1-The Shape of Water 3.42
2-You'll Never Know 4.38*
3-The Creature 1.46
4-Elisa's Theme 2.36
5-Fingers 2.09
6-Spy Meeting 1.42
7-Elisa and Zelda 1.10
8-Five Stars General 1.31
9-The Silence of Love 1.35
10-Egg 2.13
11-That Isn't Good 1.43
12-Underwater Kiss 2.12
13-The Escape 10.57
14-Watching Ruth 2.18
15-Decency 2.23
16-He's Coming For You 1.39
17-Overflow of Love 2.56
18-Without You 2.30
19-Rainy Day 3.12
20-A Princess Without Voice 1.50
21-La Javanaise 4.10**
22-I Know Why (And So Do You) 2.58***
23-Chica Chica Boom Chic 2.19+
24-Babalu 2.51++
25-A Summer Place 2.34+++
26-You'll Never Know
(alternate version) 6.49#

*Ecrit par Harry Warren
Paroles de Mack Gordon
Interprété par Alice Faye
tirée du film "Hello Frisco, Hello" (1943)
**Ecrit par Serge Gainsbourg
Interprété par Madelaine Peyroux
***Ecrit par Harry Warren
Paroles de Mack Gordon
Interprété par Glenn Miller,
Pat Friday, John Payne et
The Modernaires
Tiré du film "Sun Valley Serenade" (1941)
+Ecrit par Harry Warren
Paroles de Mack Gordon
Interprété par Carmen Miranda
++Ecrit par Margarita Lecuona
Interprété par Caterina Valente
et Silvio Francesco
+++Ecrit par Max Steiner et Mack Discant
Interprété par Andy Williams
Ecrit par Harry Warren
Paroles de Mack Gordon
Interprété par Renée Fleming
Produit par Leo Brienberg.

Musique  composée par:

Alexandre Desplat

Editeur:

Decca Records 6712461

Musique conduite par:
Alexandre Desplat
Album produit par:
Alexandre Desplat
Orchestrations:
Jean-Pascal Beintus, Nicolas Charron,
Sylvain Morizet

Enregistrement et mixage:
Peter Cobbin

Artwork and pictures (c) 2017 Fox Searchlight Pictures. All rights reserved.

Note: ****
THE SHAPE OF WATER
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Alexandre Desplat
Deux ans après le thriller gothique « Crimson Peak », Guillermo Del Toro revient au genre du cinéma fantastique avec « The Shape of Water » (la Forme de l’eau) où il évoque l’étrange histoire d’une romance improbable entre une jeune femme muette et une créature aquatique dans l’Amérique des années 60. Le film raconte l’histoire d’Elisa Esposito (Sally Hawkins), orpheline muette depuis son enfance qui vit seule auprès de son voisin Giles (Richard Jenkins), un illustrateur publicitaire vieillissant et homosexuel, qui cherche un emploi et vit au dessus d’une salle de cinéma. Alors que l’Amérique est en pleine Guerre froide contre les Soviétiques pour la conquête de l’espace, Elisa travaille comme femme de ménage dans un laboratoire gouvernemental à Baltimore. Un jour, le colonel Richard Strickland (Michael Shannon) ramène d’Amérique du sud une créature amphibienne (Doug Jones) qu’il aurait trouvé dans une rivière où des indiens le considéraient comme un dieu. Las de sa vie à Baltimore et désireux de quitter ses fonctions au plus vite, Strickland obtient de son supérieur le général Hoyt (Nick Searcy) l’ordre de mener une vivisection sur la créature, ordre formellement contesté par le docteur Hoffstetler (Michael Stuhlbarg) qui veille sur la créature depuis le début et souhaite l’étudier vivant. Pendant ce temps, Elisa, prise de curiosité, découvre la créature et apprend à communiquer avec elle. Fascinée par l’amphibien, Elisa va tout faire pour aider la créature à s’échapper du laboratoire, avec la complicité d’Hoffstetler, de Zelda (Octavia Spencer), la collègue d’Elisa, et son voisin Giles. Après avoir réussi à s’échapper avec l’amphibien, Elisa décide d’installer la créature chez Giles et commence à entamer une relation amoureuse avec l’amphibien. Mais Strickland, furieux d’avoir laissé la créature s’échapper, jure de tout mettre en œuvre pour retrouver l’amphibien et le supprimer.


UN ÉTRANGE FILM HYBRIDE BIEN BANCAL…


« The Shape of Water » est un énième film fantastique romantique qui pourrait se rapprocher de « Crimson Peak » pour la romance ou « Hellboy » pour sa créature amphibienne calquée sur le Abe Sapien du film de 2004 ou sur la Créature du lac noir de 1954 – c’est un comble, surtout lorsqu’on sait que Del Toro avait pourtant ordonné à ses collaborateurs d’éviter de reproduire le look d’Abe Sapien de « Hellboy » ! - Cette fois-ci, Guillermo Del Toro semble avoir voulu mélanger plusieurs styles et idées en tout genre pour concevoir cette intrigue farfelue et improbable d’une romance entre une jeune femme muette et une créature amphibienne. Premier élément notable ici : la photographie verdâtre de Dan Laustsen et une approche très ‘européenne’ (notamment dans la musique d’Alexandre Desplat) très inspirée du cinéma de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, à mi-chemin entre « Amélie Poulain », « Delicatessen » et aussi « La Cité des enfants perdus ». Deuxième élément marquant ici : le scénario qui mélange trois éléments totalement disparates, le contexte de l’Amérique des années 60 en pleine Guerre froide et de lutte contre les Soviétiques, la romance inter-espèce assez malsaine et étrangement très fleur bleue, et aussi l’aspect thriller plus sombre et violent du film. Vous pensez qu’on ne peut pas réunir tous ces éléments dans un même film ? Et bien détrompez-vous, car Del Toro balance tout cela dans son shaker, secoue bien fort et nous offre un cocktail au goût saumâtre.

Le film doit beaucoup à la performance de Sally Hawkins parfaite dans le rôle de cette jeune muette solitaire qui trouve l’amour de façon inattendu auprès d’un autre être solitaire et différent, une créature amphibienne qui la fascine au plus haut point. En dehors de cela, le film est étonnant de la part de Del Toro car on y découvre une tendresse et un aspect sentimental très fleur bleu à des années lumière de ce que propose habituellement le cinéaste. Et c’est bien là que le bat blesse car rien ne fonctionne comme prévu au final. Le film hésite constamment entre la romance et le thriller et échoue à réussir l’un et l’autre, faute d’un vrai fil conducteur. « The Shape of Water » est un melting-pot d’idées qui semblent avoir particulièrement séduit le réalisateur si l’on en croit certaines interviews, mais l’enthousiasme ne fait pas tout, et il manque malheureusement ici une vraie cohérence dans l’approche du cinéaste sur ce film. Quand à l’aspect « à la française » du métrage, difficile là aussi d’y voir un lien quelconque avec le reste du film. L’idée de réaliser un film « frenchy » sur fond d’Amérique 60’s en pleine Guerre froide est un étrange concept qu’on a encore bien du mal à comprendre aujourd’hui, d’autant que les références à Jeunet ont bien eu du mal à passer auprès du réalisateur français qui ne s’est d’ailleurs pas gêné pour critiquer le film de Del Toro au sujet de ses emprunts trop évidents à « Delicatessen » et « Amélie Poulain » (Sally Hawkins/Audrey Tautou : même combat ?).

Enfin, il faudra parler du coeur même de l’intrigue : la romance entre Elisa et l’amphibien. Outre les questions soulevées par la relation zoophile entre l’humaine et l’animal, force est de constater que Del Toro a cette fois-ci raté son coup en nous offrant des scènes sentimentales d’une platitude ahurissante et d’une mièvrerie infâme, comme cette séquence gnan-gnan où Elisa rêve qu’elle danse avec l’amphibien lors d’un numéro de comédie musicale qui semble vouloir à son tour surfer sur le succès du récent « La La Land ». Del Toro, opportuniste ? Assurément, le fut-il cette fois-ci sur « The Shape of Water ». A côté de cela, le film passe de moments étrangement rose bonbon à des scènes bizarrement violentes voire gores, comme si Del Toro, encore une fois, ne savait pas sur quel pied danser, sans oublier le malaise suscité par la scène d’amour entre Elisa et l’amphibien dans la baignoire. Il reste au final les messages délivrés par le film sur l’acceptation de la différence et la tolérance - on y évoque brièvement le mouvement des noirs en pleine Amérique ségrégationniste au détour d’un bref reportage télévisé : fait amusant, Giles refuse de regarder ces images, alors qu’il est lui-même victime de discrimination peu de temps après lorsqu’un barman découvre qu’il est homosexuel et lui demande de quitter son établissement !

Il y a ici un parallèle évident entre ces gens marginalisés dans la société américaine de l’époque et le personnage de l’amphibien, qui est à son tour malmené par l’odieux Strickland parce qu’il est différent. Mais encore une fois, tout cela aurait pu fonctionner si Del Toro s’était contenté de se limiter à un seul thème au lieu de tout mélanger et de livrer un produit fourre-tout qui part dans tous les sens. Quand au bad guy campé par Michael Shannon, il incarne ce militaire carriériste imbu de lui-même qui pense que la force fait tout (les scènes où Strickland est avec sa famille en disent long sur le personnage…). Ajoutons à cela une intrigue d’espionnage soviétique, et l’on obtient au final un joyeux bazar qui n’a ni queue ni tête mais qui semble pourtant avoir largement convaincu l’académie puisque le film a tout de même reçu 4 Oscars, dont celui du meilleur film et de la meilleure musique, un choix tout de même étrange qui laisse quelque peu songeur. Pour le reste, chacun se fera une opinion sur le sujet mais « The Shape of Water » est certainement l’un des films les plus décevants que Guillermo Del Toro nous ait offert au cours de ces 10 dernières années.


UNE PARTITION FRENCHY MÉLODIQUE ET MYSTÉRIEUSE


Alexandre Desplat a été choisi pour écrire la musique de « The Shape of Water », pour lequel le musicien français livre un travail très européen d’esprit, à l’aide d’accordéon et d’orchestrations très classiques, à des années lumières du style hollywoodien habituel. Dès les premières notes de l’ouverture, on ressent aisément l’approche résolument européenne voulue par Desplat sur ce film. Les sonorités cristallines d’un glass harmonica viennent évoquer ici la texture de l’eau, sur fond de piano, flûtes traversières, flûte à bec et harpe ondulante. L’accordéon soliste vient apporter ici la touche « à la française » avec une première mélodie sifflée, légère et nostalgique, dévoilée dans « The Shape of Water », associée à la romance entre Elisa et l’amphibien dans le film. On découvre ensuite un second thème dans « Elisa’s Theme », associé au personnage de Sally Hawkins. La mélodie d’Elisa se distingue par sa mesure à 3 temps, construit à la manière d’une valse lente et insouciante. A noter par ailleurs la façon dont la musique interagit avec la scène au début du film où Elisa prend le bus pour se rendre au travail, le personnage sifflant discrètement la mélodie entendue dans la scène. Musicalement, le thème de se distingue par sa mélodie de piano/accordéon et ses notes ondulantes de flûtes.


ANALYSE DE LA MUSIQUE


« The Creature » évoque les premières scènes de la découverte de l’amphibien dans le laboratoire militaire. La musique se veut ici plus sombre, plus mystérieuse, avec ses cordes feutrées et ses flûtes plus graves. Desplat y dévoile le troisième thème de sa partition, un motif de 3 notes associé à la créature du film. « Fingers » développe le motif de 3 notes avec des pizzicati plus légers mais une ambiance toujours aussi intrigante et mystérieuse. A noter ici l’emploi caractéristique des flûtes graves qui rappellent parfois des couleurs instrumentales que l’on retrouvait plus souvent dans certaines musiques du Silver Age des années 70, notamment de John Barry ou d’Ennio Morricone (c’est assez flagrant dans « Five Stars General »). L’ambiance devient plus énigmatique dans « Spy Meeting » où il est question des espions soviétiques : à noter ici l’emploi d’un piano et du marimba dans un style qui fait parfois penser à Jerry Goldsmith. Dans « Elisa and Zelda », on retrouve la valse d’Elisa de manière plus insouciante et trépidante pour évoquer l’amitié entre la jeune femme et sa collègue Zelda, Desplat reprenant sa mélodie sifflée.

« The Silence of Love » reprend le thème principal sifflé pour suggérer les sentiments naissants entre Elisa et la créature, mais « Egg » paraît plus nuancé et tendu, reprenant le thème principal aux flûtes mais en mineur, suivi d’une reprise intime et sobre du thème d’Elisa au piano. Il y a un charme suranné fort appréciable dans la musique de Desplat qui correspond parfaitement à la mise en scène de Guillermo Del Toro, d’autant que le score est bien valorisé sur les images. Dans « That Isn’t Good », on retrouve le thème de 3 notes de l’amphibien ainsi que le thème principal dans une version éminemment romantique pour « Underwater Kiss », lors du premier baiser entre Elisa et l’amphibien. Desplat développe ses mélodies avec un savoir-faire et une élégance appréciable, sans jamais sombrer dans le mélodrame ou le rose bonbon (curieusement à l’inverse du film). Il y a un raffinement splendide dans « Underwater Kiss » qui rappellerait presque par moment les grandes pages de la musique de film française d’antan, de Georges Delerue ou Vladimir Cosma.

Plus particulières, les 10 minutes de « The Escape » évoquent la longue séquence où Elisa, Zelda et Hoffstetler aident l’amphibien à s’échapper du complexe militaire. Desplat parvient à maintenir une tension permanente tout au long de la scène avec une habileté remarquable, jusqu’au climax action accompagné de percussions martelées et d’orchestrations plus robustes et cuivrées. L’aspect romantique du récit est ensuite suggéré dans « Watching Ruth » avec ses harmonies romantiques qui feraient presque penser aux grandes pages sentimentales du Golden Age hollywoodien, mais avec la touche « française » en plus. Le motif de 3 notes de l’amphibien est largement présent et développé dans « Decency », toujours avec ses sonorités caractéristiques des flûtes (une douzaine dans l’orchestre!), et une coda plus dramatique accompagnée de rythmes martiaux. La tension monte d’un cran lorsque Strickland traque Elisa et l’amphibien à la fin du film, bien décidé à sauver son honneur. La musique suggère parfaitement ici la détermination et la violence du colonel.


UNE CONCLUSION TRÈS ROMANTIQUE !


Le film se termine sur les superbes et romantiques « Overflow of Love » et « Without You », suivi du sombre et dramatique « Rainy Day » et la très belle coda « A Princess Without A Voice » pour la conclusion du film. C’est l’occasion pour Alexandre Desplat de reprendre une dernière fois le Elisa’s Theme en guise de conclusion apaisée. Force est de constater que, quelque soit l’avis que l’on ait sur le film, Alexandre Desplat reste un compositeur talentueux qui livre régulièrement des musiques d’une qualité assez exemplaire, comme en témoigne son récent travail, remarquable au demeurant, sur « Valerian and the City of a Thousand Planets ». Il y a dans « The Shape of Water » un véritable regard d’artiste porté sur la musique et son lien avec les images, tout en reflétant le savoir-faire et la culture européenne du compositeur : on devine une sensibilité tournée ici vers le passé, de Delerue à Auric en passant par Barry ou Morricone, des influences assumées qui permettent à Desplat d’offrir une musique assez personnelle pour « The Shape of Water », brisant les conventions habituelles des musiques hollywoodiennes. Le résultat fonctionne vis-à-vis des ambitions de Del Toro de faire un film fantastique « à l’européenne » (très fortement inspiré de Jeunet et Caro) même si l’on a encore bien du mal à établir un lien entre l’Amérique des années 60 et l’accordéon à la française. Il n’en demeure pas moins que le résultat est remarquable et a permis à Alexandre Desplat de décrocher l’Oscar de la meilleure musique de film 2018, trois ans après sa récompense sur « The Grand Budapest Hotel ».



---Quentin Billard