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La Décade Prodigieuse
1-Symphonie concertante pour orgue, piano et orchestre 18.20 Landru 2-Générique 2.02 3-La drague 1900 1.35 4-Au Luxembourg, sous le kiosque 2.08 5-Valse pour harmonie 2.30 6-Dernière valse 0.34 7-Rencontres galantes 1.40 8-Idylle à Gambais 1.48 9-L'exécution 4.17 L'Oeil du Malin 10-L'oeil du malin 6.05 11-Les amants de Munich 1.08 Que la Bête Meure 12-Que la bête meure 6.03 Le Boucher 13-Le Boucher 11.30 Docteur Popaul 14-Docteur Popaul (Thème) 2.01 15-Popaul mélomane 2.34 Juste avant la Nuit 16-Juste avant la nuit 7.22 Musique composée par: Pierre Jansen Editeur: Emarcy/Universal Music France 017 176-2 Album conçu et réalisé par: Stéphane Lerouge Coordination: Bertrand Liechti pour Sido Music, Daniel Richard, Pascal Bod, Laurent Bizot pour Universal Music Jazz France Artwork and pictures (c) 2002 Universal Music S.A. France. All rights reserved. Note: ***1/2 |
LE BOUCHER
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ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
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Music composed by Pierre Jansen
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Petit film sans prétention du spécialiste des thrillers à la française, Claude Chabrol (l'un des instigateurs du mouvement de la 'nouvelle vague' du cinéma français des années 60), 'Le Boucher' met en scène Jean Yanne et Stéphane Audran (ne vous y trompez pas: il s'agit bien d'une femme!) dans une sombre histoire où il est question d'amour, d'amitié et de suspense. L'histoire se passe en France dans un petit village du Périgord. Jean Yanne interprète Popaul, le boucher du village qui va très vite se lier d'amitié avec l'institutrice, Mme Hélène (Stéphane Audran - l'épouse de Claude Chabrol depuis 1964). Mais cette amitié fort paisible et sympathique va très rapidement se transformer en amour, mais un amour impossible et tragique entre deux solitaires, deux écorchés de la vie qui vivent chacun avec leurs hantises. Mme Hélène explique un jour à Popaul qu'elle ne veut pas vivre avec un homme parcequ'elle a trop souffert autrefois d'un chagrin d'amour et préfère rester seule en s'occupant de ses jeunes élèves à l'école. Popaul lui raconte à son tour les horreurs qu'il a vécu pendant la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie. Si une bonne partie du film se déroule de manière totalement paisible, évoquant la vie provinciale dans les petits villages du centre de la France, c'est la dernière demie heure du film qui sera particulièrement sombre. Après que la police aient retrouvé trois cadavres de femmes assassinées à coups de couteaux, Mme Hélène va très vite comprendre que le tueur n'est autre que le charmant Popaul. Comment croire que cet individu si gentil et si aimable ait pu commettre de telles horreurs. Pourtant, elle ne peut nier la vérité. Popaul la retrouvera dans un final particulièrement sombre où il lui dévoilera tous ses sinistres secrets, lui déclarant alors tragiquement son amour en voulant se donner la mort. Incontestablement, il y'a une progression, une évolution très nette dans le récit de ce film. On commence de manière fort paisible dans ce petit village sans histoire pour finir dans le drame pur et dur. Chabrol nous montre à quel point nous pouvons parfois nous tromper sur les gens, certaines personnes cachant bien leur jeu, parfois durant toute leur vie. Il nous montre ici le côté psychologique et torturé de ces personnages dans un film qui repose essentiellement sur le côté humain des deux protagonistes principaux de cette histoire (les autres personnages du film font office de 'papier peint' ici car ils ne servent pas à grand chose en fin de compte). Evidemment, on pourra critiquer le scénario un peu léger du film (un boucher amoureux d'une institutrice et qui se révèle être en réalité un tueur sadique - et c'est tout!), mais Chabrol arrive à en tisser une intrigue dramatique fort captivante même si l'ensemble peut paraître un peu court. (on devine trop facilement que Popaul est le coupable: le réalisateur aurait du amener le sombre final d'une manière un peu moins brusque) En revanche, les plans dans la grotte dans le générique de début sont fort intéressants, car ils révèlent toute la métaphore sur les instincts sauvages de l'homme qui ici (sous les traits de Popaul) en arrive à se comporter comme une bête sauvage, incapable de contrôler ses pulsions (il le dit lui même à la fin du film). D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si l'on retrouve une autre de ses victimes près de la grotte vers le milieu du film. Bref, même si 'Le Boucher' n'a rien d'un très grand chef d'oeuvre, l'ensemble se laisser regarder avec plaisir, preuve incontestable du talent du réalisateur pour produire des films de ce genre.
Pierre Jansen mène depuis de nombreuses années une collaboration fort intéressante avec Claude Chabrol: on y trouve ainsi des partitions pour 'Les bonnes femmes' (1960) - qui est aussi la toute première musique écrite par Jansen pour le cinéma-, 'Les Godelureaux' (1960), 'Les septs pêchés capitaux' (1962) pour le segment écrit par Chabrol, 'Ophélia' (1962), 'L'Oeil du malin' (1962), 'Landru' (1962), 'Les plus belles escroqueries du monde' (1964), 'Le tigre aime la chair fraîche' (1964), 'Marie-Chantel contre docteur Kha' (1965), 'La ligne de démarcation' (1966), 'Le Scandale' (1966), 'Les Biches' (1968), 'La route de Corinthe' (1968), 'La femme infidèle' (1969), 'Que la bête meure' (1969), 'Le Boucher' ayant été composé la même année. (par la suite, on pourra noter 'La décade prodigieuse', 'Docteur Popaul', 'Les noces rouges', 'Nada', 'Une partie de plaisir', etc...) Pour 'Le Boucher', Pierre Jansen a écrit une musique sinistre délaissant les conventions habituelles des partitions orchestrales des thrillers pour se reposer autour d'une petite formation instrumentale fort originale et surprenante. Effectivement, la musique du film se base autour d'un petit groupe comprenant un piano, un clavecin, des cloches, une guitare et une guitare basse, un vibraphone, un orgue, une harpe, quelques petites percussions et, chose la plus originale ici, une cithare désaccordée pour jouer sur les micro-intervalles (1/3 de tons ici) cher à certains compositeurs de musique contemporaine des années 60 (l'époque à laquelle Jansen crée sa musique, à la même époque où Penderecki fait ses expérimentations 'sonoristes' et où Boulez est parti dans une autre direction après avoir quitté le sérialisme intégral des années 50). A vrai dire, la musique de 'Le Boucher' témoigne bien de l'éducation musicale du compositeur qui a suivi à Darmstadt les cours d'analyse d'Olivier Messiaen avant de découvrir dans les années 50 les musiques de Boulez, Berio, Ligeti, des influences incontestables dans la musique de Jansen même si 'Le Boucher' est plus tourné vers les travaux de Maurice Ohana qui s'est spécialisé dans les années 60 sur le travail des micro-intervalles. (n'oublions pas que c'est grâce aux travaux théoriques d'Ivan Wyschnegradsky que les musiciens se sont petit à petit tournés vers l'utilisation des micro-intervalles dans la musique. Effectivement, Wyschnegradsky voulait théoriser une nouvelle notation à base de 1/12 de ton à la fin des années 20. Petit à petit, il s'intéressa très vite aux 1/4 de ton pour lequel il écrira quelques morceaux. A noter aussi les recherches du musicien/théoricien d'origine tchèque Alois Hába) A l'instar d'Ohana, Jansen utilise les sonorités de la cithare pour utiliser les couleurs si particulières de ces micro-intervalles en désaccordant l'instrument (aux Etats-Unis, Danny Elfman fera un peu la même chose dans 'A Simple Plan') qui crée une ambiance sonore très particulière au sein de ce sombre score glauque à souhait. La musique se rapproche beaucoup du style du 'Tombeau de Debussy' (1962), oeuvre dans laquelle le compositeur Maurice Ohana expérimenta pour la première fois ses recherches sur les micro-intervalles et où le compositeur utilise aussi une cithare en 1/3 de tons. Le score du 'Boucher' ne repose sur aucun thème précis. Le compositeur a écrit 11 minutes de musique répartie brillamment sur les 90 minutes du film. La musique est utilisé avec parcimonie dans le film (comme d'habitude dans les productions françaises de cette époque) mais les 11 minutes du score sont réparties d'une manière fort équilibrée sans jamais venir envahir les images du film. Dès le générique de début, Jansen nous plonge tout de suite dans l'ambiance alors que l'on voit les plans des mûrs à l'intérieur d'une grotte (l'idée métaphorique du film). La musique nous introduit d'entrée au sein d'une musique atonale libérée de toute contrainte temporelle et tonale. La cithare désaccordée (en 1/3 de ton) arrive très vite pour renforcer le ton flippant du score. La musique est aussi là pour évoquer le côté psychologique et torturé de Popaul qui, derrière son apparente gentillesse, cache un fou sadique. Mais plutôt que de créer une ambiance de terreur conventionnelle dans le style thriller à la Bernard Herrmann, Jansen opte pour un style plus lent, plus calme, mais tout aussi oppressant et tendu. La musique semble toujours ramper dans l'obscurité, menaçante et inquiétante sans être vraiment agressive ou particulièrement violente. Les instruments interviennent de manière aléatoire comme dans la musique de Ohana ou de certains musiciens contemporains des années 60 (on peut ressentir par moment l'influence d'Anton Webern dans cette manière parfois minimaliste d'agencer les sons -mais sans le système du sérialisme Webernien-. On pense aussi à certaines oeuvres plus anciennes des années 50). Après ce sinistre générique de début, le compositeur va s'attacher à développer ce climat de tension et d'inquiétude pendant tout le film et pendant les scènes clés. La musique devient très inquiétante lorsque les policiers arrivent dans le village, cherchant des pistes afin de mettre la main sur le tueur. On retrouve aussi un moment particulièrement sombre dans la scène devant la grotte avec Mme Hélène et les enfants. Evidemment, la musique devient encore plus sombre dans les derniers instants du film où le compositeur récapitule ses principales 'idées sonores', idées qui cimentent la partition au sein d'une unité sonore remplaçant la thématique traditionnelle de la musique. A noter un passage plus sombre où le compositeur accentue l'utilisation à l'arrière-plan du clavecin tandis que le vibraphone/cloches/piano/cithare continuent à élargir les textures sonores inquiétantes de cette superbe musique atonale typique de cette musique "contemporaine" des années 60. La musique est toujours présente dans le film afin d'évoquer un sentiment de tension et de menace qui sera très vite lié au personnage de Popaul, ce qui permettra ainsi au compositeur de faire monter la tension jusqu'aux derniers instants mais sans jamais partir dans une explosion de terreur conventionnelle. La musique du 'Boucher' est très répétitive en soi, Jansen n'apportant aucune variation et développement particulier à sa musique. On pourra regretter le côté un peu monotone de la musique au sein du film, pourtant, le compositeur accomplit parfaitement sa tâche dans le film et crée l'atmosphère de suspense et d'inquiétude parfaite pour le film. Sombre et glauque à la fois, la musique du 'Boucher' est une sinistre oeuvre atonale sans compromis, sans aucune respiration. Lente, calme, inquiétante, tendue et sombre à la fois, l'illustration musicale crée par Jansen dans le film de Chabrol retranscrit tout le côté psychologique du film et n'évoque que le côté suspense de l'histoire en délaissant l'aspect dramatique de l'histoire. C'est en ce sens que le compositeur nous livre là une oeuvre originale et assez osée qui doit tout aux expérimentations de certains musiciens des années 60. Un score intéressant, preuve de l'inventivité de certains compositeurs français de musique de film des années 60/70. ---Quentin Billard |