1-Prologue/Main Title 3.21
2-Harry's World 1.03
3-Warehouse Heist 5.20
4-Code Blue 1.14
5-Rooftop Chase 6.02
6-Raid On Mustafa's 1.17
7-Kidnap Zap 3.45
8-Tiffany's Number Eleven 3.18
9-The Shooting Nun 1.15
10-Alcatraz Encounter 4.26
11-Death On The Rock 3.04
12-Finale (Elegy For Inspector Moore) 2.50
13-Finale (Alternate) 2.56

Musique  composée par:

Jerry Fielding

Editeur:

Aleph Records 038

Album produit par:
Nick Redman
Producteur exécutif:
Donna Schifrin
Remix score:
Michael Matessino
Montage et mastering:
Daniel Hersch
Montage musique:
Donald Harris

Artwork and pictures (c) 1976 Warner Bros. Inc. & The Malpaso Company. All rights reserved.

Note: ***1/2
THE ENFORCER
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jerry Fielding
Après « Dirty Harry » et « Magnum Force », l’inspecteur Harry Callahan est de retour dans un troisième film, « The Enforcer » (L’inspecteur Harry ne renonce jamais), réalisé par l’américain James Fargo et sorti en 1976. L’histoire de ce troisième épisode se déroule quelques années après les événements de « Magnum Force ». Harry Callahan (Clint Eastwood) enquête cette fois-ci sur un obscur groupe terroriste nommé la Force de Frappe du Peuple, dirigée par Bobby Maxwell (DeVeren Bookwalter), un psychopathe qui a été radié des forces spéciales durant la guerre du Vietnam en raison de sa schizophrénie. Cette organisation extrémiste réclame ainsi deux millions de dollars à la ville de San Francisco et utilise les uniformes et le camion d’une compagnie de gaz pour parvenir à ses fins. Considéré comme violent et excessif par son supérieur le capitaine McKay (Bradford Dillman), Callahan est muté de la Brigade criminelle au Service du personnel, où il doit superviser l’arrivée de nouvelles recrues dans la police. C’est ainsi que l’inspecteur Harry découvre que les trois nouvelles recrues sont des femmes, incluant l’inexpérimentée Kate Moore (Tyne Daly). Pendant ce temps, les membres de la Force de Frappe du Peuple dérobent une cargaison d’armes incluant des lance-roquettes, des fusils d’assaut M16, des tasers et de nombreuses autres armes. L’assaut de l’entrepôt coûte la vie à trois personnes, incluant Frank DiGiorgio (John Mitchum), le coéquipier de Callahan, abattu par Bobby Maxwell au cours de l’attaque. C’est ainsi que le capitaine McKay décide d’assigner la jeune Kate Moore comme nouvelle coéquipière de Callahan, et ce au grand dam de l’inspecteur Harry. Ils traquent alors les membres de l’organisation terroriste et remontent jusqu’au poseur de bombe, Henry Lee Caldwell, qui travaille pour le compte d’un groupe de militants noirs dirigé par Big Ed Mustapha (Albert Popwell). Callahan parvient à obtenir un arrangement avec Mustapha et obtient de précieuses informations le conduisant tout droit à Bobby Maxwell et ses complices. Mais la Force de Frappe du Peuple kidnappe alors le maire au cours d’une embuscade savamment préparée et se retranche à l’intérieur de la prison abandonnée d’Alcatraz.

Ecrit à l’origine comme un épisode à part de la franchise « Dirty Harry », le script de Gail Morgan Hickman et S.W. Schurr évoluera très vite pour devenir un nouvel épisode de la série des inspecteurs Harry. Remanié de nombreuses fois à la demande Clint Eastwood, le script final sera finalement porté à l’écran par James Fargo, l’assistant réalisateur habituel d’Eastwood sur ses anciens films. Souvent considéré comme l’épisode le plus politiquement correct de toute la saga, « The Enforcer » n’en demeure pas moins un polar sombre et violent, surtout connu pour mettre en scène une femme dans le rôle de la nouvelle coéquipière d’Harry Callahan – une première dans toute la saga – apportant une dimension féministe étrange à une franchise surtout connue pour son caractère subversif et son personnage réactionnaire. Certains critiques ont par ailleurs apprécié le fait que le personnage de Kate Moore soit autant développé dans le script, tandis que Clint Eastwood met quelque peu son égo de côté pour offrir des scènes solides à sa nouvelle équipière. On retrouve néanmoins ici certains éléments clé de la saga « Dirty Harry », à commencer par une violence assez exacerbée, y compris lors d’une séquence pré-générique particulièrement brutale incluant un meurtre au poignard-poing américain d’une certaine sauvagerie. Callahan reste fidèle à lui-même et malmène à tout bout de champ les institutions qu’il critique (ou insulte) ouvertement : ses supérieurs hiérarchiques, ses proches, ses collègues, les criminels qu’il combat violemment et même un prêtre idéaliste à qui il sauve la vie dans une église et qu’il sermonne d’une réplique cinglante : « j’ai fermé les yeux ! Ouvrez-les ! », alors que Kate Moore vient d’abattre une fausse religieuse qui s’apprêtait à tirer sur eux avec un fusil.

« The Enforcer » évoque par la même occasion les groupuscules activistes qui sévissent en Amérique au début des années 70. Ainsi, le mouvement dirigé par Big Ed Mustapha s’apparente clairement aux fameux Black Panthers de l’époque, tandis que la Force de Frappe du Peuple s’inspire de l’Armée de libération symbionaise qui commis de nombreux crimes sur le sol américain entre 1973 et 1975. Avec sa dimension sociale et politique évidente, « The Enforcer » semble plus proche de la raideur de « Dirty Harry », même s’il manque clairement au film un brio, un génie subversif qu’avait su trouver Don Siegel sur le premier film de 1971. Moins intéressant, « The Enforcer » semble hésiter entre deux chemins : le politiquement correct (Harry accepte une femme inexpérimentée comme nouvelle équipière) et la critique caustique de la société américaine, et le résultat est un peu à mi-chemin entre les deux, même s’il manque quelque chose pour faire du film de James Fargo une suite à la hauteur des premiers films de la saga. « The Enforcer » contient donc ses moments de fulgurance et de violence pure (Harry qui dégomme les gangsters lors du traditionnel hold-up présent dans tous les films, la bataille finale à Alcatraz durant laquelle Callahan tue le méchant à coup de lance-roquette, la mort brutale de DiGiorgio, etc.) mais a bien du mal à se hisser au niveau du premier « Dirty Harry ». A l’inverse de Don Siegel, James Fargo n’a pas de point de vue particulier et se contente d’effleurer les thèmes qu’il met en scène à l’écran, de manière très artisanale mais sans génie particulier. Il faut aussi se souvenir qu’il s’agit là du premier long-métrage du cinéaste, qui se fera surtout connaître par la suite avec quelques titres typiquement 80’s comme « Forced Vengeance » (1982) avec Chuck Norris ou « Voyage of the Rock Aliens » (1984). Enfin, et c’est une habitude dans la série, signalons quelques répliques savoureuses, autant en V.O. qu’en V.F ! Petit florilège de quelques punchlines typiques de l’inspecteur Harry : « Je peux faire une déclaration McKay ? », le supérieur hiérarchique de Callahan répondant : « oui allez-y ! », ce à quoi l’inspecteur répond : « votre bouche est trop près de votre rondelle ! ». Ou bien, alors quand Callahan, furieux, rend son étoile à McKay : « tenez, ça va vous faire un suppositoire à sept branches ! ». McKay ajoutant : « qu’est-ce que vous osez dire ? », ce à quoi Harry réplique sèchement : « J’ai dit : collez-vous l’étoile dans le cul ! ».

« The Enforcer » est le seul et unique film de la franchise à ne pas avoir été mis en musique par Lalo Schifrin, qui n’était pas disponible au moment où le film était tourné. C’est pourquoi Clint Eastwood et le studio décidèrent de faire appel à Jerry Fielding, musicien connu pour ses partitions jazzy des années 60/70 et ses collaborations aux films de Sam Peckinpah et Michael Winner (« The Wild Bunch », « Scorpio », « The Mechanic », « Lawman », « The Killer Elite », « Straw Dogs », « Bring Me the Head of Alfredo Garcia », « The Big Sleep », etc.). A noter par ailleurs que Fielding signa la musique d’un autre film de Clint Eastwood, « The Outlaw Josey Wales », la même année où il fit celle de « The Enforcer » (1976). Eastwood retravaillera à nouveau avec lui sur « The Gauntlet » (1977) et « Escape from Alcatraz » (1979). La partition de « The Enforcer » s’avère être dans la continuité des « Dirty Harry » et « Magnum Force » de Lalo Schifrin, dans le sens où Jerry Fielding renoue ici avec ce style jazz/funky instauré par Schifrin sur les épisodes précédents tout en évoquant clairement le style jazzy moderne et avant-gardiste propre au compositeur attitré de Sam Peckinpah et Michael Winner. Si l’on cherche le point de départ du style musical particulier de « The Enforcer », il faut évidemment le rechercher du côté des anciens scores de Fielding, et notamment « The Killer Elite », « The Outfit » ou « The Super Cops », qui partagent en commun cette même esthétique funky/jazzy typique des années 70 avec une pointe de modernité et d’expérimentation. Pour « The Enforcer », le compositeur a choisi comme point de départ la mort finale de l’inspecteur Moore (Tyne Daly) à la toute fin du film pour bâtir la thématique de sa partition. Le morceau est d’ailleurs connu sous le titre « Elegy for Inspector Moore » et s’avère être un adagio pour cordes et vents absolument poignant.

C’est donc sans surprise que le film s’ouvre sur le superbe thème de Kate Moore, annonçant d’emblée le final tragique du récit – élément récurrent dans la saga des Inspecteurs Harry : tous ses coéquipiers finissent toujours pas mourir, d’une façon ou d’une autre – Après une ouverture sombre et dissonante typique du style avant-gardiste habituel de Jerry Fielding, « Prologue/Main Title » dévoile rapidement le thème principal lors du générique de début du film dès 2:22 à l’aide du rythme funky de la batterie et de la basse, accompagnée de cuivres, de cordes ; de bois (avec saxophone soliste) et d’un piano résolument jazzy. On retrouve ici l’esthétique jazz habituelle de Fielding qui rappelle ses arrangements jazz sur certains albums des années 50 (« Jerry Fielding and His Great New Orchestra » en 1953) et sur ses partitions pour la télévision dans les années 60. Après une ouverture assez mémorable, « Harry’s World » illustre le personnage de Callahan à grand renfort de rythmes funky de la batterie, de riffs de basse et de ponctuations jazzy des cuivres, comme le fit précédemment Lalo Schifrin. Dans « Warehouse Heist », Fielding évoque le cambriolage de l’entrepôt au début du film par la Force de Frappe du Peuple de Bobby Maxwell. Le compositeur élabore ici une longue montée de tension et d’action pendant plus de 9 minutes à l’aide de synthétiseurs, de percussions diverses et de cordes et de vents dissonants, renouant avec son style avant-gardiste hérité de la musique contemporaine du milieu du XXe siècle, celle de Penderecki, Xenakis ou Lutoslawski : Fiedling n’hésite pas à verser dans un style atonal pur comme il le fit dans « Straw Dogs » (1973), utilisant des effets aléatoires de pizzicati de cordes pour amplifier la tension à l’écran. La thématique funky d’Harry Callahan revient ensuite à 7:44 avec les riffs caractéristiques de basse et de piano, alors que l’inspecteur arrive sur les lieux du crime pour y mener son enquête.

« Code Blue » permet à Fielding d’osciller entre des mesures dissonantes, des moments mélancoliques et une section résolument jazzy qui résument à eux tout seul tout l’art du compositeur. La poursuite sur les toits des immeubles de San Francisco est brillamment évoquée dans « Rooftop Chase », où Fielding choisit d’amplifier l’excitation de la traque par le recours à un style résolument jazz/funky typique des polars urbains des années 60/70. Evidemment, il y a ici une influence manifeste des travaux de Quincy Jones, Lalo Schifrin ou Don Ellis à la même époque, mais Fielding parvient à conserver sa propre personnalité, n’hésitant pas à offrir à ses musiciens quelques superbes chorus, comme cette improvisation de flûte ou celle du clavier Rhodes sur un tempo de jazz bebop à la manière de Thelonious Monk ou Charlie Parker. Etonnamment, « Rooftop Chase » semble avoir été écrit aussi bien pour la scène de poursuite qu’en tant que pièce de jazz à part entière. Fielding élabore une série de chorus instrumentaux intenses sur un tempo ultra rapide typique du bebop, si bien que le morceau finit par s’écouter parfaitement sans les images – il dure tout de même plus de 11 minutes sur l’album ! – La dernière partie de « Rooftop Chase » cède ensuite la place à une rythmique plus funky typique de « The Enforcer ». « Raid on Mustafa’s » s’avère assez similaire dans sa rythmique groovy caractéristique pour la séquence où Callahan se rend chez Big Ed Mustapha. Quand à « Kidnap Zap », le morceau illustre la séquence où Maxwell kidnappe le maire de San Francisco. Fielding profite de l’occasion pour développer ici les riffs de basse funky d’Harry Callahan (repris de « Raid on Mustafa’s ») juxtaposés à des cordes dissonantes suggérant la tension à l’écran, le tout accompagné de quelques couleurs instrumentales supplémentaires (cithare, piano).

Dans « The Shooting Nun », Kate Moore abat une fausse religieuse dans une église au son d’une musique plus sombre où l’on devine une certaine mélancolie sous-jacente dans les harmonies et les couleurs instrumentales. « Alcatraz Encounter » nous amène ensuite à la longue confrontation finale dans la prison d’Alcatraz vers la fin du film. Jerry Fielding fait ici monter la tension pendant plus de 8 minutes avec de nombreux passages dissonants/avant-gardistes plus agressifs (incluant les effets aléatoires de pizz des cordes et les clusters). Le compositeur développe ici une approche musicale très technique et complexe, travaillant davantage la dissonance avec une liberté de ton typique des films des années 70. De la même façon, « Death on the Rock » prolonge cette montée de tension et de suspense par un ultime retour des sonorités avant-gardistes et complexes de « Alcatraz Encounter », ses dissonances multiples, ses rythmes syncopés et ses traits instrumentaux rapides. Le morceau accompagne la séquence finale où Moore sauve le maire mais se fait abattre par Maxwell, avant d’être lui-même tué par Callahan à coup de lance-roquette. Fielding fait ici une connexion évidente avec « Prologue/Main Title » en reprenant quelques mesures de l’ouverture, avant une coda plus agressive et violente. Et c’est ainsi que le poignant « Finale (Elegy for Inspector Moore) » conclut la partition avec une ultime reprise du thème tragique de l’inspectrice Moore pour la toute fin du film. A noter que l’album nous permet d’entendre une version alternée de cette musique, « Finale (Alternate) », qui se conclut d’une manière un brin plus héroïque mais moins appropriée à la fin du film.

Jerry Fielding signe donc une partition de très grande qualité pour « The Enforcer », et même si le score n’est pas ce que le compositeur a fait de plus mémorable dans sa carrière, sa musique demeure néanmoins très riche et très élaborée, évoquant toutes les facettes de l’un des plus talentueux compositeurs américains des années 60/70. Tour à tour jazzy, funky, avant-gardiste, sombre et mélancolique, la musique de « The Enforcer » apporte le punch nécessaire au film de James Fargo et assure parfaitement la continuité avec les précédents épisodes mis en musique par Lalo Schifrin. Les fans de Jerry Fielding retrouveront donc dans « The Enforcer » tout ce qui fait la quintessence même du style de cet excellent musicien. Le score varie les axes et les idées avec une cohésion d’ensemble remarquable, même si la musique s’avère finalement utilisée avec parcimonie sur les images tout en demeurant impeccable en écoute isolée. Le score reste néanmoins bien moins original qu’il n’y paraît et apparaît finalement comme l’une des partitions les plus accessibles du compositeur, y compris dans les moments dissonants/avant-gardistes qui n’égalent pas ceux de « Straw Dogs » ou de sa partition horrifique pour « Demon Seed » (1977), composée un an après celle du film de James Fargo. Les fans des films de l’inspecteur Harry apprécieront donc sans hésitation la partition de « The Enforcer », qui reste malgré tout une oeuvre de choix pour aborder l’univers musical si passionnant de Jerry Fielding.




---Quentin Billard