Musique  composée par:

Philippe Sarde

Editeur:

Pathé 2C068 14705

Réalisateur:
Jacques Rouffio
Genre:
Drame
Avec:
Gérard Depardieu,
Jean Carmet,
Michel Piccoli,
Roger Hanin.

(c) 1978 Gaumont/Cinéproduction/SFP.

Note: ***
LE SUCRE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Philippe Sarde
Avec 'Le Sucre', Jacques Rouffio signe là une comédie loufdingue sur le monde du marché, de la finance et de la spéculation. Jean Carmet campe le rôle d'Adrien Courtois, un modeste inspecteur des impôts qui se laisse alors entraîner dans une gigantesque spéculation financière sur le sucre. C'est un petit spéculateur combinard du nom de Raoul-Renaud d'Homécourt (Gérard Depardieu) qui le convint de tout miser sur le sucre, devenu une denrée rare depuis quelques temps déjà. Adrien est un peu naïf et après avoir 'signé' pour une tonne, il se laisse convaincre et augmente considérablement la 'mise'. Le sucre monte rapidement en flèche sur le marché, atteignant même les 6000 et 7000 franc la tonne. Au bout de quelques jours, il devient millionnaire et s'offre des vacances avec sa femme dans des hôtels luxueux de Miami. Mais le marché est versatile: ca va, ca vient, et après que Grezillo (Michel Piccoli) ait annoncé qu'il arrêtait tout à 8000 franc la tonne, Adrien et Raoul se retrouvent ruinés. Telle est la dure loi du marché, surtout lorsqu'on ne sait pas s'arrêter. Les deux compères n'ont plus qu'une seule solution: trouver des petites combines pour tenter de se refaire une petite santé financière en repartant à zéro. Le film s'inspire de la réelle crise du sucre survenue en France en 1974, Rouffio s'appuyant sur des répliques incisives et des personnages hauts en couleur (il faut voir Depardieu passer son temps à gueuler au début du film, même lorsqu'il parle normalement à quelqu'un) pour évoquer cette satire cinglante du marché et de la spéculation boursière. Chez certaines personnes, l'appât du gain est plus fort que tout: l'argent et la cupidité transforme les gens en de véritables requins, dévoilant toutes les bassesses et les mesquineries de l'homme. Rouffio touche là où ca fait mal et en profite pour dénoncer au passage ce monde superficiel sur un ton moqueur et ironique. Ces deux 'héros' campés par Depardieu et Carmet n'ont rien de 'héros': ils sont tout à l'image de ces gens/requins qui, une fois qu'ils ont mis le nez dans l'argent, se laissent complètement entraîner par le courant, aveuglés par leur ambition du 'toujours plus' et du profit maximum. Adrien et Raoul sont quelque part deux antihéros épaulant une satire amusante (quoiqu'un peu laborieuse par moment et parfois très cruelle) sur le marché et le monde de la spéculation boursière. Depardieu est plus théâtral que jamais dans ce film, et il nous livre ici un numéro d'acteur épatant, comme il a l'habitude d'en faire régulièrement. A noter que Carmet et Depardieu ont été respectivement nominés aux Césars 1979 en tant que meilleur acteur. Bref, un film très ironique, parfois un peu lourd et dur, mais réellement amusant!

Philippe Sarde retrouve Jacques Rouffio avec qui il avait déjà collaboré sur '7 morts sur ordonnance' (1975) et 'Violette & François' (1977). Son score pour 'Le Sucre' retranscrit à merveille tout le côté ironique et satirique du film, sa partition se basant sur un thème de ragtime assez fantaisiste, teinté de quelques dissonances et de couleurs modales (on pense par exemple aux petites pièces pour piano légèrement jazzy de Debussy comme 'Le petit nègre' par exemple). Très dansant et extrêmement facile à mémoriser, ce petit thème de ragtime jazzy n'est pas sans rappeler la musique des compositeurs français de la première moitié du 20ème siècle et plus particulièrement du groupe des six. Effectivement, on a parfois l'impression d'entendre ici un thème néoclassique léger issu d'un Francis Poulenc (genre 'Les Biches') ou d'un Darius Milhaud (on pense tout particulièrement au 'Boeuf sur le toit'), avec quelques harmonies plus 'sombres' qui rappellent parfois un Ravel ou un Stravinsky. Exposé au piano avec une légère tenue de cordes dans le générique de début, ce petit thème de ragtime laisse la place à un deuxième thème plus lent et mélancolique, qui contraste complètement avec le côté dansant et mélodique du thème principal. Sarde utilise alors quelques cordes avec un saxophone et quelques cuivres et vents. Le générique de début du film s'ouvre sur ce thème (l'instrumentation est assez fantaisiste) alors que l'on voit des immenses pelleteuses ramasser les betteraves, Rouffio privilégiant un montage assez fantaisiste qui annonce déjà le ton ironique et satirique du film. Sarde a parfaitement capté l'esprit du film à travers sa composition et son ragtime connaîtra de nombreuses mutations tout au long du film afin de s'adapter aux différentes scènes, le compositeur nous proposant même une reprise dissonante quasi atonale de ce thème dans une version 'Schoenberg des 5 pièces pour orchestre opus 16'. Ce ragtime apporte donc une certaine touche d'humour non négligeable dans le film, et son côté dansant évoque parfaitement sur un ton moqueur l'hystérie de la spéculation et l'appât du gain. A noter une petite pièce de clarinette qui vient renforcer de manière récurrente le côté ironique de la composition de Sarde tout au long du film.

La majorité de la musique de 'Le Sucre' s'axe donc autour de ce thème de ragtime, souvent entendu au piano dans le film. La partie plus mélancolique et lente intervient surtout pour évoquer la ruine d'Adrien et Raoul, dans la seconde partie du film. C'est là que Sarde utilise donc quelques cordes avec un saxophone et des instruments plus graves pour les moments plus sombres du film. Sarde évoque simplement le fait que, derrière le côté ironique et satirique de cette histoire, se cache un récit plus dramatique, celui de la 'déchéance' des deux héros du film, qui tombent bien bas en étant parti de haut. Mais c'est finalement le ragtime qui ressortira beaucoup plus dans ce score de Sarde assez sympathique, mais malheureusement encore inédit (il existe juste un LP chez Pathé) comme beaucoup de ses anciennes compositions qui sont à redécouvrir, assurément.


---Quentin Billard