1-Only God Forgives 0.47
2-Ask Him Why He
Killed My Brother 2.12
3-Chang and Sword 2.24
4-Chang Vision 3.46
5-Do as Thou Will 2.12
6-Can't Forget 3.30*
7-Crystal Checking In 1.58
8-More Hands 2.46
9-Sister, Part 1 3.10+
10-Take It Off 2.42
11-Leave My Son in Peace 4.51
12-Falling in Love 3.30**
13-Crystal and the Bodybuilders 4.06
14-Ladies Close Your Eyes 8.02
15-Bride of Chang 3.05
16-Wanna Fight 4.50
17-You're My Dream 3.35***

*Interprété par Vithaya Pansringarm
et Cliff Martinez
Ecrit par Samneang Thongmoung
**Interprété par Ratha Phongam
et Cliff Martinez
Ecrit par Kanokwan Kung-noi
+Ecrit par Anthony Gonzalez
Interprété par Cliff Martinez
feat. Gregory Tripi.

Musique  composée par:

Cliff Martinez

Editeur:

Milan Music M2-36637

Album produit par:
Stefan Karrer
Orchestrations:
Kristian Eidnes Andersen
Orchestre:
The City of Prague Philharmonic Orchestra
Conduit par:
Richard Hein

(c) 2013 Space Rocket Nation/Gaumont/Wild Bunch/Motel Movies/Bold Films/Film I Väst/DR/Flimklubben/Nordisk Film ShortCut/Danish Film Institute/Nordisk Film & TV Fond/MEDIA Programme of the European Union. All rights reserved.

Note: ***
ONLY GOD FORGIVES
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Cliff Martinez
En l’espace de quelques années seulement, le cinéaste danois Nicolas Winding Refn s’est formé une filmographie impressionnante, constituée de titres choc. Révélé grâce à sa trilogie « Pusher », dont le premier épisode sort en 1996, Refn enchaîne les films violents et extrêmes : « Bleeder » (1999), « Inside Job » (2003), « Bronson » (2009), « Valhalla Rising » (2010) et le superbe « Drive » (2011), l’un de ses meilleurs films à ce jour. Désirant travailler à nouveau avec l’acteur Ryan Gosling après « Drive », Nicolas Winding Refn réalise ainsi « Only God Forgives », qui sort en salles en 2013, où il est présenté en compétition officielle pour la Palme d’or au Festival de Cannes. Hélas, le film divise fortement les critiques et a bien du mal à fédérer les spectateurs, comme ce fut pourtant le cas sur « Drive ». Le film se déroule en Thaïlande. On y suit l’histoire de Julian Hopkins (Ryan Gosling), un ancien gangster américain qui s’est réfugié dans ce pays où il dirige un club de boxe thaïlandaise qui sert de couverture à son trafic de drogue. Un soir, son frère aîné Billy (Tom Burke) agresse et tue une jeune prostituée adolescente qui est retrouvée par la police. Chang (Vithaya Pansringarm), un policier à la retraite qui a repris du service pour traquer le bourreau, retrouve la trace de Billy et permet au père de la victime, Choi Yan Lee (Kovit Wattanakul), de battre violemment Billy jusqu’à la mort. Chang reproche alors à Choi Yan Lee d’avoir laissé sa fille se prostituer et d’avoir délaissé ses enfants. Afin qu’il n’oublie plus jamais ses devoirs de père, Chang décide de lui couper le bras droit à l’aide de son katana. Apprenant par la suite la mort de son frère Billy, Julian, qui vit avec une prostituée nommée Maï (Rhatha Phongam), retrouve Choi Yan Lee et cherche à en savoir plus sur le meurtre de Billy. Il décide par ailleurs de laisser l’homme en vie. Au même moment, Crystal (Kristin Scott Thomas), la mère de Julian, arrive à Bangkok afin de récupérer le corps de son fils. Découvrant que Julian a laissé le meurtrier en vie, Crystal, excédée, engage un voyou local nommé Byron (Byron Gibson), pour assassiner le policier Chang, alors que Choi Yan Lee est retrouvé mort chez lui.

« Only God Forgives » permet à Nicolas Winding Refn d’explorer l’un de ses thèmes de prédilection, la violence, en évoquant à nouveau les tréfonds les plus obscurs de l’âme humaine. Filmé entièrement en Thaïlande, le film se pare d’une esthétique visuelle très particulière, avec ses nombreuses scènes nocturnes et ses longs couloirs éclairés par des néons aux lumières rougeâtres. Extrêmement déroutant et foncièrement cruel, « Only God Forgives » évoque le trajet chaotique d’un homme confronté à Dieu – incarné ici par un inspecteur de police à la retraite transformé en justicier absolu – qui cherche la rédemption. Superbement campé par un Ryan Gosling mutique qui erre dans le film comme un spectre désincarné, le personnage de Julian est un gangster qui voudrait être un grand parrain de la pègre mais voit ses ambitions réduites à néant en raison de son manque de courage et la présence écrasante d’une mère monstrueuse, magnifiquement incarnée par Kristin Scott Thomas. Le film évoque la relation incestueuse entre le fils et la mère à travers une scène dérangeante où Crystal évoque à table le sexe de ses deux fils. Symbolisant l’impuissance sexuelle et psychologique, le personnage de Julian est une véritable épave humaine, campé paradoxalement par un beau gosse charismatique mais qui agit comme une vraie lavette tout au long du récit. Jouant sur ce paradoxe déstabilisant, Nicolas Winding Refn assume ici le lien avec son film précédent, « Drive », où Ryan Gosling incarnait déjà un héros mutique – une récurrence dans sa filmographie depuis « Valhalla Rising » - et si le scénario manque clairement d’épaisseur, la mise en scène de Refn est absolument magistrale. Le film est marqué par une empreinte visuelle forte, une direction d’acteur impeccable et une bande son impressionnante.

Comme toujours chez le cinéaste danois, la violence est omniprésente de A à Z, frôlant l’insoutenable à plusieurs reprises (le film a échappé de justesse à une interdiction aux moins de 16 ans en France en 2013 et sera exceptionnellement déclassé suite à quelques combines politiques !). Tourné à la manière d’une fable mystique et métaphysique sur le rapport à Dieu et la mort, « Only God Forgives » reprend les codes du polar et les détourne pour concevoir un récit symbolique dans lequel Refn mélange les thèmes oedipiens – le rapport du fils à une mère dévorante et monstrueuse – et religieux – le personnage de Chang, incarnant aussi bien le juge, le jury et le bourreau, subtile variation du « Dieu » de l’Ancien Testament – avec un message sur la violence et le mal assez évident (le mal conduit toujours au mal et condamne inexorablement ceux qui le pratiquent). Moins tapageur et moins accessible que « Drive », « Only God Forgives » ne recherche pas l’esthétique visuelle de son prédécesseur mais se dirige à contrario vers un cinéma plus personnel, plus radical, porté par une noirceur personnelle et ahurissante, qui risque fort d’en déranger plus d’un. A ce sujet, le film sera très sévèrement hué lors de son passage à Cannes en 2013, une bonne partie des spectateurs ayant quitté la salle. Souvent considéré comme l’une des oeuvres les plus extrêmes de Nicolas Winding Refn, « Only God Forgives » pourrait bien être l’un de ses films les plus mémorables, un film très particulier, difficile d’accès et inaccessible pour ceux qui sont hermétiques au style de Refn.

Cliff Martinez retrouve le cinéaste danois deux ans après « Drive », et signe pour « Only God Forgives » une partition ténébreuse et torturée assez impressionnante à l’écran. Boosté par l’incroyable créativité et la singularité de la mise en scène de Nicolas Winding Refn, Martinez met les bouchées doubles sur « Only God Forgives » et signe un score imposant, radical et ténébreux, plutôt intense et immersif. Après la noirceur des cuivres menaçants de l’ouverture, « Ask Him Why He Killed My Brother » tente de brouiller les pistes à travers une écriture orchestrale favorisant les cordes, les bois et un célesta évoquant les sons d’une étrange boîte à musique mélancolique. Habitué aux musiques électroniques modernes, Cliff Martinez opte ici pour une approche orchestrale hybride dans laquelle les synthétiseurs sont bien présents mais utilisés comme un élément à part entière des orchestrations. « Chang and Sword » évoque le personnage du policier Chang, symbolisant ici Dieu qui abat sans merci son épée sur ses victimes. Martinez met ici en avant des sonorités synthétiques analogiques sur fond de loops discrets, le tout enveloppé dans une étrange retenue assez particulière à l’écran (on croirait entendre une musique de Goblin des années 80 !). Les cordes de « Chang Vision » apportent alors une autre dimension au personnage de Chang, avec une écriture plus tragique et torturée assez étonnante de la part de Cliff Martinez. A 1:48, le compositeur développe une série de clusters des bois et des cuivres qui ne sont pas sans rappeler des oeuvres de musique contemporaine de Penderecki (on pense parfois au début du « Songe de Jacob »).

Ici aussi, Martinez parvient à instaurer un malaise véritable à l’écran en brouillant les pistes, mélangeant les styles et les sonorités pour renforcer la photographie hallucinée du film et son atmosphère déroutante et dérangeante. Autre effet notable : le filtre audio que Martinez utilise dans « Chang Vision » à 3:12 et qui consiste à « enfermer » le son en modifiant une certaine gamme de fréquences des sons, un procédé plutôt atypique qui apporte ici une ambiance très particulière à l’écran. « Do As Thou Will » joue sur toute une série de trémolos menaçants des cordes et reprend les accords de cuivres dissonants et monumentaux de l’ouverture pour évoquer l’omniprésence de Chang. Dans « Crystal Checking In », Martinez évoque la mère de Julian campée par Kristin Scott Thomas avec ses notes hésitantes évoquant encore une fois une boîte à musique et des sons cristallins – probablement en référence au nom de Crystal - pour suggérer le lien entre l’homme et sa mère écrasante et monstrueuse. « More Hands » illustre quand à lui une autre scène où Chang abat impitoyablement son glaive qui coupe le bras d’un homme ayant pêché. Martinez accentue ici le travail autour de l’atonalité et des dissonances, avec son orgue gothique et quasi religieux ( évoquant encore une fois l’idée de Dieu, en référence au titre du film). « Sister, Pt. 1 » est en revanche plus atmosphérique, avec ses nappes synthétiques planantes et mélancoliques plus typiques du style habituel de Cliff Martinez.

« Leave My Son In Peace » accentue le travail autour de l’électronique de manière plus minimaliste mais sans grande conviction particulière. Les accords dissonants introductifs des cuivres sont repris à 4:07 comme pour évoquer l’entité divine et monstrueuse symbolisée ici par l’omnipotent Chang, sur fond de petites percussions exotiques (l’histoire se déroule en Thaïlande). Les cordes paraissent plus tragiques et résignées dans « Crystal and the Bodybuilders » tandis que « Ladies Close Your Eyes » évoque une autre scène des méfaits sanglants de Chang à l’aide de bois et de cordes dissonantes et stridentes, sur fond de percussions chaotiques. Martinez opte ici pour une approche résolument avant-gardiste et expérimentale, à travers ses effets sonores stridents des cordes et son flot aléatoire de percussions, pour la scène sanglante où Chang crève les yeux de Byron et lui enfonce un pic à glace dans l’oreille. Les sonorités électroniques reviennent ensuite dans « Bridge of Chang » avec son tempo plus pressé et plus urgent, suivi des notes de l’orgue gothique aux consonances liturgiques. « Wanna Fight » accompagne quand à lui le duel entre Julian et Chang dans un club de gymnastique appartenant à Julian. Martinez développe ici des basses synthétiques analogiques typiquement années 80 sur fond d’accords d’orgue quasiment baroques.

Cliff Martinez signe donc un score très particulier pour « Only God Forgives », apportant une densité psychologique et émotionnelle impressionnante au film torturé et halluciné de Nicolas Winding Refn. Score tour à tour mélodique, spirituel, avant-gardiste ou résolument expérimental et atonal, « Only God Forgives » est construit sous la forme d’une longue énigme musicale, où chaque pièce du puzzle s’assemble progressivement pour mieux dérouter le spectateur. Oui, le public sera déconcerté à l’écoute de la musique dans le film ou en écoute isolée, notamment dans la façon dont Cliff Martinez multiplie les ambiances et les styles pour mieux renforcer les différents thèmes de « Only God Forgives ». Malgré tout, le compositeur ne propose rien de fondamentalement neuf dans ce mélange de synthétiseurs, d’orchestre et de sonorités religieuses, en tout cas rien qui n’ait pas déjà été entendu auparavant. L’approche musicale de Martinez a beau être intéressante dans le fond, sur le plan formel, elle reste finalement assez conventionnelle et guère originale en soi. Mais qu’importe, le résultat est là, et « Only God Forgives » constitue une écoute assez satisfaisante bien que réservée à un public d’initiés, les néophytes ayant probablement du mal à supporter ce mélange d’atmosphères noires, glauques et troublantes.



---Quentin Billard