Dr. Pretorius commence à observer d’étranges créatures flottant dans les airs. Les monstres finissent alors par attaquer le scientifique tandis que Crawford réussit à mettre fin à l’expérience en déconnectant le résonateur et s’en sort indemne. Interné dans un hôpital psychiatrique alors que l’on croit qu’il a tué son collègue dans un accès de folie, Crawford reçoit la visite du docteur Katherine McMichaels (Barbara Crampton), une jeune psychiatre qui s’intéresse à son cas et décide de s’occuper de lui, persuadée qu’il y a un fond de vérité dans cette histoire d’expérience scientifique improbable. Katherine veut retourner dans la maison du Dr. Pretorius en compagnie de Crawford afin de découvrir ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là. Elle est accompagnée durant son périple par Buford « Bubba » Brownlee (Ken Foree), qui est chargé de s’assurer de la sécurité des deux individus. C’est avec horreur que Crawford découvre alors que le Dr. Pretorius n’est pas mort mais que l’expérience l’a transformé en une terrifiante créature difforme et protéiforme qui cherche désormais à détruire notre monde par tous les moyens.

En se basant sur le mystère de la glande pinéale du cerveau humain, une zone restée inexplorée pendant de nombreuses années par les chercheurs et que le philosophe Descartes décrivait comme le « sixième sens », Stuart Gordon élabore une atmosphère d’horreur pure où l’on retrouve le mélange de perversité, d’érotisme tordu, d’humour noir et de gore à outrance qui fit le succès de « Re-Animator » en 1985. « From Beyond » fut un film beaucoup plus ambitieux, nécessitant davantage de moyens, notamment à cause des effets spéciaux et des effets de maquillage de John Buechler, John Naulin et Mark Shostrum. A ce sujet, le film est un véritable festival : entre les scènes de transformation grotesques de Pretorius, la séquence où Crawford, dont la glande pinéale ressort au milieu de son front, dévore l’oeil d’une doctoresse, la mort gore de Bubba et les nombreuses scènes avec les créatures flottant dans l’air autour du résonateur, « From Beyond » fut un film très technique et assez complexe à filmer – le tournage fut émaillé de quelques incidents – mais qui porte la marque du duo Stuart Gordon/Brian Yuzna, typique des productions Charles Band du milieu des années 80. Le cinéaste mélange ici l’horreur et le sexe avec une perversité et un érotisme étrange, à la manière du « Videodrome » de David Cronenberg. La scène où Katherine, dont la glande pinéale a été stimulée par le résonateur, s’adonne au sadomasochisme en combinaison de cuir est assez révélatrice de l’ambiance si particulière du film. A l’instar de « Re-Animator », « From Beyond » est une plongée épatante dans cette adaptation d’une nouvelle de H.P. Lovecraft, et même si le film a quelque peu vieilli techniquement (il a été réalisé avec un budget modeste), il n’en demeure pas moins très réussi et indissociable de la filmographie de Stuart Gordon, un classique de l’épouvante des années 80.

Le film marque aussi les retrouvailles entre Stuart Gordon et Richard Band un an après « Re-Animator ». Pour « From Beyond », l’objectif de Richard Band était d’expérimenter davantage que sur « Re-Animator », en élaborant une atmosphère particulière mélangeant l’orchestre et l’électronique tout en évoquant une ambiance sensuelle étrange et pleine de mystère. Richard Band est aidé ici par son complice Christopher L. Stone pour le sampling synthétique, compositeur avec lequel Band collaborera sur « TerrorVision » (1986) et « Prison » en 1988. « Resonator Works » et « No Control » permettent de poser les bases de la partition à travers une ambiance envoûtante et mystérieuse. A noter que pour les besoins du film, Richard Band n’utilise qu’un orchestre à cordes constitué d’une quarantaine de musiciens, évacuant les bois et les cuivres mais en ajoutant une harpe, un piano, des percussions (incluant un vibraphone) et toute la partie électronique. Les éléments synthétiques de « Resonator Works » évoquent le résonateur conçu par le Dr. Pretorius. Les sons semblent ici onduler de façon un peu inquiétante, alternant entre cordes, glockenspiel, piano et synthétiseur. A noter que Band utilise aussi régulièrement des sons cristallins et métalliques élaborés à partir de samples de cloches et de bols produits par Christopher L. Stone, avec des grincements aigus qui rappellent l’harmonica de verre, élément sonore récurrent dans le score de « From Beyond ». Le « Main Title » pose quand à lui le ton de la partition à travers un morceau enragé et agressif aux cordes et aux percussions (marimba, cymbales, timbales, caisse claire, glockenspiel) pour le générique de début du film, annonçant la tonalité horrifique de « From Beyond ».

« We Saw Creatures » développe le style mystérieux du début avec ces notes ondulantes rappelant le résonateur du Dr. Pretorius, comme s’il s’agissait d’ondes sonores qui se répandent de manière imperceptible dans l’air. « He’s All Yours » propose des variations autour de ces sonorités brumeuses et répétitives avec un travail de cordes dissonantes et avant-gardistes plus imposant (glissandi, clusters, etc.). « Benevolant Street » suggère le retour de Crawford dans la maison de Pretorius aux côtés du Dr. Katherine McMichaels et du policier Bubba. Band développe ici aussi les sonorités électroniques associées au résonateur et nous plonge dans une ambiance résolument sombre et inquiétante. La terreur débute enfin dans « More Axe » avec des cordes stridentes/dissonantes dont les notes oscillent à travers d’étranges vibratos entêtants et le retour des sonorités métalliques/cristallines du résonateur. L’atmosphère devient ici plus surréaliste et suffocante à travers l’écriture avant-gardistes des cordes et de l’électronique. Dans « Pretty, Isn’t She », Band dévoile le thème plus intime associé à Katherine dans le film, dominé par des cordes plus suaves et mystérieuses évoquant la doctoresse et ses ambitions. « In The Cellar » est le premier morceau d’action du score, un déchaînement orchestral brutal et terrifiant pour la scène de la première créature du film – à noter ici le rôle percussif du piano et des col legno martelés aux cordes – « Kathy Dresses Up » dévoile un autre motif de quelques notes à la harpe associé à Katherine dans le film. Le motif suggère la sensualité grandissante de la jeune femme, influencée par les ondes du résonateur qui l’incitent à s’intéresser à la combinaison de cuir et au bondage. Le motif sera aussi repris brièvement à la fin de « Fuses Blow » et dans « Kathy’s Hospital Run ».

L’horreur domine dans le terrifiant « The Swarm », l’un des moments forts du score de « From Beyond » pour la séquence de l’attaque des étranges insectes carnivores. L’écriture de Richard Band est ici plus inventive y compris dans l’emploi des cordes. De la même façon, le compositeur évoque la mort gore et sanglante de Bubba dans l’agressif et terrifiant « Bubba Dies ». La terreur se prolonge ensuite dans « Resonator Starts Up » avec ses arpèges rapides de cordes assez virtuoses. Dans « Kathy’s Hospital Run », Katherine ramène d’urgence Crawford gravement blessé par Pretorius. On retrouve non seulement ici le motif entêtant de Kathy à la harpe mais aussi un segment emprunté au « Main Titles » du film. Dans « French Eye Kiss », Band évoque la scène où Crawford, dont la glande pinéale vient de sortir de son crâne, dévore l’oeil d’une doctoresse à l’hôpital. Les dissonances sont ici multiples, Band renforçant l’atmosphère chaotique et brutale de sa musique de manière fort intéressante, sans jamais verser dans la cacophonie. La tension monte d’un cran avec l’intense « Kathy’s Freed », autre moment fort du score de Richard Band. L’écriture est ici plus complexe, plus technique, incluant des effets instrumentaux/sonores variés et intéressants, sur fond d’utilisation avant-gardiste des cordes et de l’électronique. « Kathy’s Freed » accompagne la bataille finale et l’explosion de la maison de Pretorius, mettant fin au cauchemar une bonne fois pour toute. « Soliloquy Tag » reprend le thème de Katherine de « Pretty Isn’t She » avec quelques notes finales dissonantes et agressives, qui semblent indiquer que l’histoire n’est pas terminée.

Richard Band signe donc un score à suspense horrifique assez intéressant pour « From Beyond », bien que l’ensemble n’ait rien de foncièrement original en soi. Le score témoigne du savoir-faire du compositeur et rappelle la qualité de sa collaboration avec Stuart Gordon, qui se prolongera sur « The Pit and the Pendulum » (1991) et « Castle Freak » (1995). L’album publié par Intrada en 2016 nous permet enfin d’apprécier l’intégralité du score de « From Beyond » avec sa multitude de détails sonores et de techniques musicales très réussies, aussi bien sur les images que sur l’album. D’une manière générale, le score de « From Beyond » marquera un tournant dans la carrière de Richard Band et le lancera pour de bon sur les productions Charles Band et les nombreux films d’épouvante/suspense qu’il mettra en musique entre les années 80 et 90. Les fans de Richard Band apprécieront donc l’album d’Intrada qui offre un éclairage inédit à cette solide partition horrifique peu originale mais assez mémorable malgré tout.




---Quentin Billard