'The Insider' (Révélations), nouveau grand film du réalisateur Michael Mann qui après l'excellent Heat renchaîne avec un duo Al Pacino/Russell Crowe passionnant dans l'histoire vraie du journaliste Lowell Bergman et de l'ancien employé de la puissante entreprise de production de cigarettes Brown et Williamson, Jeffrey Wigand. Tout commence lorsque Wigan (Russell Crowe) est licencié de son travail et menacé par le biais d'une sauvage clause de confidentialité l'obligeant à ne rien révéler de ce qu'il sait et le mettant sous la menace constante de représailles en cas de non respect de cette clause. C'est ce qui le pousse très progressivement à révéler au public ce qu'il sait sur la fabrication du tabac et en particulier, et ce n'est plus un secret pour personne maintenant, la présence d'accoutumant dans la cigarette qui rendent le fumeur dépendant à la nicotine. Il croisera alors sur sa route le journaliste Lowell Bergman (Al Pacino) qui lui proposera alors de révéler tout ce qu'il sait dans l'émission "60 Minutes" de la chaîne américaine CBS. Cet interview explosive avec le journaliste Mike Wallace (excellent Christopher Plummer!) déclenchera une vive réaction de la part des patrons de Brown & Williamson, et entraînera une procédure juridico-financière contre la chaîne CBS et contre les révélations de Jeffrey Wigand devant un tribunal pour rendre l'affaire publique et briser ainsi la clause de confidentialité. Wigand, un type ordinaire comme vous et moi se retrouve alors au coeur de l'un des plus gros problèmes de santé publique de tout le pays (et de tous les autres pays en fait, le tabac tuant des milliers de personnes chaque années, mais les fabricants ne cessant de s'enrichir lamentablement sur les bénéfices de ces ventes qui s'expriment en milliards de dollars) et toute sa vie familiale se retrouve alors détruite sous l'immense pression qui s'exerce autour de lui. La mise en scène de Mann est exemplaire, les acteurs absolument parfaits, et surtout, surtout, le film conserve du début jusqu'à la fin un ton émotionnel et humain très présent, les personnages n'étant pas des super-héros ou des hommes invincibles comme on a l'habitude d'en voir à Hollywood mais bel et bien des "hommes ordinaires qui se retrouvent confrontés à une situation extraordinaire" pour reprendre une expression de Bergman dans le film. Un très grand film donc comme on en a rarement l'occasion d'en voir, et aussi une petite réflexion à propos des dégâts occasionnés par le tabac et ses fabricants milliardaires - les sept nains, association des plus grands fabricants de tabac dans le monde.

Michael Mann a toujours été très précis en ce qui concerne les musiques de ses films. Après une petite participation au précédent 'Heat', l'ex-chanteuse du groupe 'Dead Can Dance' Lisa Gerrard revient sur 'The Insider' et forme un excellent duo avec le compositeur/interprète Pieter Bourke, sans oublier évidemment l'apport à mon avis trop sous-estimé de Graeme Revell qui a composé la musique additionnelle. (plus une pièce de saxophone de Jan Garbarek, une chanson remix de Massive Attack et une pièce pour guitares de Gustavo Santaolalla) Michael Mann contacta Lisa Gerrard en découvrant une de ses anciennes pièces tirée d'un de ses propres albums. Le morceau s'appelait 'Sacrifice' et Mann voulait centrer la musique uniquement autour de cette pièce au début, mais après avoir reçu les nouvelles compositions de Lisa Gerrard et Pieter Bourke, il changea vite d'avis (les deux musiciens ont déjà travaillés ensembles sur les albums 'Duality' et 'Mirror Pool'). Mann explique:

"Leur travail fut tellement spectaculaire. On commença avec Lisa qui créa 3 ou 4 pièces pour en arriver à ce que elle et Pieter Bourke deviennent les compositeurs du film. Lisa et Pieter se jetèrent dans le projet avec un enthousiasme et une conviction artistique totale. Ce fut une grande, une très grande expérience de travailler avec eux (...)".

Nomminé aux Golden Globe Awards pour "Best Original Score" en 2000, le score de 'The Insider' est d'abord surprenant, plutôt éclectique pour être exact. On y trouve donc la très belle pièce 'Sacrifice' qui permet à Lisa Gerrard de s'exprimer à travers de magnifiques vocalises sur un fond de synthé plutôt style new-age. Ce morceau illustre dans le film le propre "sacrifice" de Wigand, prêt à détruire sa famille pour aller jusqu'au bout dans ses révélations et tenter de faire éclater la vérité au grand jour. Dramatique, tragique, touchant, le morceau illumine les séquences où Wigand, l'air perdu dans le vide, réfléchit, conscient de ce qu'il a fait, conscient de ne plus pouvoir faire marche arrière. 'Broken' illustre la séquence où il fait son interview. Dominé de manière minimaliste par des cordes et un piano, le morceau donne une touche émotionnelle à cette séquence où l'on sent Wigand complètement déterminé, Bergman le regardant d'un air qui nous fait comprendre qu'il est touché par la détermination courageuse de Wigand dont la vie ne sera plus jamais la même après cela. Wigand dit d'ailleurs: "si c'était à refaire, je crois que je le referai sans hésiter!" On retrouve un climat émotionnel très présent dans 'Faith' avec ses sons de cloches et ses cordes qui rappellent par moment le style de 'Thin Red Line' de Zimmer, le morceau évoquant une fois de plus le drame de Wigand qui perd sa famille et sa réputation, salie par certains médias dans une immense campagne de dénigrement, tout simplement parce qu'il a osé dire la vérité. Souvent très atmosphérique, la musique de 'The Insider' ne se contente pas de décrire les images (elle n'est jamais illustrative d'ailleurs) mais se concentre autour d'une ambiance musicale prenante et globale, donnant la priorité à la musique elle même par le biais d'un mixage sonore réussi (une marque de fabrique de Michael Mann). On note l'ambigu et sombre 'The Silencer' dans laquelle la voix de Lisa Gerrard refait son apparition, une voix éthérée mais au sein d'un climat plutôt sombre, plutôt dramatique et ambigu. Graeme Revell contribue à ce climat dramatique avec 'I'm Alone on This' dominé par le synthé planant et le piano alors que Bergman se retrouve seul sur l'affaire de l'interview retirée par la chaîne à cause de pressions de la part de Brown & Williamson.

L'autre facette du film, c'est bien sûr le côté sombre/suspense du film. Cela commence avec la scène des fax au début du film, alors que Bergman tente de contacter Wigand chez lui qui ne veut pas répondre dans un premier temps à se demande de rencontre à propos de documents qu'il a reçu chez lui pour une étude de marché. La musique dans cette scène est dominée par le synthé et des petits sons de percussions légers mais c'est réellement terrifiant. La musique, beaucoup plus inquiétante que la scène en elle même, suggère que c'est le début des ennuis. Plus tard, Wigand va accepter de rencontrer Bergman à propos de ces documents qu'il demande de lui expliquer et ce sera le début progressif des révélations et des ennuis pour Wigand et sa famille. On retrouve ce terrifiant morceau dans la scène où la Wigand sort dans son jardin la nuit, une arme à la main alors que sa fillette lui dit qu'elle a vu quelqu'un dehors. Dans cette scène, il suggère très clairement alors la tension et la menace constante qui pèse sur Wigand et sa famille. On ne peut qu'être ainsi déçu du fait que les producteurs du CD ne l'aient pas retenus pour l'album car il s'agissait bien là de l'un des meilleurs passages suspense du CD. Pour le reste, on trouve le sinistre 'Exile' toujours dominé par des synthés atmosphériques cette fois-ci avec des sonorités sombres et qui évoque une fois de plus l'isolement de Wigand face à la menace de ses anciens employés (voire la balle dans la boîte aux lettres et le mail de la menace de mort). 'The Subordinate' quand à lui marque un certain climat d'urgence à l'aide de percussions.

Notons la chanson co-écrite par Gerrard/Bourke, 'Meltdown', vers la fin du film, pour la séquence où Wigand, seul dans une chambre d'hôtel, revoit dans sa tête l'image heureuse de ses 2 filles. Notons aussi "Rites" de Jan Garbarek dont la pièce pour saxophone suit le combat final de Bergman pour tenter de faire passer malgré tout l'interview à la télé, puis 'Iguaza', la pièce de Gustavo Santaolalla pour guitares seules et qui souligne une scène où Wigand a des problèmes avec le FBI qui vient chez lui avec un mandat de perquisition. Enfin, terminons avec l'étrange 'Tempest', apparemment repris d'un ancien album de Lisa Gerrard, co-écrit avec Bourke ici aussi et qui ouvre le film dans le générique de début. Ce morceau me semble être de trop dans cette BO, trop détachée du contexte musical et totalement à part du reste du score. Avec ces rythmes obstinés de percussions, la partie vocale (avec les voix réminiscentes de 'Now we are Free' de Gladiator) et des voix en arrière-fond qui chuchotent le mot 'Energy' avec un climat un peu oriental dans le chant, 'Tempest' suit la scène d'ouverture où Bergman est conduit en camion pour son interview d'un cheick arabe, un bandeau sur les yeux. La présence de ce morceau en générique d'ouverture du film me paraît donc discutable étant donné le peu de rapport que ce morceau a avoir avec le reste de la partition.

En conclusion, 'The Insider' est à l'image du film une grande réussite. Lisa Gerrard et Pieter Bourke ont crées une texture sonore à l'aide de synthés, chants et un peu d'orchestre dans un mélange très original et surprenant par moment. A la fois sombre, psychologique, sinistre et émouvante à la fois, la musique de 'The Insider' est l'expression même de ce combat difficile de deux hommes ordinaires contre l'industrie du tabac, l'un en faisant ses révélations courageuses malgré la pression et les menaces qui pèsent sur lui et sa famille, l'autre en forçant la chaîne CBS à diffuser l'interview malgré les pressions des producteurs de tabac. Vous l'aurez compris, nous vous conseillons vivement ce film et ce score, à découvrir si ce n'est pas déjà fait!


----Quentin Billard