Face 1

1-Danton (générique fin
ou les droits de l'homme et du citoyen) 4.40
2-Danton revient 3.10
3-Le réveil 3.38
4-La queue pour le pain 2.05
5-Danton et le
peuple de Paris 1.16
6-Avant l'arrestation 2.06
7-Guillotine I 0.45

Face 2

8-la charrette des
condamnés 2.23
9-Guillotine II 0.46
10-La conciergerie 3.33
11-De la conciergerie
à l'échafaud 2.00
12-La menace 1.33
13-L'atelier de David
(préparatif de la fête
de l'Etre suprême) 2.07
14-Lucile Desmoulins 0.32
15-Les gamins devant
l'imprimerie 0.34
16-Les prisons 1.40

Musique  composée par:

Jean Prodromidès

Editeur:

RCA PL 33743
Ciné Musique - Gaumont


Illustration affiche Landi by Spadem. 1982.

Note: ****
DANTON
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jean Prodromidès
Après la première version en 1921 de la célèbre histoire du conflit opposant Danton et Robespierre durant la Révolution Française, c'est au tour du réalisateur polonais Andrzej Wajda d'illustrer cette sombre histoire se déroulant dans la France agitée de 1793. Adapté d'une pièce de théâtre polonaise, le script de Jean-Claude Carrière retrace à merveille cette fameuse histoire soulignant la confrontation entre deux grandes personnalités de la Révolution Française durant l'année 1793, considéré comme 'l'année noire' de la Révolution: deux clans se forment très vite avec d'un côté Danton le Révolutionnaire démagogique et grande gueule qui a le soutien du peuple français (affamé en cette période de troubles profonds) et Robespierre, l'homme de la Révolution qui va petit à petit imposer le règne de la terreur en faisant verser le sang. Après un bref voyage en Espagne, Danton revient à Paris où il retrouve ses amis inquiets en pleine période de trouble alors que le peuple français qui meurt de faim. Malgré l'agitation de ses amis qui le pressent d'intervenir dans cette situation de plus en plus tendue, Danton garde son calme et refuse de continuer à faire couler plus de sang. Mais sa rencontre avec Robespierre et son refus de se rallier à ses idées vont le mener 4 mois plus tard à la guillotine, lui et ses partisans, jugés devant un tribunal révolutionnaire du Comité de Salut Public dirigé par Robespierre et Saint-Just, tribunal qu'il avait lui même crée quelques années auparavant. L'idée principale de Wajda sur 'Danton', c'était de montrer l'histoire sous sa forme la plus réaliste possible en s'éloignant des préjugés habituels sur ces deux personnages. Si l'on a souvent parlé de Robespierre comme d'un être sanguinaire et tyrannique, le réalisateur polonais a décidé de nous le montrer comme un être froid et torturé par ses actes malgré son côté dur et sans concession. L'interprétation de l'acteur Wojciech Pszoniak est remarquable, face à un Gérard Depardieu remarquable lui aussi dans le rôle de Danton, véritable démagogue qui ne cesse de séduire le peuple en touchant à chaque fois la corde sensible. (cf. scène finale du tribunal, où Danton hurle tellement fort qu'il se brise la voix) Le duo Pszoniak/Depardieu est excellent et la tension ne cesse de monter jusqu'à l'inévitable conclusion de l'histoire. La mise en scène de Wajda est réellement captivante car durant les quelques 130 minutes du film, on ne décroche jamais un seul instant tant on arrive à ressentir la tension de l'histoire et du conflit opposant les deux protagonistes principaux du film en cette période agitée. La conclusion vient donc d'elle même: sur un point de vue historique, 'Danton' est parfaitement maîtrisée et le réalisateur ne semble pas avoir commis d'erreur particulière. Les deux acteurs principaux nous livrent une composition quasi parfaite (on sent vraiment la passion pour le peuple français dans la bouche de Danton lorsque ce dernier crie son indignation au tribunal à la fin du film) sur cette tragédie de la Révolution où les têtes tombèrent toutes très vite les unes après les autres. Un film remarquable!

Jean Prodromidès est un compositeur académicien tout droit sorti du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (où il a étudié à la fameuse classe d'Olivier Messiaen, comme Pierre Boulez dans les années 40) et qui a aussi fréquenté les cours de René Leibowitz, fameux musicien qui enseigna en France la technique sérielle alors peu connue par le public français à cette époque. Membre de l'Académie des Beaux-Arts depuis 1990, Prodromidès est un compositeur plus connu pour ses oeuvres de concert dans le style 'contemporain', et plus particulièrement avec ses oeuvres symphoniques et ses Opéras. Influencé par les travaux des compositeurs des années 60 (Ligeti, Penderecki, Xenakis, Lutoslawski, Scelsi, etc...) et par l'art lyrique en général, Prodromidès n'a fait que quelques brèves incursions dans le monde de la musique de film: en dehors du 'Voyage en Ballon' (Albert Lamorisse - 1960) ou des 'Amitiés Particulières' de Jean Delannoy (1964), c'est son score pour 'Danton' de Wajda qui reste son oeuvre la plus remarquable et probablement sa partition la plus intéressante. Influencé très fortement des expérimentations atonales de Penderecki, Ligeti ou Xenakis à la fin des années 50/années 60/70, la musique pour 'Danton' est une oeuvre symphonique prenante, angoissante, captivante, terrifiante. Interprété par l'orchestre philharmonique de Varsovie avec des choeurs ténébreux, le score de 'Danton' nous renvoie très clairement ici aux partitions atonales du Penderecki de la 'Passion selon Saint-Luc', de ses deux 'De Natura Sonoris' (titre qui résume bien cette pensée du travail en profondeur sur la 'matière' sonore, fameux mot d'ordre de cette musique abstraite de la deuxième moitié du 20ème siècle) ou du célèbre 'Thrène pour les victimes d'Hiroshima' (on pense aussi à 'Lontano' et 'Atmospheres' de Ligeti). Oeuvre atonale pleine de puissance et de fureur, 'Danton' est une partition excessivement sombre, troublante, sinistre, sans concession. Le compositeur a eu l'occasion de mettre en oeuvre sur ce film son goût pour "le traitement du matériau sonore à partir de la dynamique de ses différentes composantes - masses, timbres, intensités, durées, attaques". On retrouve ici toutes les préoccupations essentielles du compositeur, sans oublier la partie vocale qui est réellement terrifiante dans l'effet qu'elle arrive à produire à l'écran.

Dégagé de toute contingence thématique, la partition de Prodromidès s'attache essentiellement à travailler la masse sonore de l'orchestre et de ses différentes composantes. Véritable exercice de style à la Penderecki/Ligeti, la partition de 'Danton' dégage dès les premières secondes du générique de début une sensation de malaise parfaitement palpable à l'écran: Prodromidès installe une atmosphère étouffante, glauque et sombre alors que l'on ressent dès le début du film la tension au sein de ce peuple pauvre et affamé. Délaissant toute forme thématique (l'oeuvre est clairement athématique même si l'on retrouve quelques passages similaires de temps en temps, juste au niveau du style des orchestrations), le compositeur décrit très vite la tension qui s'installe dans cette France plongé dans le 'règne de la terreur' du Comité du Salut Public de Robespierre et Saint-Just. C'est donc en premier lieu l'idée de la terreur que souligne Prodromidès dans sa musique et c'est ce qui justifie très clairement son choix d'une musique atonale massive et expérimentale, particulièrement sombre et torturée. Avec ses dissonances de cordes, ses quarts de tons, ses glissandos, ses 'nuages de sons' (pour reprendre l'expression de Francis Bayer dans son essai 'De Schoenberg à Cage') et ses clusters, la musique arrive très clairement à nous plonger dans ce règne de la terreur, dans cette atmosphère sombre et tendue en pleine période 'noire' pour la France. Si la musique est utilisé avec parcimonie dans le film, chacune de ses apparitions sont remarquables. Les choeurs sont utilisés dans le score afin d'illustrer le grondement de la foule mécontente et révoltée (on se souvient d'un exemple similaire dans la ténébreuse 'Passion Selon Saint-Luc' de Penderecki ou de son terrible 'Dies Irae à la mémoire des victimes d'Auschwitz). La masse vocale est elle aussi traité comme un matériau sonore à part entière et se mélangeant parfaitement avec la partie orchestrale. Les clusters et glissandos de ces choeurs quasi apocalyptiques créent une très forte sensation de malaise et se mélange parfaitement avec les bruits de la foule dans le film. Il devient dès lors difficile d'identifier quel son provient du choeur et quel son provient de la foule (on est toujours ici dans l'idée de l'exploration de la masse sonore, accentué inévitablement par le montage des bruitages dans le film).

Si les premières minutes de cette sombre musique au début du film peuvent paraître un peu trop exagéré par rapport aux images (on est pas encore suffisamment rentré dans l'histoire pour bien cerner le lien à faire entre la noirceur de la musique et celle du film), l'évolution film/musique se fait très nettement ressentir à tel point que les deux éléments ne font plus qu'un: lorsque l'on parle de la tension et du climat sombre du film, impossible de ne pas mentionner l'apport immense de la musique de Prodromidès sur les images. C'est dans la scène où le Comité de Salut Public rédige une lettre d'arrestation que la musique prend un autre tournant: en maintenant ici des cordes graves et profondes pendant toute la scène (une masse sonore grave de plus en plus inquiétante), le compositeur nous fait clairement comprendre que la machine est en route et que le destin de Danton est d'ores et déjà scellé. Dans la deuxième partie du film, la musique de Prodromidès se concentre sur d'autres sonorités de l'orchestre. On pourra noter par exemple cette utilisation assez intéressante des effets de col legno des cordes que l'on trouve par exemple lors de la séquence d'arrestation des partisans de Danton, sans oublier l'utilisation étrange d'un orgue sombre lorsque Robespierre se prépare pour l'exécution finale de Danton (l'orgue donne ici un côté faussement religieux, faussement cérémonial, une sorte de touche d'humour noir visant à se moquer du personnage, probablement la seule véritable touche d'humour d'un score finalement très sérieux au demeurant). Un autre effet important reste à signaler: l'utilisation de sons métalliques martelés dans la scène où Danton et ses amis se rendent à la guillotine pour être décapités. Les quelques plans de la guillotine que l'on aperçoit au loin ont inspirés au compositeur cette petite pièce avec ces sonorités métalliques martelées de manière brutale comme une sorte de marche inexorable vers la mort. (évidement, les sonorités métalliques sont directement associées au couperet de la guillotine, symbole tragique de la mort et de la terreur dans ce film - idée parfaitement accentuée par la scène de décapitation finale où l'on voit le sang couler par terre...) Finalement, la tension atteint son paroxysme dans la scène où Danton se trouve devant la guillotine, prêt à recevoir sa mort tragique. L'orchestre fait très vite monter la tension jusqu'à créer l'apothéose parfaite de la terreur, quelques secondes avant que Danton ne soit décapité. Et c'est le générique de fin qui permet au compositeur de conclure de manière très sombre cette histoire tragique avec un orchestre toujours aussi tendu, avec ces cordes froides et glauques, ces vents dissonants et ces cuivres agressifs et torturés.

Illustration parfaite du règne de la terreur durant cette année noire de la Révolution Française de 1793, 'Danton' est une oeuvre orchestrale qui ne peut de toute évidence pas être apprécié par tous, une musique entièrement atonale qui nécessite tout d'abord une certaine compréhension de ce langage musical et des oreilles parfaitement initiées à ce style de musique. Véritable hommage aux compositions expérimentales des musiciens polonais de la deuxième moitié du 20ème siècle, 'Danton' est une oeuvre forte, preuve qu'un musicien a la possibilité d'expérimenter sur son matériau orchestral afin de créer une pensée musicale parfaitement cohérente et unifiée tout en respectant l'atmosphère et l'esprit d'un film. En parfaite symbiose avec le film, la musique de Prodromidès incite la peur, la tension, l'angoisse, la terreur. Le sentiment de malaise est très fort tout au long du film et la musique reste pesante et particulièrement intense du début jusqu'à la fin. Maître de son matériau orchestre/choral, Prodromidès signe là une partition atonale d'une qualité rare, engagée et cohérente. Sans conteste une oeuvre passionnante, à découvrir pour tout ceux qui s'intéressent comme moi à ce type de musique expérimentale/atonale.


---Quentin Billard