On ne le répétera jamais assez, mais Hollywood est décidément le lieu privilégié pour tous les thrillers/polars conventionnels et stéréotypés à souhait. 'Sea of Love' (Mélodie pour un meurtre) n'échappe pas à la règle. Le réalisateur Harold Becker place Al Pacino dans le rôle du policier Frank Keller chargé d'enquêter sur une série de meurtres dont les victimes sont toutes reliées par un même point commun: des hommes assassinés d'une balle dans la nuque et allongés sur le ventre dans leur lit, complètement nus. Très vite, Keller va se retrouver associé au détective Sherman (John Goodman) qui est lui aussi chargé d'enquêter sur ces mystérieux meurtres et ensemble, les deux hommes vont suivre une piste majeure: une rubrique d'annonces pour des rencontres entre célibataires dans un journal, apparemment le seul point commun qui expliquerait alors pourquoi ces hommes ont été assassinés. En postant une 'fausse' annonce dans le journal, Keller et Sherman vont tenter de démasquer le criminel au fur et à mesure des rencontres que va faire Keller avec les femmes ayant répondues à l'annonce. Mais parmi l'une d'elle, c'est la mystérieuse Helen (Ellen Barkin) qui va retenir son attention, à tel point que Keller va tomber fou amoureux d'elle. Malheureusement, Helen se trouve être la principale suspecte dans l'enquête et Keller va devoir jouer un jeu dangereux avec elle en se posant continuellement la même question: l'amour de sa vie est elle la meurtrière? Keller va tenter d'en savoir plus en jouant double jeu avec elle jusqu'au moment où à court d'indices, il décide de lui avouer brutalement toute la vérité. Et s'il faisait fausse piste depuis le début? Rien de bien neuf ici même si l'intrigue est intéressante. Le suspense est bien dosée même si ces séquences sont parfois un peu gratuites et répétitives (un bref coup de caméra dans le couloir avec une musique bien tendue pour faire croire qu'il y'a quelqu'un qui s'y cache alors qu'il n'y a personne...le truc un peu usé mais toujours aussi efficace). Bref, rien d'inoubliable dans un petit polar tout à fait quelconque et pas vraiment très mémorable.

Trevor Jones est décidément un compositeur éclectique. C'est la variété des films qu'il a mis en musique qui fait l'un de ses atouts: aventure, action, drame, comédie, horreur, et. Dans le domaine du polar, 'Sea of Love' n'est certainement pas ce qu'il a fait de mieux même si son score mérite quand même que l'on s'y penche d'un peu plus près. Ecrit pour synthétiseurs avec quelques solos de saxophone assez mémorables (à l'instar du sax hypnotisant de 'Angel Heart'), le score se base sur un thème principal plutôt envoûtant et 'sensuel', une mélodie de saxophone soutenue par une guitare basse, une batterie et quelques synthés atmosphériques. Ce thème plutôt sombre évoque bien la relation amoureuse et très chaude entre Frank et Helen (on se croirait déjà ici en plein dans le futur 'Basic Instinct' de Paul Verhoeven!), le saxophone apportant ici l'habituel cliché de la musique sensuelle et un brin 'sexy' sur les bords. Après ce 'Main Title' qui nous propose une belle entrée dans la matière, c'est 'Poetic Killing' qui évoque dans un premier temps les meurtres du mystérieux serial-killer qui se plaît à passer la chanson 'Sea of Love' sur un disque avant d'assassiner ses victimes. La seconde partie du morceau fait intervenir un deuxième motif de saxophone avec un côté un peu plus jazzy et toujours aussi envoûtant, évoquant plutôt ici le côté polar du film (le cliché du saxophone alloué au policier solitaire fonctionne toujours aussi bien même si la formule paraît ici aussi assez usée, preuve que le 'cliché instrumental' est toujours aussi vivant dans la musique de film d'aujourd'hui). Le début de 'Poetic Killing' nous fait parfaitement entendre le côté plus suspense terrifiant du score, Jones utilisant alors des nappes de synthé dissonantes et parfois assez suffoquantes, le tout renforcé par quelques sonorités métalliques très agressives et menaçantes à souhait.

La tension monte d'un cran au cours de 'Cocktails & fingerprints' où Jones fait intervenir le motif de suspense, motif rythmique de 4 notes répétées sur fond de nappes dissonantes et parfois stridentes. (On retrouve par moment le style suspense qui fera tout le charme de l'excellent 'From Hell', Jones semblant décidément être très à l'aise dans le registre du suspense) Ce motif du suspense intervient pour évoquer une sensation de danger ou de menace liée à la présence du tueur ou au mystère grandissant de l'intriguante enquête de Frank. Le saxophone sexy revient dans 'Fear & passion', scène d'amour où le saxophone s'en donne à coeur joie au cours d'un excellent solo soutenu par du synthé plus chaleureux. A noter un 'Helen's 45's' particulièrement sombre où le motif de suspense refait son apparition par le biais de percussions de synthé très menaçantes dans une brève montée de tension alors que Keller cherche discrètement un indice chez Helen. (le morceau évoque encore une fois cette sensation de menace avec ces nappes dissonantes et ces percussions qui rajoutent ici un élément de tension supplémentaire). 'Is She of Isn't She' est un ultime morceau de suspense suffoquant se concluant alors sur l'inévitable affrontement final contre le tueur dans l'excellent 'The Attack', le seul véritable passage action du score où Jones utilise pleinement ses percussions agressives dans un ultime passage de déchaînement synthétique.

Mélange entre passages sensuels un peu envoûtant (mais malheureusement aussi un peu cliché) et parties de suspense suffoquant, le score de 'Sea of Love' est la preuve flagrante que Trevor Jones est très à l'aise dans le registre du thriller/polar. Les solos de saxophone sensuels sont très agréables même si la formule paraît un peu usée (on pense parfois à des musiques de polar/téléfilm à petit budget, surtout avec la présence du synthé en arrière-fond) et le tout fonctionne admirablement bien à l'écran, surtout dans les parties de suspense où la composition plus atmosphérique de Jones fait immédiatement mouche. Difficile de porter le qualificatif de 'chef d'oeuvre' à cette composition atmosphérique plutôt quelconque et stéréotypée. Néanmoins, 'Sea of Love' fait partie de ces petits scores peu connus que le compositeur a à son actif et qui méritent quand même qu'on leur laisse une chance, car à défaut d'être particulièrement inspirant, ce score n'en souligne pas moins le professionnalisme d'un compositeur décidément très à l'aise dans tous les registres!


---Quentin Billard