1-Richard, Duke of York 4.09
2-Queen Margaret 3.13
3-Lady Anne Neville 10.29
4-George, Duke of Clarence 11.42
5-William, Lord Hastings 5.22
6-Ghosts 4.05
7-Henry, Earl of Richmond 6.02

Musique  composée par:

Howard Shore

Editeur:

Angel Records 56139

Produit par:
Howard Shore

Artwork and pictures (c) 1996 20th Century Fox. All rights reserved.

Note: ****
LOOKING FOR RICHARD
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Howard Shore
Essai cinématographique réalisé par Al Pacino, « Looking for Richard » évoque la pièce de William Shakespeare, « Richard III », interprétée ici par Al Pacino lui-même et son groupe d'amis - parmi eux, quelques stars comme Alec Baldwin, Winona Ryder, Kevin Spacey, Aidan Quinn, et dans leurs propres rôles, John Gielgud, Kenneth Branagh, Kevin Kline, Derek Jacobi, Peter Brook, Gil Bellows et James Earl Jones. Al Pacino se propose donc de rejouer différentes scènes de la pièce en adoptant une approche beaucoup plus contemporaine. Puis, en parallèle de l’histoire, l’acteur/réalisateur commente l'oeuvre de Shakespeare et ses différentes facettes, en interviewant par exemple les acteurs ou des inconnus dans les rues de New-York. Al Pacino s’interroge ainsi sur l’impact de l’un des chefs-d’oeuvre de Shakespeare sur le public d’aujourd’hui et ses rapports que la pièce entretient toujours avec la réalité du 20ème siècle et la façon d’aborder une oeuvre théâtrale aussi complexe et immense. L’acteur/réalisateur en profite aussi pour nous rappeler qu’il est un « Shakespearien » convaincu (d’où la présence entre autre d’un grand spécialiste de l’oeuvre du dramaturge anglais, l’acteur/réalisateur Kenneth Branagh), entretenant une réflexion pédagogique sur la façon d’aborder un tel rôle, le tout enveloppé dans un certain humour et une passion sincère. Rappelons d’ailleurs qu’Al Pacino avait déjà interprété « Richard III » sur les scènes de Boston et de Broadway dans les années 70. Par la suite, l’acteur anima toute une série de séminaires sur le sujet dans les écoles et les universités de la côte Est. Ce projet assez ambitieux et unique en son genre nécessita pas moins de quatre ans de travail, les acteurs ayant accepté de participer au film à titre gracieux, sachant que « Looking For Richard » n’aurait aucune chance d’être financièrement rentable. Au final, Al Pacino accouche d’un très bel essai cinématographique, une oeuvre pédagogique passionnante sur l’un des chefs-d’oeuvre de William Shakespeare, un film qui reste d’ailleurs un incontournable dans les écoles et les universités anglaises.

A l’époque où Howard Shore compose la musique épique de « Looking For Richard », il était essentiellement connu pour ses partitions expérimentales et sinistres pour les films de David Cronenberg. Avec le film d’Al Pacino, le compositeur canadien s’est vu offrir l’opportunité rare d’écrire une grande partition symphonique et chorale à la manière des grandes oeuvres opératiques d’antan, chose plutôt exceptionnelle à l’époque puisque le compositeur n’avait encore jamais eu l’occasion d’écrire une musique d’une telle ampleur pour un film. Howard Shore releva alors le défi avec panache et pris le risque de toucher à un registre qui lui était encore étranger à cette époque. Ainsi donc, afin de restituer toute la puissance dramatique du récit de Shakespeare, Howard Shore a décidé de baser toute sa partition autour d’une écriture chorale classique d’esprit, imitant le style d’un requiem traditionnel avec des textes en latin. Puissamment interprétée par le London Philharmonic Orchestra et les London Voices Choir, la musique de « Looking For Richard » est une partition majeure dans la carrière d’Howard Shore - et paradoxalement, un score méconnu - parce qu’elle pose en réalité les bases des futures partitions de la trilogie des « Lord of the Rings ». En effet, Howard Shore trouva dès 1994 quelques formules musicales pour le film d’Al Pacino qu’il allait réutiliser quelques années plus tard sur les trois films de Peter Jackson. Ainsi donc, il ne serait guère hasardeux d’affirmer que « Looking For Richard » est bel et bien une sorte de prémisse à « Lord of the Rings » : on y retrouvait déjà la même écriture chorale épique, le même sentiment de grandeur, la même façon d’orchestrer et d’écrire les mélodies.

Pour « Looking For Richard », Howard Shore a construit sa partition autour de 7 grandes suites symphoniques, centrées sur les principaux protagonistes de l’oeuvre de Shakespeare. Ainsi donc, « Richard, Duke of York » introduit avec force la puissance dramatique et épique de la musique d’Howard Shore. Ici, les choeurs résonnent de façon tragique et sombre. Les orchestrations font la part belle aux cordes, aux accords de cuivres pesants et à un orgue qui apporte un côté religieux/requiem assez funèbre à cette ouverture. Quelques accords en quinte discrets rappellent subtilement le caractère médiéval de l’histoire, la musique s’imposant dès le début par son écriture classique et son caractère tragique assez poignant, qui reflète en réalité la profondeur tragique de la pièce de Shakespeare. La musique évoque ainsi à sa façon l’atmosphère de meurtres, de trahisons et de morts dans le récit du dramaturge anglais, intervenant surtout dans le film lorsque l’on voit Al Pacino en train de jouer des passages de la pièce en compagnie des autres acteurs. Un morceau comme « Queen Margaret » est ainsi très représentatif de ce style dramatique dans lequel l’orgue continue d’accompagner un orchestre dominé ici par des arpèges et des tenues de cordes ponctuées par quelques percussions. Ici aussi, les harmonies en quinte apportent une couleur médiévale fort bienvenue à la partition d’Howard Shore. A noter que le score manque cruellement d’un thème fédérateur, le compositeur ayant choisi, pour ne pas alourdir les images, de n’utiliser aucun thème particulier en dehors de quelques motifs que l’on retrouve sur deux morceaux en particulier. C’est un choix plutôt honnête bien qu’assez regrettable par rapport au contenu musical en lui-même.

Les fans de « Lord of the Rings » seront ravis à l’écoute d’un morceau comme « Lady Anne Neville » qui annonce clairement certains passages choraux de la musique des films de Peter Jackson. Howard Shore utilise ici aussi les choeurs sur un accompagnement orchestral dominé ici par des sonorités médiévales et un tempo plus lent. Le compositeur met le choeur plus en avant dans certaines mesures du morceau, n’hésitant pas à utiliser les voix a cappella afin de restituer le caractère plus mystique et quasi religieux de son oeuvre. Ici aussi, Howard Shore construit la plupart de ses harmonies autour de consonances moyenâgeuses qui risquent fort de rebuter les fidèles de la tonalité classique moderne. Shore utilise ici quelques paroles extraites du requiem traditionnel (« Lacrymosa ») pour construire cette très belle suite de 10 minutes, un morceau plutôt lent et sombre qui restitue pleinement le caractère dramatique et funèbre de l’oeuvre de Shakespeare. « Lady Anne Neville » évoque donc à sa façon l’idée de la mort à la manière d’un Lacrymosa contemporain, même si l’on regrettera ici l’écriture parfois très maladroite et curieusement hasardeuse de certaines parties orchestrales. Bizarrement, le compositeur semble bien plus à l’aise ici lorsqu’il s’agit d’écrire pour la chorale que pour l’orchestre.

Autre suite assez conséquente, « George, Duke of Clarence », morceau plus puissant et rythmé dans lequel le compositeur développe une ambiance plus médiévale et cérémoniale pendant plus de 11 minutes. La musique relate ici les épisodes plus guerriers du film en mettant l’accent sur les cuivres, les percussions, l’orgue et des choeurs latin plus sombres. Les trompettes introductives de « William, Lord Hastings » ouvrent un morceau aux harmonies médiévales, morceau sombre et pesant qui évoque ici l’idée de conspiration. Ici aussi, Shore retranscrit la noirceur tragique de l’histoire de Shakespeare en utilisant des choeurs sombres et des harmonies plus creuses qui annoncent clairement l’issue tragique du récit. « William, Lord Hastings » se conclut d’ailleurs de façon plus massive avec ses cuivres et ses percussions quasi guerrières. « Ghosts » prend à son tour des accents plus épiques tout en conservant cette écriture massive - reproche majeur sur cette partition qui ne prend que très rarement le temps de respirer un peu, et qui aurait mérité d’être aérée davantage. « Ghosts » développe d’ailleurs un thème de cordes plutôt guerrier, sur fond de percussions massives et de cuivres imposants, sans aucun doute l’un des morceaux les plus spectaculaires de la partition de « Looking For Richard », avec ses percussions martiales, ses choeurs épiques et son orgue gothique pour l’une des scènes de bataille du film d’Al Pacino : une vraie réussite ! Quand à « Henry, Earl of Richmond », ce dernier conclut la partition de façon massive et dramatique en reprenant le style de « Richard, Duke of York » pour une conclusion bien peu optimiste et résolument tragique.

Avec ses choeurs tour à tour épiques, dramatiques et austères, ses orchestrations massives et ses consonances médiévales, la partition de « Looking For Richard » s’apparente à une sorte de Requiem latin très Shakespearien d’esprit, un hommage musical fort à la célèbre tragédie « Richard III ». La musique d’Howard Shore illustre à la fois les meurtres, les trahisons et les morts de l'histoire de Shakespeare, une musique qui reste donc extrêmement sombre, funèbre et dramatique. Certains comparent parfois cette partition avec les oeuvres Shakespeariennes de Patrick Doyle sur les films de Kenneth Branagh (on pense ainsi à « Hamlet » ou à « Henry V »), mais à l’inverse des somptueuses partitions de Doyle qui avaient parfois tendance à traîner en longueur sur les films qu’elle accompagnait, la musique d’Howard Shore pour le film d'Al Pacino réussit à trouver le ton juste et demeure au final une des plus belles mises en musique d'une pièce de Shakespeare. Une grande oeuvre donc, totalement inattendue de la part d’Howard Shore pour l’époque, et une sacré prise de risque pour un compositeur peu habitué à ce style de musique, et dont le style épique et dramatique donnera par la suite naissance à « Lord of the Rings » !


---Quentin Billard