Musique  composée par:

Georges Delerue

Editeur:

Universal France
981 808-7

Réalisateur:
Andrzej Zulawski
Genre:
Drame
Avec:
Romy Schneider,
Jacques Dutronc,
Fabio Testi.

(c) 1975 Albina Productions S.a.r.l./Rizzoli Film S.p.a./TTT Filmproduktion GmbH.

Note: ****
L' IMPORTANT C'EST D'AIMER
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Georges Delerue
Pour son premier film réalisé en France, le réalisateur polonais Andrzej Zulawski frappe très fort en adaptant à l'écran 'La nuit américaine', le roman de Christopher Frank. 'L'important c'est d'aimer' est un drame terriblement éprouvant et particulièrement sordide qui se déroule dans le milieu de la pornographie et du show-biz. 'L'important c'est d'aimer' raconte une histoire d'amour torturée, rendue impossible par la folie des personnages et du milieu sordide dans lequel ils évoluent. C'est la poignante Romy Schneider qui illumine radicalement le film de par sa beauté discrète et profonde et son interprétation inoubliable de Nadine Chevalier, une actrice de films pornos dépressive, extrêmement torturée et mal dans sa peau. Face à elle se trouve Servais Mont (Fabio Testi), un photographe complètement fasciné et obsédé par cette femme. C'est au cours de la célèbre introduction du film sur le tournage d'un film difficile où Romy Schneider interprète un véritable moment d'anthologie du cinéma français des années 70 (probablement la meilleure période compte tenu du paquet de merdes que l'on voit aujourd'hui dans le cinéma français). Nadine, tourmentée et harcelée par une réalisatrice hargneuse qui lui demande d'être toujours plus convaincante dans sa phrase 'je t'aime', se tourne vers Servais en train de la prendre en photo, les larmes aux yeux. Le plan inoubliable de ce visage en larme a rendu la scène particulièrement célèbre, sans parler de la fameuse et non moins inoubliable musique de George Delerue, qui apparaît pour la première fois dans le film à ce moment là. La regretté Romy Schneider (disparue tragiquement à la suite d'un suicide en 1982) est tout simplement bouleversante ici, à tel point qu'on a parfois l'impression qu'elle ne joue pas, ici, mais qu'elle est réellement Nadine Chevalier. Il faut dire que depuis quelques années, l'actrice vivait une très mauvaise période.

Après une série d'échecs sentimentaux qu'elle n'a jamais pu digérer (dont sa séparation avec Alain Delon), l'actrice a sombré dans l'alcool et la drogue, et c'est après la mort tragique de son fils empalé sur les pointes d'acier d'une grille en 1981 que tout a définitivement basculé (sans oublier qu'en 1979, son ancien mari Harry Meyen se suicidait). Ecrasé par un destin tragique, Romy Schneider quitta ce monde de fous le 29 mai 1982, un monde tragique magnifiquement représenté dans le terrible film de Zulawski, un film aussi sordide que peut l'être (parfois) l'existence humaine qui plonge dans la folie, les excès, les tourments, la torture, la violence, la débauche, le stupre, etc. Les personnages semblent ici errer sans but précis, prisonniers de leurs tourments, de leur folie, de leurs propres actes parfois sans significations. A noter ici un Jacques Dutronc particulièrement fort dans le rôle de Jacques Chevalier, le mari de Nadine. Les deux individus mènent une relation ambiguë tout au long du film, une relation dont on ne perçoit pas toujours les contours très floues. En cinéphile mal dans sa peau et tourmenté, Jacques Dutronc nous touche de par la profondeur de son jeu et nous prouvait déjà en 1975 qu'il avait l'étoffe d'un grand acteur, après avoir brillé dans les années 60 dans le domaine de la chanson française. On notera aussi la participation de Klaus Kinsi dans le rôle d'un homme de théâtre allemande homosexuel lui aussi tourmenté et fou. Film particulièrement dur et parfois insoutenable, 'L'important c'est d'aimer' est une oeuvre extrêmement pessimiste, peut-être parfois trop pour être honnête. Evidemment, le propos noir du film paraît ici bien exagéré, tant la peinture de l'humanité pourrie et décadente que nous propose Zulawski paraît bien excessive compte tenue de la réalité, qui est bien plus complexe et pas aussi généralisable. Evidemment, on sait que l'on est ici dans le cinéma, mais la sobriété et l'intensité de la mise en scène de Zulawski renforce à merveille cette terrible histoire de tourments et de décadence tragique dans un univers pourri et perverti par la connerie humaine. L'allusion astucieuse à Shakespeare à travers la pièce de théâtre (Richard III) à laquelle participe Nadine Chevalier vers le milieu du film paraît alors parfaitement cohérente avec l'ensemble du film: elle témoigne d'une volonté farouche de la part du réalisateur de traduire et de renforcer un univers sordide et tragique où la seule issue semble être la mort. Même l'amour et les sentiments sont ici pervertis par la folie et la bêtise humaine. Quant à Romy Schneider, inoubliable dans ce rôle (on ne le répètera jamais assez), sa bouleversante prestation lui a valu le César plus que mérité de la meilleure interprétation féminine en 1976. Il ne fait nul doute que l'actrice, hanté par un destin tragique, a cherché sa propre catharsis en interprétant le rôle d'une actrice mal dans sa peau et tourmentée, ce qui pourrait alors expliquer la qualité si exceptionnelle de son jeu d'actrice dans le film. Au final, on ne ressort pas indemne d'un film aussi dur et aussi brutal, au pessimisme exagéré et parfois agaçant (on a souvent envie de secouer les personnages, et de les inciter à voir la vie d'un autre côté), mais toujours bouleversant. Même si 'L'important c'est d'aimer' n'est pas le dernier film de Romy Schneider, il n'en reste pas moins l'un de ses meilleurs films et l'un des plus beaux rôles qui lui ait été donné de jouer dans les dernières années de sa vie.

La musique de Georges Delerue hante radicalement le film de Zulawski. Du début jusqu'à la fin, la musique traduit la passion destructrice et obsessionnelle entre Nadine et Servais, les tourments des différents protagonistes, le chaos, la folie, etc. En ce sens, Georges Delerue a probablement écrit l'une de ses musiques les plus sombres et les plus poignantes de ce milieu des années 70. Le score de 'L'important c'est d'aimer' est hanté par un thème principal écrit pour cordes, dans un style poignant, dramatique et envoûtant qui représente à merveille la relation tourmentée entre Nadine et Servais. Pour se faire, le compositeur et le réalisateur ont choisi d'utiliser ce thème de manière fréquente et hypnotisante tout au long du film, répété inlassablement comme pour mieux représenter cette folie obsessionnelle, un peu à la manière du célèbre thème de Camille du 'Mépris' de Godard. Dès la première apparition de ce thème de cordes poignant (qui ressemble beaucoup à ce qu'a justement écrit Delerue pour Godard ou d'autres drames de cette époque), on sait que l'on à faire ici à une oeuvre maîtresse du compositeur, visiblement très inspiré par son sujet. Il s'agit véritablement ici du thème incontournable de cette superbe partition symphonique, de même qu'il s'agit sans aucun doute de la pièce la plus tonale du score, avec la fameuse 'Ballade dérisoire' confié à une trompette et l'orchestre, dans un style non teinté d'une certaine ironie qui évoque la déchéhance des personnages (à noter la façon dont la musique est diffusé quelques fois sur un vieux tourne disque dans le film - la musique fait alors partie intégrante de la scène du film).

Effectivement, le reste du score fait la part belle à des pièces atonales souvent dissonantes, plus massives et véritablement terrifiantes. On pourrait presque considérer la partition de 'L'important c'est d'aimer' comme une sorte de musique de thriller avec son lot d'effets orchestraux hérités des grands compositeurs 'contemporains' de la fin des années 50 (Xenakis, Penderecki, Stockhausen, Boulez, Penderecki, Ligeti, Nono, etc.). Delerue utilise dans ces pièces atonales l'orchestre avec cordes dominantes, mais aussi des percussions, un clavecin, un vibraphone, un orgue, etc. Autant dire que le compositeur se montre ici inventif sur le plan instrumental, dans un style qui n'est pas sans rappeler le caractère suffocant et cauchemardesque du célèbre 'Locataire' de Philippe Sarde. Delerue insuffle au film de Zulawski un pessimisme aussi suffocant que l'est l'ambiance sordide et parfois malsaine de 'L'important c'est d'aimer'. Sa musique trahi les tourments et la psychologie torturée des divers protagonistes du film. Ainsi, dès la scène du début où l'on voit Servais travailler tandis qu'il se fait houspiller par deux ou trois personnes de son employeur permet à Delerue de nous dévoiler une superbe pièce pour cordes dans un style qui n'est pas sans rappeler les grandes partitions thriller de Bernard Herrmann (on pense à des scores tels que 'Vertigo', 'North By Northwest' et même 'Psycho' pour le travail des cordes torturées). On notera ici l'importance accordée au rythme saccadé et aux tambours qui rythment ce morceau avec une certaine frénésie violente, un reflet presque musicalement excessif du tourment du protagoniste principal. Cette musique de style thriller peut paraît parfaitement décalée avec les images presque anodines de cette séquence, elle n'en demeure pas moins très réussie et remarquablement intégrée dans la psychologie des personnages, dans leur moi intérieur.

Utilisée avec parcimonie tout au long du film, la musique de Georges Deleure n'en demeure pas moins bien présente, essentiellement représentée par cet obsédant thème de cordes à la dimension tragique chère à la période française années 70 du compositeur. On retrouve cette atmosphère macabre et tourmentée tout au long du film, qui permet au compositeur de nous donner à entendre quelques beaux moments d'atonalité glauque et parfois suffocante, comme c'est le cas pour la superbe séquence de la pièce de théâtre, où Delerue utilise de terrifiantes tenues d'orgue à l'ambiance quasi surréaliste avec son lot de tenues de cordes dissonantes jouant sur les quarts de ton, les clusters, les glissendi et les nuages de pizzicati désordonnés proche des grandes pièces orchestrales de Penderecki (on pense parfois à son 'De Natura Sonoris N°1 et 2'). Cette scène, dominée par le remarquable Klaus Kinski dans un numéro d'acteur halluciné, prend une tournure réellement cauchemardesque avec la musique de Delerue, ce qui est d'autant plus étonnant si l'on considère le fait que si l'on enlève la musique à cette scène, elle ne voudrait plus rien signifier. Une fois encore, Delerue évoque ici la folie vue sous un angle particulièrement inquiétante voire horrifique (ce qui est particulièrement intéressant étant donné que l'on connaît généralement moins le Delerue atonal de cette période). On pourra peut-être trouver exagéré le caractère parfois 'grand-guignolesque' de la musique de Delerue, mais qu'importe, le résultat à l'écran est particulièrement intense et saisissant, preuve que ce grand compositeur français possédait décidément plus d'un tour dans son sac. Terrifiante musique orchestrale à la fois poignante, pessimiste, glauque, obsédante, brutale et macabre, 'L'important c'est d'aimer' fait partie de ces chefs-d'oeuvre du compositeur qui méritent d'être redécouvert d'urgence. Foncez sur la récente édition Universal France de Stéphane Lerouge, qui, même si elle omet encore certains morceaux du score (couplé avec le non moins superbe 'Police Python 357' à l'ambiance toute aussi cauchemardesque), n'en demeure pas moins un disque essentiel pour tout bon béophile qui souhaiterait entendre deux des meilleures partitions écrites par Georges Deleure pour le cinéma français des années 70!


---Quentin Billard