Excellent remake du film de Billy Wilder (1954, avec Audrey Hepburn et Humphrey Bogart), réalisé par Sidney Pollack, 'Sabrina' est une 'love story' tout ce qu'il y a de plus ordinaire, sauf qu'elle met cette fois-ci en scène un trio particulièrement brillant: Harrison Ford, Julia Ormond et Greg Kinnear. Le film reprend les grandes lignes du 'Sabrina' de 1954: c'est l'histoire de Sabrina Fairchild (ravissante Julia Ormond), la fille du chauffeur de la riche famille des Larrabee. Sabrina est folle amoureuse de David Larrabee (Greg Kinnear) et l'observe un jour à une soirée, perchée en haut d'un arbre. Mais David l'ignore complètement et multiplie les conquêtes amoureuses sans lendemain. Son frère Linus (Harrison Ford) est quant à lui un bosseur qui n'arrête pas de travailler et qui n'a jamais eu le temps de s'intéresser aux femmes. Les choses commencent à changer le jour où David annonce son mariage avec Elizabeth Tyson (Lauren Holly), une jeune doctoresse qui se trouve être la fille de Patrick Tyson (Richard Crenna), un important homme d'affaire très influent. A la surprise de tout le monde, David est prêt à se ranger en vivant une liaison stable et durable avec Elizabeth.

Pour la consoler, les amis de Sabrina envoient cette dernière à Paris. Arrivé dans la capitale française, Sabrina va vivre une nouvelle vie en travaillant pendant deux ans pour le compte de 'Vogue magazine', un magazine de mode féminine. Sabrina sera l'assistante de l'équipe, chargée d'épauler le photographe Louis (Patrick Bruel) durant son travail. Louis lui apprendra alors les rudiments de la photographie, Sabrina apprenant à découvrir les choses sous un autre angle à travers l'objectif de l'appareil. De retour aux Etats-Unis, c'est une Sabrina complètement changée qui revient auprès de la famille Larrabee. David la rencontre un soir sur une route, et décide de la ramener chez lui, sans même l'avoir reconnu. Lorsqu'il apprend que cette ravissante demoiselle n'est autre que Sabrina Fairchild, la fille du chauffeur de la famille (John Wood), David en reste bouché bée. Il ne comprend pas comment il a pu ignorer une si jolie femme durant toutes ces années. David commence alors à tomber amoureux de Sabrina, ce qui déplait fortement à sa mère Maude (Nancy Marchand) et surtout à son frère Linus. Ce dernier va devoir prendre les choses en main et va organiser un plan machiavélique pour faire en sorte que le précieux contrat entre les Larrabee et les Tyson soit honoré comme convenu. Cette mésaventure fâcheuse risque de compromettre le mariage entre David et Elizabeth, et, par-dessus tout, elle risque d'empêcher le contrat d'être signé.

La deuxième partie du film va donc se concentrer autour du personnage de Linus Larrabee, interprété par un Harrison Ford étonnant dans ce rôle d'homme d'affaire coincé, cynique et tourmenté. Linus va tenter de séduire Sabrina pour la convaincre de délaisser David (qui s'est blessé avec des verres et s'est retrouvé cloîtré au lit, bourré de calmants), espérant ainsi la rejeter une fois que le précieux contrat aura été signé. Seulement voilà, Linus va découvrir qu'il a un coeur et qu'il sait aussi ressentir des sentiments comme tout le monde. Petit à petit, son jeu machiavélique va se retourner contre lui alors qu'il commence à être tomber amoureux de Sabrina. C'est cette dernière qui va lui apprendre à 'vivre' et à ouvrir son coeur, et après moult réflexions, Linus décidera qu'il est grand temps pour lui de changer sa vie.

'Sabrina' est une jolie fable sur l'amour et l'accomplissement des rêves. En provenant d'une classe sociale très modeste, Sabrina va faire son parcours initiatique à Paris, une ville dont elle tombera amoureuse, là où selon elle, les gens prennent le temps de vivre. Par la suite, ce sera au tour de Linus Larrabee de faire son propre parcours initiatique en apprenant à écouter Sabrina et ses précieux conseils. Finalement, Sabrina accomplira son rêve, à la tête d'une nouvelle richesse, d'un appartement à Paris, et surtout, avec un homme qui l'aime et qui est prêt à la rendre heureuse. Sidney Pollack a réuni pour son film un casting impressionnant, mélangeant ainsi Harrison Ford, Julia Ormond, Greg Kinnear, Angie Dickinson, Richard Crenna, Lauren Holly et John Wood pour la partie US, ainsi que Fanny Ardant, Valérie Lemercier, Patrick Bruel (et même un petit rôle pour Inèse Sastre dans le rôle d'une top-model française) pour la partie française. Construit sous la forme d'une love story féerique (l'héroïne accomplit tout ses rêves), 'Sabrina' est une très belle fable humaine, un film poétique qui nous apprend à sourire et à s'ouvrir à la vie (et à l'amour).

John Williams délaisse l'artillerie lourde des films de Steven Spielberg pour écrire un score romantique et poétique pour 'Sabrina'. Sa partition reflète son goût pour une écriture pianistique raffinée, un style concertant rappelant les grands moments de Lizst, Chopin ou Rachmaninov. Williams a construit sa partition intime autour de trois grands thèmes, le thème principal évoquant la romance du film, écrit pour piano soliste avec quelques cordes et quelques vents, le thème plus léger et sautillant de Linus, plus dans l'esprit d'une musique de comédie légère, et le thème de 'Moonlight', la chanson écrite par Williams et arrangée dans la pièce '(In The) Moonlight'. Le film s'ouvre sur 'Theme From Sabrina', Williams exposant son très beau thème de piano raffiné et élégant, dans un style plutôt romantique. L'orchestre apporte une chaleur supplémentaire à ce thème romantique et rêveur à la fois.

C'est l'amusant 'Nantucket Visit' qui nous permet d'entendre le thème léger de Linus, thème possédant un côté assez espiègle et malicieux, surtout avec son rythme posé, qui évoquerait alors ironiquement le côté 'coincé' de Linus. Dans le film, ce thème est très présent, développé sous la forme de petites variantes orchestrales (prédominances des vents ici - bassons, clarinettes, flûtes, etc.). A noter l'utilisation amusante et fantaisiste de quelques notes de clavecin donnant un côté faussement 'typé' à ce thème, une petite touche d'humour non négligeable. Williams a aussi écrit certaines chansons du film, avec en particulier 'Moonlight' interprété par Sting dans le générique de fin, Williams en reprenant le thème dans '(In The) Moonlight' pour une autre séquence romantique du film. Evidemment, c'est le thème de Sabrina qui domine avec son piano rêveur et ses cordes/vents chaleureux.

Un morceau comme 'Growing Up In Paris' est tout à fait représentatif du style romantique de la partition, Williams ayant recours ici à un thème plus nostalgique évoquant Sabrina et ses souvenirs de Paris. Williams fait preuve ici d'une grande délicatesse et renforce l'ambiance intime et poétique du score dans le film. 'Sabrina Remembers/La Vie en Rose' nous permet d'entendre une reprise à l'accordéon de la célèbre 'La vie en rose' d'Edith Piaf, chanson associé aux souvenirs paisibles que conserve Sabrina de Paris, un cliché 'à la française' qui possède néanmoins sa signification dans le film (Paris a permit à Sabrina de voir la vie en rose, comme le dit la chanson elle-même). L'héroïne revient alors aux Etats-Unis, complètement changée dans 'Sabrina Comes Home'. On retrouve la délicatesse de 'Growing Up In Paris' avec quelques vents tendres et un piano toujours très délicat, évoquant la beauté de l'héroïne. 'Sabrina & Linus Date' nous permet de réentendre le thème principal de piano et orchestre pour les séquences où Sabrina et Linus commencent à tomber sous le charme l'un de l'autre. Concernant Linus, on regrettera le fait que l'album n'inclue pas toutes les autres variantes entendues dans le film sur le thème sautillant de Linus.

C'est le début d'une autre vie pour Linus avec le très énergique 'Linus's New Life', alors que l'homme d'affaire cynique commence à changer de mentalité. C'est finalement 'Sabrina Return To Paris' qui nous apportera une conclusion romantique délicate pour le film, avec une très jolie écriture pour clarinette et cordes, alors que Sabrina retourne seule à Paris avant d'être rejointe par Linus qui est partie la retrouver. Comme à l'accoutumée, Williams conclut son album avec une reprise de son thème principal, ici, le 'Theme From Sabrina', identique à celui entendu dans le générique de début du film. Vous l'aurez donc compris, 'Sabrina' est une partition intime et romantique loin des mastodontes orchestraux des films de Spielberg. La composition de Williams est très élégante et raffinée, mais l'ensemble manque juste un peu d'originalité, Williams ne dépassant pratiquement jamais les clichés habituels des musiques romantiques. Très bien écrite, cette partition manque néanmoins d'esprit, et ce malgré la poésie du score. On aurait aimé entendre quelque chose de plus inspiré, de plus convaincant de la part du compositeur. Une petite BO sympa, mais finalement très anecdotique dans la carrière exceptionnelle de l'un des maîtres de la musique de film hollywoodienne!


---Quentin Billard