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1-Main Title 3.20
2-Meynert's Tour 1.09 3-Charcot's Show 5.11 4-Thirsty Girl 1.22 5-Case Histories 2.13 6-Desperate Case 3.28 7-Meynert's Request 3.33 8-The Brothel 5.09 9-The Funeral 0.45 10-Cecily and the Dancer 3.03 11-Cecily's Dream 1.09 12-The First Step 2.12 13-Red Tower Street 1.27 14-The Failure 1.48 15-Freud's Trauma 3.19 16-Return to Red Tower 3.15 17-Freud's Awakening 1.55 18-End Title 2.13 Musique composée par: Jerry Goldsmith Editeur: Varèse Sarabande CD Club VCL-1209-1102 Album produit par: Robert Townson Musique supervisée et conduite par: Joseph Gershenson Direction de la musique pour Universal Pictures: Kathy Nelson Edition limitée à 3000 exemplaires. Artwork and pictures (c) 1962/2009 Universal Studios. All rights reserved. Note: ****1/2 |
FREUD
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ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
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Music composed by Jerry Goldsmith
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Film oublié de John Huston, ‘Freud’ relate l’histoire du célèbre psychanalyste viennois qui révéla l’existence du fameux complexe d’Oedipe et de la sexualité infantile. La réalisation, assez académique, est renforcée par un noir et blanc assez lugubre et une photographie nuancée. C’est grâce au soutien du producteur Wolfgang Reinhardt que John Huston pu enfin concrétiser son projet. Après le renvoi du script du célèbre philosophe existentialiste français Jean-Paul Sartre, jugé trop ambitieux et surtout beaucoup trop long (‘Freud’ aurait quasiment duré plus de 10 heures avec le script d’origine de Sartre), Reinhardt intervint finalement sur le scénario final aux côtés de Charles Kaufman. Le résultat est à la hauteur des attentes, même si depuis, le film de Huston a été très critiqué par certains psychanalystes pour ses nombreuses approximations et sa vision quelque peu réductrice et naïve de l’inconscient humain. Montgomery Clift campe un Sigmund Freud très convaincant face à Susannah York dans le rôle de Cecilie, sa jeune patiente qui souffre du complexe d’Oedipe.
‘Freud’ a surtout permis au jeune Jerry Goldsmith de nous livrer l’un de ses premiers chef-d’oeuvres, une partition ambitieuse et extrêmement avant-gardiste pour un film hollywoodien de 1962. Rappelons simplement que la musique de film américaine de cette époque était encore dominée par le classicisme 19èmiste des sieurs Rozsa, Newman ou Waxman, qui perpétuaient un style postromantique hérité des grands musiciens allemands/autrichiens de la fin du 19ème siècle – Wagner, Strauss, Mahler, etc. Certains musiciens ont apportés une touche de modernité à Hollywood comme Bernard Herrmann, Alex North ou bien encore Leonard Rosenman, qui, en 1955, fut l’un des premiers compositeurs à incorporer des techniques sérielles dans sa musique du film ‘The Cobweb’ – qui se déroulait dans le milieu des hôpitaux psychiatriques américains des années 50. Jerry Goldsmith fut cependant le premier à étendre les concepts d’atonalité et de sérialisme en 1962 avec sa musique extrêmement avant-gardiste et atonale pour le film ‘Freud’, rompant ainsi avec la tradition classique hollywoodienne ambiante. Aucun doute possible : avec ‘Freud’, le Golden Age hollywoodien touchait bel et bien à sa fin et devait céder la place au Silver Age, toute une nouvelle époque qui accompagna ainsi les débuts d’un jeune Jerry Goldsmith de 33 ans au cinéma! Le maestro californien, qui a étudié dans sa jeunesse l’esthétique musicale de l’école viennoise du début du 20ème siècle en compagnie d’Ernst Krenek, a enfin eu l’occasion de concrétiser avec ‘Freud’ son goût pour un langage musical avant-gardiste audacieux dans un paysage hollywoodien pourtant fort conventionnel et très codifié. Rappelons simplement que Jerry Goldsmith avait déjà eu l’occasion d’écrire ce style de musique avant-gardiste/sérielle dans sa musique pour les épisodes ‘The Invaders’ et ‘Back There’ de la série ‘Twilight Zone’, partition écrite un an avant celle du film de John Huston. Dans leur ouvrage intitulé ‘La musique de film’, Alain Lacombe et Claude Rocle expliquent : « C’est en 1962 avec Freud, Passion secrète (Freud) de John Huston que Jerry Goldsmith trouve l’habile moyen de scénariser et d’inclure logiquement dans le propos du cinéaste une musique directement issue de ses préoccupations. Qu’y a-t-il de plus naturel que la connotation de schémas musicaux inspirés de Berg, Webern et Schönberg dans un film dont l’action se déroule à Vienne ? L’astuce de Goldsmith consiste à avoir assimilé l’évolution à l’histoire. » L’article résume parfaitement le parti pris musical de Goldsmith sur ‘Freud’, à une époque où les premières grandes partitions atonales et avant-gardistes héritées de l’école viennoise du début du siècle voient le jour à Hollywood. Les auteurs poursuivent ainsi en expliquant que Goldsmith oppose à la Vienne de 1880 (celle de Mahler et Strauss) une Vienne de Berg et Schönberg. Rappelons d’ailleurs que Jerry Goldsmith a toujours considéré Alban Berg comme l’un de ses compositeurs favoris, celui qui l’a fréquemment inspiré tout au long de sa vie de musicien. Goldsmith brise donc les règles de l’académisme ambiant pour propose une musique savante totalement nouvelle pour Hollywood à l’époque. Le compositeur ne déclarait-il pas dans une interview accordée à la télévision d’Ontario en 1989 : « Il n’y a aucune règle en musique qui ne puisse être transgressée. » ? Une phrase à méditer, qui explique en tout cas le point de vue du compositeur sur la musique de ‘Freud’. Ainsi, le rapport à la musique viennoise savante de Schönberg et ses disciples étonne tout au long du film, alors qu’on pourrait aisément s’imaginer qu’un autre compositeur lambda aurait certainement choisi d’évoquer dans ‘Freud’ la musique populaire de Johann Strauss Jr., celle du Vienne de 1880 (époque à laquelle a vécu Sigmund Freud et où se déroule l’histoire du film). Seulement voilà, Goldsmith fut le premier à opposer une tradition musicale moderne à celle plus académique de son époque, amorçant dès 1962 un cycle de futures grandes partitions avant-gardistes des années 60/70 qui iront de ‘The Satan Bug’ à ‘The Illustrated Man’ en passant par ‘The Mephisto Waltz’ ou l’incontournable ‘Planet of the Apes’. Goldsmith savait donc que son goût pour l’écriture sérielle et ses expériences musicales récentes pourraient parfaitement s’adapter aux visions nouvelles d’un metteur en scène comme John Huston, qui se passionna très tôt par tout ce qui touche de près ou de loin à la psychanalyse (Huston réalisa en 1945 un documentaire sur les vertus thérapeutiques de l’hypnose). Dès les premières notes de la partition, la musique de Goldsmith bouillonne et manifeste une effervescence et un climat troublant parfaitement inquiétant. La partition de ‘Freud’ nous transporte dès les premières secondes dans un nouvel univers sonore, quasi inouï à l’époque à Hollywood – tout comme l’étaient à l’époque de Freud les concepts d’état conscient et inconscient chez l’être humain. Car, ne nous y trompons pas, le véritable génie de Jerry Goldsmith sur ‘Freud’, c’est d’avoir imposé une vision musicale nouvelle alors même que le film de John Huston parle des bouleversements de la science humaine qu’entraînèrent les théories de Sigmund Freud. Comme le précise le prologue du film, trois grandes révélations ont remis en cause la place de l’homme dans l’univers : il y eu d’abord Copernic, qui démontra que la terre n’est pas au centre de l’univers, et que l’homme n’est donc pas le centre de la création divine. Il y eu ensuite Darwin, qui démontra que l’homme et le singe ont un ancêtre commun, et que Dieu n’a donc pas crée un homme parfait à son image, l’être humain n’étant finalement que le résultat d’une longue évolution depuis le stade primate. Enfin, Freud démontra que le psychisme humain dépasse le simple cadre conscient et que l’homme ne maîtrise donc pas totalement ses agissements. Afin de traduire ce sentiment de bouleversement et de révélation impliqué dans les découvertes et théories de Freud dans le domaine de la psychanalyse, Goldsmith a crée une musique atonale sombre, envoûtante, angoissante, incroyablement profonde et intense. On découvre ainsi dans un premier temps l’emploi d’une série de 12 sons dès l’ouverture du film – hérité des expériences musicales de Schönberg et ses disciples dès 1923 - mais aussi l’utilisation étonnante et expérimentale de quelques synthétiseurs que le maestro n’hésite pas à incorporer au sein de son orchestre symphonique – ici, l’orchestre de Rome, dirigé avec brio par Joseph Gershenson. L’incorporation d’électronique au sein de l’orchestre est un élément nouveau à l’époque, même si certaines expériences dans l’électronique ont déjà été tentées par le passé. Mais une fois encore, en tant que pionnier d’une musique de film nouvelle et innovante, Jerry Goldsmith est l’un des premiers compositeurs à l’époque à incorporer les synthétiseurs au sein de l’orchestre symphonique, comme si ces derniers étaient un instrument faisant partie intégrante de l’orchestre – l’un des grands credo du compositeur que ce dernier concrétisera tout au long de sa carrière, plus particulièrement dans les années 80/90. L’utilisation de l’électronique permet aussi au compositeur de créer des sonorités nouvelles et inédites illustrant l’exploration de la mécanique psychique profonde de l’être humain – et plus particulièrement de son inconscient. Pour Jerry Goldsmith, le recours au concept d’atonalité permet surtout d’échapper aux contraintes de la répétition désuète du thème, mais également de mieux cerner les maléfices du montage, sans oublier que pour le mixage de la bande son, l’insertion d’une trame atonale paraît bien moins artificielle pour l’époque que celle d’une mélodie. Et pourtant, il est inconcevable pour Jerry Goldsmith qu’une musique de film soit crée sans un bon thème perceptible, que le public puisse associer à une émotion, un personnage, une idée, etc. C’est pourquoi le compositeur devait rapprocher pour le film de John Huston les concepts de thématique et d’atonalité pour élaborer une partition d’une richesse inouïe pour l’époque – rappelons que ‘Freud’ est la toute première partition de Jerry Goldsmith à être nominé aux oscars en 1962. La musique de ‘Freud’ se compose de trois thèmes principaux. Le premier est exposé dès les premières secondes du bouillonnant et tendu ‘Main Title’, un motif de 4 notes plutôt mystérieux et menaçant très présent au début et vers la fin du film. Ce motif est entendu dès le début du ‘Main Title’ par des cordes sombres en tremolos et se distingue par ses deux voix – ici si – do – si – la# et une voix inférieure constituée d’une ligne chromatique descendante – la – sol# - sol – fa# . Le passage présenté ci dessus est en fait issu de la reprise lente du thème durant la seconde partie du ‘Main Title’, alors que le narrateur entame son prologue angoissé sur les trois grandes révélations qui ont modifiées la perception de l’homme dans l’univers. Le monologue s’accompagne d’images troublantes ressemblant à l’enfer de Dante ou à une représentation terrifiante de l’univers dans son infinité – rappelant que nous sommes au final bien peu de chose par rapport à l’immensité de l’univers – auquel semble être comparé ici l’inconscient humain. Ainsi donc, ce thème de 4 notes crée un sentiment de trouble, de malaise, dès le début du film, en particulier dans la première partie du ‘Main Title’ où Goldsmith lui accorde un caractère menaçant, quasiment agressif. A noter pour finir la dureté de certains intervalles – do – si, une septième majeure entre la harpe et les violons mesure 3 sans aucune tierce mineure ou majeure (donc pas de mi entre le do et le sol), ou l’accord do – fa# - la# à la mesure 4, qui, venant d’un glissement chromatique de la mesure précédente, crée un certain malaise par sa dureté apparente (do – fa# - l’intervalle de tritons). Le thème est survolé par un contrepoint de doubles croches alternant divers groupes d’instruments – d’abord piano/flûtes puis pizzicati déroulant une ligne mélodique staccato extrêmement tortueuse, constitué d’intervalles disjoints et complexes. A noter que cette ligne mélodique torturée – qui renforce ici la sensation de malaise du morceau – contient quelques éléments de musique sérielle. A noter pour finir, toujours au sujet du ‘Main Title’, que Goldsmith utilise des effets instrumentaux assez modernes, comme les techniques de col legno des violons (jouer sur les cordes de l’instrument avec le bois de l’archet), les glissandi, les tremolos, et même quelques éléments sonores se rapprochant d’une technique empruntée à Schönberg : la Klangfarbenmelodie, ou « mélodie de timbres » (jouer une ligne mélodique en alternant plusieurs instruments différents mais sans interruption). C’est aussi l’occasion pour le compositeur d’utiliser ici les synthétiseurs qui semblent onduler mystérieusement entre les cordes, les bois et la harpe dans la seconde partie fort troublante du ‘Main Title’ – à noter ici la façon dont le thème est joué dans l’aigu et descend progressivement dans le grave, pupitre par pupitre (d’abord les cordes, puis les bois et les cuivres pour finir), renforçant l’impression de descendre dans les profondeurs de l’âme humaine. Le monologue introductif de John Huston raconte d’ailleurs à ce sujet : « ceci est l’histoire de la descente de Freud dans un endroit aussi noir que l’enfer lui-même, l’inconscient de l’homme (…). ». Les images circulaires angoissantes du prologue semblent suggérer explicitement la descente aux enfers de Freud dans l’inconscient humain. Le second thème de la partition est rattaché dans le film aux séances d’hypnose. Il intervient dans ‘Charcot’s Show’ alors que le professeur Charcot mène ses premières séances d’hypnose à Paris pour démontrer que les syndromes d’hystérie sont des états fallacieux que l’on peut contrôler avec l’hypnose, et tout cela face à un public médical totalement médusé. Le premier élément qui frappe dans ce thème, c’est d’abord l’utilisation de deux violons solos en octaves parallèles qui interprètent la mélodie de l’hypnose, les deux violons aigus apportant une couleur très particulière à ce thème. La ligne mélodique torturée des deux violons s’inspire clairement ici du thème du fameux ‘Adagio’ de la ‘Musique pour cordes, percussions et célesta’ (1936) de Béla Bartok, que Goldsmith cite quasi explicitement ici. On sait que Bartok a toujours beaucoup inspiré Jerry Goldsmith tout au long de sa carrière. Ainsi donc, en plus de l’influence incontestable d’Alban Berg dans ‘Freud’, Goldsmith arrive aussi à citer le style de Bartok – compositeur hongrois bien loin de l’école viennoise à son époque. Goldsmith synthétise donc dès son premier chef-d’œuvre de 1962 un quasi essentiel de ses principales influences musicales avec un brio incroyable. A noter pour finir que le compositeur reprendra tout au long du film cette sonorité étrange des deux violons solo pour d’autres passages troublants de la partition de ‘Freud’, apportant ainsi une couleur très particulière aux images. Deuxièmement, on remarquera dans le ‘Thème de l’hypnose’ la superposition de deux idées mélodiques, celle des deux violons solo d’abord, puis celle des violons 2 et de la harpe, un nouveau motif de 4 notes qui pourrait faire office de contrechant de la ligne mélodique des violons – ou du moins, de formule d’accompagnement. Comme dans la seconde partie du ‘Main Title’, ‘Charcot’s Show’ se distingue par son climat extrêmement mystérieux, troublant, angoissant, mêlant à l’écran sentiments de vertige et de malaise tandis que les patients du docteur Charcot sont manipulés comme des marionnettes à travers les séances d’hypnose, et ce pour les bienfaits de la science (dommage cependant que la musique soit très mal mixée et peu mise en valeur durant cette séquence-clé du film). Le thème de l’hypnose est ici renforcé par une tenue aigue de synthétiseurs qui semblent onduler ici aussi mystérieusement sur une pédale de mi aigu assez obsédante. La seconde partie de ‘Charcot’s Show’ permet à Jerry Goldsmith de développer le thème de l’hypnose en inversant les rôles : cette fois, ce sont les contrebasses et les violoncelles qui interprètent la mélodie de l’hypnose tandis que les violons interprètent le contrechant de quatre notes – et toujours avec ces pédales mystérieuses dans l’aigu, qui semblent survoler comme pour rappeler le caractère angoissant et quasi surréaliste de ces séances d’hypnose (n’oublions pas qu’il fut une époque où l’on considérait l’hypnose comme de la sorcellerie, d’où peut être le caractère angoissé de la musique de Goldsmith). Puis, le milieu de ‘Charcot’s Show’ s’émancipe complètement de toute contingence mélodique pour mieux perdre le spectateur durant la scène où Charcot demande à l’un des patients hypnotisé de suivre la lumière d’une bougie. La musique oscille ainsi entre passage à un stade conscient (la mélodie de l’hypnose) et inconscient (absence totale de mélodie) à l’écran, avec une maîtrise rare. Jerry Goldsmith accompagne le rituel psychanalytique par une musique atonale obscure et dissonante totalement maîtrisée, jamais agressive et surtout, jamais démesurée ni même excessive. Rares sont les musiques qui réussissent à créer une telle sensation de trouble psychologique intense, mais ‘Charcot’s Show’ fait bel et bien partie de ces musiques ! Enfin, le troisième thème majeur de la partition de ‘Freud’ est entendu dans ‘Thirsty Girl’ pour la première fois : il s’agit du thème de Cecilie, la jeune patiente de Freud. Le dit thème s’apparente à une berceuse enfantine qui évoque les souvenirs d’enfance de la jeune fille, souvenirs liés à un complexe d’Œdipe que Freud tente de faire émerger à travers de nombreuses séances d’hypnose. Cette mélodie simple et naïve en apparence apparaît dans ‘Thirsty Girl’ sur fond de cordes sombres, profondes et quelque peu inquiétantes. Le thème de Cecilie traduit la fragilité du personnage de Susannah York dans le film. Cette mélodie enfantine qui se voudrait pourtant innocente en apparence cache en réalité quelque chose d’inquiétant – brillante suggestion musicale ici de la sexualité infantile et du complexe d’Œdipe. Les flashbacks de l’enfance de Cecilie sont accompagnés ici par des reprises de plus en plus malmenées de la berceuse de Cecilie. L’exemple choisi au dessus provient du morceau ‘Cecilie and The Dancer’ (scène de flashback où Cecilie se voit danser aux bras d’un mystérieux homme). Il est absolument révélateur du traitement musical qu’inflige Goldsmith à sa mélodie enfantine : ainsi donc, si la berceuse du célesta est écrite en sol majeur, Goldsmith lui superpose un accompagnement d’ostinato de harpe en do # mineur (mais débutant sur la note de la dominante : sol #, brouillant ainsi judicieusement la sensation de tonalité et des traditionnels mouvements de tonique dominante). Ainsi donc, la superposition sol – do# nous renvoie à l’inévitable intervalle de tritons, symbole habituel du mal dans le monde de la musique. Mieux encore, le fait même que la harpe débute sur un sol # au même moment où le célesta joue un sol renforce encore plus les dissonances extrêmes entre les deux instruments (comme si la harpe ou le célesta étaient curieusement désaccordés, ne jouant pas dans le même ton), créant par conséquent un sentiment de malaise du à cette brillante utilisation de polytonalité. Les morceaux illustrant les séquences d’hypnose menées par Freud dans le film permettent à Jerry Goldsmith de développer ses thèmes et de travailler davantage ses différentes textures sonores à l’aide de mélanges instrumentaux souvent complexes et élaborés – et ce dès le ‘Main Title’. A noter par exemple que le compositeur utilise un clavecin incorporé au sein de son orchestre. Le clavecin apporte ici une couleur particulière à la musique avec les synthétiseurs. Dans ‘Case Histories’, la musique accompagne une scène où Freud reçoit divers patients atteints de symptômes physiques liés à des traumatismes refoulés en rapport avec le complexe d’Œdipe. Le morceau reste l’un des plus dissonants et des plus terrifiants du film. Une fois encore, la musique de ‘Freud’ nous accompagne dans les méandres de l’âme humaine avec une noirceur absolue. ‘Case Histories’ réutilise ainsi le thème de l’hypnose aux violons solo avec des pédales obsédantes qui renforcent continuellement le caractère angoissant de la musique. A noter ici le retour du clavecin et du synthétiseur qui, tout en demeurant assez discret, restent néanmoins très présent. La seconde partie du morceau, plus chaotique, utilise des trilles dissonants des cordes avec des effets de flatterzunge (roulements de la langue) bourdonnants de flûtes instaurant un malaise saisissant dans la musique. Le thème de l’hypnose est repris une dernière fois par les cordes, oscillant entre le grave et l’aigu. La musique se place ici du point de vue de Freud, qui découvre à travers les révélations de ses patients sous hypnose des choses parfois difficile à supporter. A ce sujet, impossible de passer à côté de l’un des sommets de la partition de ‘Freud’, le terrifiant ‘Desperate Case’ (en français : ‘cas désespéré’), illustrant l’une des scènes les plus dramatiques du film de John Huston. Au cours d’une séance d’hypnose, Carl von Schlossen (David McCallum), l’un des patients de Freud qui menace de se suicider, révèle de très graves troubles liés à un complexe d’Oedipe refoulé. Lorsque Carl s’empare d’un mannequin qui se trouvait au fond de la salle en le prenant pour sa mère et commencer à le déshabiller et à l’empoigner amoureusement, Freud, profondément choqué par cette manifestation de fantasmes incestueux refoulés, réveille subitement son patient et l’enferme dans la pièce. Ces révélations issues de l’inconscient de Carl bouleversent le jeune psychanalyste qui n’était pas encore prêt à cette époque à entendre de telle chose. La musique traduit ici une terrifiante montée d’angoisse qui illustre à la fois les révélations du jeune homme sous hypnose et l’état d’esprit dans lequel se trouve Freud à ce moment précis. Pendant plus de 3 minutes, Goldsmith pose une obsédante pédale de do jouée par un mélange contrebasses/synthétiseur extrêmement pesant et angoissant. La noirceur est telle que l’on croirait entendre ici la musique d’un film d’horreur à suspense. Les 30 premières secondes du morceau sont déjà très impressionnantes – Goldsmith utilise par exemple un superbe effet de glissando de cordes du piano en guise d’introduction vers 0 :17/0 :18, technique empruntée une fois de plus à la musique savante du 20ème siècle et qui traduit le goût de Jerry Goldsmith pour les expérimentations sonores avant-gardistes. Ce sont les synthétiseurs graves et menaçants qui apportent ici un côté quasi surréaliste à ce morceau clé de la partition de ‘Freud’. Le timbre ondulant et froid des synthétiseurs semblent surgir mystérieusement ici de l’inconscient humain. La musique évoque la part d’ombre de l’âme humaine, Freud s’aventurant dans une région obscure de l’homme qu’il avait jusqu’ici majoritairement sous-estimé. Goldsmith fait ainsi monter la tension en nous assénant régulièrement de violents coups de contrebasse - toujours sur la note do – tandis que le thème de l’hypnose est brièvement rappelé au début du morceau, avant de laisser la place à des cordes de plus en plus dissonantes et angoissantes, et ce jusqu’au final du morceau, lorsque Freud réveille Carl et quitte précipitamment la pièce. La coda de ‘Desperate Case’ s’affirme dans un ton purement chaotique, à base de cordes stridentes et extrêmement dissonantes. A noter pour finir que ce morceau a été réutilisé par Ridley Scott dans ‘Alien’ (1979), pour lequel Jerry Goldsmith a aussi composé l’un de ses plus grands chef-d’oeuvre. En plus de ‘Desperate Case’, Ridley Scott a aussi utilisé des portions du ‘Main Title’, de ‘Charcot’s Show’ et de ‘The First Step’. ‘Cecilie and the Dancer’ développe quand à lui le thème de Cecilie comme indiqué précédemment. A noter que Goldsmith crée ici des superpositions harmonies plus complexes clairement inspirées d’Alban Berg (on pense par exemple ici à des œuvres telles que le ‘Concerto pour violon à la mémoire d’un ange’ ou certains passages de ses ‘3 pièces pour orchestre opus 6’), et ce alors que le morceau prend des allures de valse viennoise lente mais considérablement assombrie par un ton lent, hésitant et des harmonies assez dissonantes et ambiguës. De la même façon, ‘Cecilie’s Dream’ nous plonge dans l’ambiance d’un rêve de la jeune patiente de Freud avec une musique traversée de glissandi de cuivres, de cordes dissonantes et de traits instrumentaux agités. Goldsmith apporte à cette scène une atmosphère onirique assez inquiétante, marquée par le retour du synthétiseur qui joue pour la première fois depuis le début une brève partie mélodique. ‘The First Step’ développe quand à lui une phrase descendante des cordes alors que Freud aide Cecilie à remarcher grâce à ses séances d’hypnose. A noter ici le rôle des tremolos de cordes, omniprésent tout au long de la scène. Le malaise lié aux flashbacks de Cecilie transparaît plus violemment dans le tourmenté et dissonant ‘Red Tower Street’ avec ses pizzicati de violoncelles/contrebasses agités et ses cordes stridentes qui tentent de noyer le thème de Cecilie, rendu ici de plus en plus méconnaissable. Dans ‘Trauma’, Goldsmith évoque l’idée du traumatisme de la jeune fille avec de nouvelles variantes sur ton thème enfantin toujours maltraité par des harmonies complexes, et le motif de valse lente et sombre repris de ‘Cecilie and the Dancer’. Enfin, ‘Freud’s Awakening’ évoque à son tour les efforts de Freud pour venir à bout de ses propres démons intérieurs, à l’aide ici d’un nouveau duo de violons solo assez inquiétant, sur fond de cordes/synthétiseur/harpe sombres et d’un motif entêtant de flûtes. La partition aboutit à une magnifique coda angoissée, ‘End Title’, qui reprend une dernière fois le thème principal dans une version tendue et menaçante, idéal pour conclure le film sur une ultime touche de noirceur, ne laissant finalement aucun répit à l’auditeur/spectateur. A noter que le ‘End Title’ résume brillamment tout l’esprit de la partition de ‘Freud’, reprenant les synthétiseurs ondulants du ‘Main Title’, quelques touches de clavecin, et bien évidemment, un style musical toujours sombre, torturé et complexe de l’orchestre, navigant ici entre atonal et tonal afin d’accentuer le sentiment de malaise du morceau. A noter que le motif de 4 notes de l’hypnose est repris à partir de 1:40, sans la mélodie du thème de l’hypnose, mais dans un style qui rappelle beaucoup la noirceur de ‘Desperate Case’. Même si Freud est arrivé au bout de ses théories sur la psychanalyse et a réussi à surmonter ses propres névroses, la musique demeure sombre de bout en bout. Avec le monologue final de John Huston, le message semble être clair : il reste encore beaucoup à faire sur la compréhension de la psyché humaine. « Connais toi toi-même. Ces mots ont été gravés sur le temple de Delphes il y a 2000 ans. (…) Cette connaissance est dorénavant à notre portée. Saurons-nous l’utiliser ? Espérons-le ». Evidemment, la question soulevée par John Huston reste en suspend, et ne semble pas ouverte à une réponse positive, d’où ce sentiment d’angoisse existentielle liée à cette réflexion sur l’esprit humain. ‘Freud’ est donc l’un des premiers grands chef-d’œuvre de Jerry Goldsmith, écrit à l’âge de 33 ans et révélant déjà tout le génie du maestro dans sa maîtrise d’un langage musical avant-gardiste audacieux pour un film hollywoodien de 1962. Avec ‘Freud’, on entre dans une toute nouvelle ère artistique à Hollywood, Goldsmith ouvrant ainsi la voie à une série de futures partitions expérimentales inoubliables qui parsèmeront l’ensemble des années 60/70. Espérons enfin qu’un label aura un jour la bonne idée d’éditer officiellement le score de ‘Freud’ dans son intégralité, le LP publié à l’époque chez Citadel ne contenant qu’à peine 30 minutes de musique, omettant ainsi de très nombreux passages de la somptueuse partition de Jerry Goldsmith! ---Quentin Billard |