Fable enfantine débordante de poésie, 'A Little Princess' (La petite princesse) se base sur le fameux roman de Frances Hodgson Burnett pour nous raconter l'histoire émouvante de la jeune Sara Crewe (interprétée par la ravissante Liesel Matthews qui fait ses débuts au cinéma grâce à ce rôle fort), une petite fille qui mène une vie de rêve aux Indes en compagnie de son père (Liam Cunningham), et ce jusqu'au jour où la première guerre mondiale éclate. Envoyé sur le front, le père de Sara ne donne plus aucun signe de vie. Placée dans un pensionnat de jeunes filles à New-York, Sara va faire la connaissance de ses nouvelles amies avec qui elle va leur communiquer la magie des contes indiens. Mais Miss Michin (Eleanor Bron), la directrice du pensionnat, n'entend pas la traiter comme une 'princesse' et va tout faire pour la forcer à respecter le règlement draconien de l'école avec une rigueur extrême et pesante. Sara croit que toutes les filles sont des princesses, mais le jour où elle se retrouve seule au monde et que le gouvernement britannique s'est emparé de tous les biens de son père déclaré mort au combat, Sara s'aperçoit que la vie est plus cruelle qu'elle ne le pensait. C'est grâce à l'acharnement de ses amies et au pouvoir de la magie que la jeune héroïne saura s'en sortir jusqu'à ce qu'un miracle se produise. Grand classique de la littérature enfantine, 'A Little Princess' est une oeuvre pleine de poésie et de magie, un film qui nous réchauffe le coeur en ces temps troublés, pour peu que l'on ait encore gardé notre âme d'enfant. Le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón (réalisateur du 3ème épisode des aventures d'Harry Potter si tout se passe bien) s'est entouré d'acteurs talentueux et moyennement connus pour nous livrer une fable enfantine à l'optimisme contagieux. Difficile de ne pas être touché par une oeuvre d'une telle délicatesse avec un message enthousiasmant pour les plus jeunes: il faut croire à la magie, celle qui rend notre vie plus belle. Et rien n'est plus beau que lorsqu'on arrive à communiquer autour de soi cette magie à nos amis. Très sous-estimé, ce très beau film rejoint avec brio les autres adaptations déjà réalisés à ce sujet avec le film de Marshall Neilan (1917) sans oublier la version de 1939 avec une Shirley Temple très jeune à l'époque. (les japonais ont aussi adaptés ce grand classique sous la forme d'un film d'animation intitulé 'Shôkôjo Sêra' - 1985). Une petite réussite à découvrir!

En 1995, Patrick Doyle venait déjà de signer quelques unes de ses plus grandes partitions pour le cinéma: 'Dead Again' (1991), 'Indochine' (1992), 'Much Ado About Nothing' (1993), 'Needful Things' (1993) ou bien encore le fameux 'Frankenstein' (1994). 'A Little Princess' est probablement l'une des plus belles partitions que le compositeur ait écrit pour un film. La musique de Doyle se situe ici entre un certain classicisme symphonique qui lui est cher et une touche orientale non négligeable. Sa partition se structure autour de trois thèmes majeurs dominés par le thème central, la chanson 'Kindle My Heart'. Dans le livret de l'album, Alfonso Cuarón explique que ce magnifique thème est très vite devenu 'l'âme' du film, côtoyant tous les autres genres musicaux abordés ici par Doyle: canons baroques à la Purcell, couleurs indiennes, choeurs de filles, etc. le tout créant une unité parfaite pour le film. Le réalisateur explique aussi que la chanson toucha tellement de gens lors du tournage que certaines personnes de l'équipe pleurèrent en l'entendant. Incontestablement, cette première approche de la musique de 'A Little Princess' nous révèle toute la qualité de la musique de Doyle qui offre un souffle émotionnel épatant dans le film.

Le film s'ouvre au son de 'Ramayana: A morning Raga' (introduisant le thème principal) alors que Sara et son père son encore aux Indes. Doyle a recours à la sitar indienne et une flûte exotique pour la scène du conte indien 'Ramayana' qui ouvre le film. La flûte berce la scène avec une sérénité et une certaine spiritualité très orientale, Doyle ayant construit ce premier morceau comme un Raga indien (le raga est une forme musicale fondamentale dans la musique indienne: le but est de capter l'esprit de l'auditeur par le jeu des couleurs et des sonorités des instruments en créant une sorte d'ambiance envoûtante). Doyle utilise pour finir quelques percussions exotiques pour renforcer le côté oriental de sa musique, tandis que 'Children Running' nous fait entendre brièvement le deuxième grand thème du score, plus enjoué et tout aussi mélodique, alors que Sara est en train de s'amuser avec son ami indien. Sur le voyage vers les Etats-Unis, Sara danse avec son père sur le bateau dans 'Cristina Elisa Waltz', très jolie valse épousant le raffinement viennois d'un Johann Strauss ou d'un Tchaïkowsky (valse des roses par exemple). C'est aussi pour Doyle l'occasion de prouver son habileté à passer d'un genre à l'autre avec une aisance étonnante et rare pour un musicien Hollywoodien d'aujourd'hui. On ne pourra d'ailleurs qu'apprécier la franchise de son style d'écriture, toujours teinté d'un classicisme frais et honnête.

'The Miss Michin School For Girls' évoque le personnage de Miss Michin avec un petit thème pour harpe. Effectivement, Michin joue de cet instrument tout au long du film et dans l'esprit du compositeur, il était plus qu'évident de lui attribuer cet instrument en tant que caractéristique musicale. L'instrument est vite rejoint par quelques cordes et vent avant que le thème principal ne refasse une brève apparition avec quelques sonorités orientales. Dans le très beau 'Knowing You By Heart', Sara fait ses adieux à son père qui doit partir au combat. Doyle utilise ici le troisième thème, plus mélancolique d'esprit et lié à l'idée de la séparation avec son père. Très doux, le morceau n'en demeure pas moins plutôt triste d'esprit, avec un thème de harpe doublé par une flûte. Pour cette très belle séquence où Sara caresse le visage de son père, le thème principal revient sous une forme plus émouvante, joué par une flûte avec les cordes, quelques vents et la harpe. (On est déjà plus proche de l'esprit du magnifique 'Kindle My Heart') 'Breakfast' nous permet de retrouver un nouveau passage pour harpe seule tandis que le thème revient au piano dans le paisible et émouvant 'Letter To Papa' (le père de Sara reçoit une lettre de sa fille alors qu'il est sur le front). Dans 'Angel Wings', Sara fait la connaissance d'une jeune fille de l'école et lui apprend que les gens qui meurent montent au ciel et deviennent des anges. Elle essaie de lui faire partager cette magie si chère à ses yeux. Comme touché par la grâce, cette scène est accompagné par un orchestre et un choeur de filles lumineux basé sur le deuxième thème plus enjoué, une sorte de thème de la magie. A noter que les paroles sont ici basées sur 'Om Namaste', une phrase indienne qui renvoie ici à une certaine forme de spiritualité humaine. (il est intéressant de voir comment Doyle associe ces paroles sur cette très belle séquence déjà teintée d'une spiritualité très 'palpable' à l'écran)

Comme dans 'Cristina Elisa Waltz', Doyle s'amuse à composer de la 'source music' spécifiquement pour le film avec 'False Hope', un petit mouvement de quatuor à cordes dans un style très viennois, entre Mozart, Schubert et Haydn. (séquence où Sara croit apercevoir son père) En parlant de Haydn, il est justement question de ce grand musicien dans 'The Trenches' où Doyle reprend le thème de l'Adagio du quintette en Do Majeur opus 88 de Michel Haydn (le père de Joseph Haydn). Visiblement très inspiré par ce thème, le compositeur nous en propose une version particulièrement poignante dans le déchirant 'Crewe and The Soldier' évoquant les horreurs du combat. A noter ici l'utilisation fort émouvante du choeur de filles sur les paroles de 'On Anothers Sorrow' (par William Blake, qui a écrit les paroles des différents chants du score de Doyle). Ce thème revient une dernière fois dans le résigné 'Alone', lorsque Sara apprend que son père a été déclaré mort au combat. La clarinette qui joue ici le thème se veut être le reflet de la douleur de la jeune fille à l'annonce de cette mauvaise nouvelle.

A noter une très belle reprise du thème mélancolique dans 'The Attic' par le choeur de filles sur les paroles de 'On Anothers Sorrow'. Sara se retrouve enfermée au grenier. C'est l'occasion pour elle de resserrer ses liens d'amitié avec la jeune Becky. 'On Anothers Sorrow' reprend une nouvelle fois le thème mélancolique chanté ici par la soliste Catherine Hopper, une nouvelle évocation émouvante de la souffrance de la jeune Sara. 'Tyger Tyger' permet à Doyle d'écrire un canon baroque pour choeur de filles dans la veine du contrepoint classique d'Henry Purcell, et ce pour la séquence où les filles de l'école font leur sortie dans la rue. 'Compassion' reprend une fois encore le thème enjoué pour évoquer la bonté de Sara, la petite 'princesse', pour la scène où elle offre à manger à une famille de mendiants. (cf. la rose) Et c'est le très attendu 'Kindle My Heart' qui apparaît pour cette scène magnifique où Sara se retrouve à sa fenêtre avec l'indien qui habite chez le voisin (séquence de la neige). Illuminé par une lumière quasi spirituelle, cette très belle séquence est soutenue par ce qui semble être l'un des plus beaux thème que Doyle ait écrit pour le cinéma. Inspirant et inspirée, la musique de Patrick Doyle se veut être l'écho de cette magie que chacun possède en soi et qui dépasse toutes les frontières (union ici de l'orchestre occidental avec la musique indienne) pour s'épanouir à travers tous les êtres qui croient en elle. C'est le message que veut faire passer 'Kindle My Heart', rendu grandiose par une montée en puissance portée par la jeune soliste Abigail Doyle, la fille du compositeur. Un pur moment d'émotion!

Changement de registre avec l'amusant 'The Locket Hunt' lors de la séquence où les filles font leur coup en douce pour récupérer le pendentif de Sara caché dans le bureau de Miss Michin. Afin de retranscrire toute la malice des jeunes filles, Doyle s'est amusé à suivre cette séquence avec un tempo énergique et entraînant, dominé par la percussion faussement martiale et quelques cuivres et cordes sautillantes. Après un 'Midnight Tiptoe' plus léger, le thème de 'Kindle My Heart' revient dans 'Touched By An Angel' pour la séquence du miracle (festin quasi royal dans le grenier au petit matin). 'Emilia Elopes' est un autre petit passage léger dominé par quelques vents et cordes sautillants lorsqu'Amelia (la sœur de Miss Michin) s'évade de l'école en compagnie de son fiancé. 'The Escape' possède quand à lui un ton plus urgent, plus sombre. Le thème de la magie revient ici sous une forme plus mineure. Ne voulant pas se faire arrêter par les policiers, Sara préfère s'enfuir en passant par la fenêtre pour aller s'abriter chez le voisin d'en face. Doyle fait monter la tension au cours de cette scène (on retrouve ici le style orchestral plus sombre de 'Frankenstein') tout en évoquant la détermination du personnage. Dans 'Papa!', Doyle confie le morceau à un petit quatuor de cordes basé sur le thème du quintette en Do Majeur de Haydn alors que Sara reconnaît son père mais que ce dernier ne la reconnaît pas. Et c'est les retrouvailles tant attendue avec son père qui a survécu au combat. Porté par des trompettes puissantes et un orchestre majestueux, le thème de 'Kindle My Heart' revient sous une forme quasi triomphante et noble, illuminant cette très belle scène finale, suivie de 'Goodbye' qui récapitule les différentes idées thématiques du score avec une ultime reprise particulièrement émouvante de 'Kindle My Heart' chantée ici par la jeune actrice qui interprète Sara Crewe, Liesel Matthews.

'A Little Princess' fait partie de ces BO rares qui nous touchent instantanément et nous vont droit au coeur de par leur simplicité et leur message quasi universel. Humaine, poétique et spirituelle, la musique de Doyle est un voyage dans l'émotion pure, de la joie innocente de 'Children Running' à la déchirure tragique de 'Crewe And The Soldier' en passant par l'amusant 'The Locket Hunt' ou le magnifque 'Goodbye', aucune émotion n'est épargnée ici. Patrick Doyle a parfaitement su retranscrire plus que quiconque toute la poésie et la magie du conte de Frances Hodgson Burnett. Doyle écrit sa musique avec son coeur, et la franchise de son art nous touche encore plus profondément. A l'écoute de la musique dans le film, difficile de ne pas pleurer avec Sara dans les moments de souffrance, difficile de ne pas rêver lorsque les 'miracles' se réalisent, difficile de ne pas se laisser emporter par ses contes orientaux et sa passion pour la magie. Incontournable dans la carrière de Patrick Doyle, 'A Little Princess' est la BO que vous devez découvrir absolument! Les chefs d'oeuvre sont rares aujourd'hui, pourtant, 'A Little Princess' fait partie de ces raretés. Un très grand moment de musique de film!


---Quentin Billard