1-Making of
A Cyborg (Chant I) 4.28
2-Ghosthack 5.14
3-Puppetmaster 4.21
4-Virtual Crime 2.41
5-Ghost City (Chant II) 3.34
6-Access 3.16
7-Nightstalker 1.44
8-Floating Museum 5.05
9-Ghostdive 5.52
10-Reincarnation (Chant III) 5.44
11-Bonus Track:
See You Everyday 3.26*

*Interprété par Fang Ka Wing
Paroles de Pong Chack Man
Musique de Kenji Kawai
Choeur Junko Hirotani.

Musique  composée par:

Kenji Kawai

Editeur:

BMG Victor BVCR-729

Album produit par:
Kenji Kawai

Artwork and pictures (c) 1995 BMG Victor. All rights reserved.

Note: ***1/2
GHOST IN THE SHELL
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Kenji Kawai
'Ghost In The Shell' fait partie de ces films cultes que l'on ne présente plus. Chef-d'oeuvre incontesté et indétrônable du manga japonais (au même titre qu'Akira ou 'Jin-Rô'), 'Ghost In The Shell' est un film d'animation exceptionnel sur plus d'un plan, d'abord parce qu'il s'agit d'un des premiers animes qui mélange dessins 'live' traditionnels et animations sur ordinateur (CGI). Ensuite, le scénario est probablement l'un des plus complexes et des plus profonds qu'il nous ait été donné de voir dans un film d'animation de cette envergure. Tiré d'un manga de Masamune Shirow, l'histoire de 'Ghost In The Shell' se déroule en 2029, dans une société où les informations et le Net sont devenues surdéveloppées. Les réseaux informatiques sont présents partout, même dans les corps. Désormais, des milliards de données traversent toute la planète entière avec une aisance incroyable. Seule ombre au tableau, la criminalité est toujours présente. C'est pourquoi a été crée une brigade spéciale chargée de lutter contre la criminalité et que l'on appelle l'unité mobile 'Shell', rattaché à la section 9. Cette unité est constituée en grande partie de cyborgs ultra sophistiqués à l'apparence humaine. Le major Matoko Kusanagi est le leader de cette unité. Elle veille au grain avec l'aide de son fidèle co-équipiers cyborg, Batou. L'unité est sur la trace d'une conspiration entourant un projet gouvernemental qui semble avoir échappé à ses instigateurs. Mais la réelle menace vient en fait d'un hacker de génie nommé le 'Puppet Master', un individu mystérieux qui semble avoir la capacité de pirater et de s'introduire dans tous les réseaux informatiques du monde entier. Confrontés à ce nouvel ennemi, Kusanagi et ses coéquipiers vont découvrir la nature réelle du 'Puppet Master' et ses mystérieux secrets. Pour Kusanagi, il ne s'agit plus vraiment d'un ennemi mais d'une source de question qui dépasse sa condition d'être physique.

'Ghost In The Shell' est une véritable réussite car le film du grand Mamoru Oshii a sut allier avec brio le côté spectaculaire des mangas traditionnels et des profondes réflexions à la fois philosophiques et métaphysiques, et ce à tel point que certains philosophes sérieux se sont même penchés sur le film et ses différentes interrogations toutes aussi passionnantes que complexes. La trame du film se déroule dans un futur où les réseaux informatiques règnent en maître sur le monde entier, ce qui n'est finalement pas si éloigné de la réalité que cela (même si cela sous-entendrait que même des pays pauvres du tiers-monde pourraient installer des réseaux informatiques chez eux). Mais ces réseaux informatiques ne sont qu'un prétexte à une intrigue plus complexe entourant le mystère lié au fameux 'Puppet Master'. Dès lors, le major Kusanagi est en proie à de multiples interrogations concernant ce mystérieux individu. Tout comme le spectateur, il se demande ce qu'il poursuit réellement? Un homme? Une machine? Une créature d'un autre monde ou simplement quelque chose d'autre qui dépasse l'entendement humain? C'est la première question évidente que l'on peut se poser dans le film. D'autre part, Kusanagi a beau être un cyborg, on la sent réfléchir et agir comme un véritable être humain, on ressent véritablement son angoisse existentielle. Derrière ce corps de femme nue idéalisé (ajoutant une dimension érotique guère anodine au film), derrière la carcasse d'acier et derrière les circuits électroniques se cache une âme que l'on appelle le 'ghost'. Ce sont ces ersatz d'âme crée par les réseaux informatiques que le 'Puppet Master' semble avoir le pouvoir de manipuler à sa guise (c'est dire à quel point la technologie de ce futur a atteint son apogée puisqu'elle arrive même à reproduire/simuler 'âme humaine dans un programme informatique). L'esprit de Kusanagi est en proie à de multiples interrogations existentielles. A travers ses agissements, le major semble chercher une réponse à la question que nous nous posons tous: quel est le but de notre vie sur terre? Elle ne sait pas pourquoi, mais elle a l'intuition que le 'Puppet Master' possède la clé qui lui permettra de répondre à cette angoissante question existentielle et typiquement humaine. Et si justement ces interrogations dépassaient la simple condition humaine? Et si ces interrogations portaient sur l'esprit transcendé au-delà du corps et du monde physique? On parle alors d'élévation de l'âme humaine, de la futilité du monde physique, de la quête d'un esprit universel, la quête d'un Dieu? Est-ce que ce futur serait devenu tellement sophistiqué et dilué dans la technologie que des cyborgs en viendraient alors à se poser les questions que se posaient un siècle auparavant les humains? Est-ce que cette société serait devenue tellement artificielle et informatisée que l'on chercherait à tout prix à rejoindre un monde au-delà de l'existence humaine, un monde idéalisé, un retour à une forme de spiritualité, à une forme de religion?

En ce sens, la partie finale après l'affrontement contre le tank et la descente d'un ange de lumière est parfaitement révélatrice de cette idée de spiritualité et d'élévation de l'âme que pointe Mamoru Oshii dans le scénario de 'Ghost In The Shell'. Le réalisateur nous laisse d'ailleurs quelques indices comme c'est le cas par exemple avec la séquence où Kusanagi plonge dans les profondeurs de la mer et remonte lentement à la surface en traversant son propre reflet dans l'eau (une analogie narcissique?). Elle explique plus tard à Batou qu'agir ainsi lui fait ressentir un mélange entre de l'angoisse et un sentiment de paix intérieure. Cela s'explique par le fait qu'elle cherche à prendre conscience de son existence en se rapprochant d'une autre vie, d'une conscience supérieure. Elle recherche la signification de la vie en se rapprochant de la mort (symbolisée ici par les profondeurs), puisque ressentir la vie, c'est aussi ressentir le besoin de luter contre la mort, son parfait opposé (comme le dit à un moment donné le 'Puppet Master': "ce qui vit doit mourir, c'est une loi éternelle"). Cette quête de la 'vie' à travers la mort paraît donc contradictoire à première vue, mais dans l'esprit de Kusanagi, il n'en est rien, et cette scène en elle-même est d'une telle complexité qu'elle mériterait qu'on lui consacre une dizaine de pages entières (Oshii parle aussi de l'importance du plan 'narcissique' dans le reflet de l'eau). Autre élément à noter: Kusanagi insiste aussi sur le fait que son corps ainsi que celui de Batou et de tous ses autres coéquipiers cyborg ne leur appartiennent pas et qu'ils sont la propriété de la section 9, qui le leur fournit avec une maintenance régulière et nécessaire. On comprend alors que Kusanagi se sent prisonnière de cette condition de cyborg et qu'elle cherche à s'émanciper, à vivre sa propre existence en tant qu'être vivant légitime. Finalement, l'élément le plus intéressant reste l'affrontement final dans le muséum d'histoire naturelle envahi par les eaux. On trouve dans cette ultime séquence tous les symboles et les métaphores qui font de 'Ghost In The Shell' une véritable oeuvre d'art à part entière. Tout d'abord, la confrontation entre Kusanagi et le tank se fait dans une galerie consacrée à l'évolution des espèces. Lorsque le tank tire sur l'arbre généalogique des différentes espèces, on constate qu'il ne touche pas l'homme ('hominis'), qui se trouve en haut de l'arbre. Ce plan n'est bien évidemment pas anodin et possède sa propre signification. Tout d'abord, le tank détruit de bas en haut toute la section reliant les origines de l'homme. On pourrait alors interpréter cela comme l'un des éléments traditionnels de la science-fiction, à savoir que la technologie l'emporte sur l'homme et finit souvent par se retourner contre lui. Mais cet acte de destruction semble vouloir signifier un reniement des origines de l'homme, comme si cette destruction représentait un nouveau départ, une renaissance après le chaos. Cette idée se concrétise d'ailleurs avec la fusion entre Kusanagi et le Puppet Master, fusion qui permettra enfin à Kusanagi d'obtenir ses réponses sur l'existence, sur la quête d'une conscience supérieure. On n'est guère loin par moment des théories du surhomme de Nietzsche ou d'autres penseurs de la fin du 19ème siècle.

C'est à ce moment là où le film démontre clairement son orientation mystique et religieuse, lorsqu'un ange de lumière descend sur les deux corps en faisant tomber sur eux des plumes de lumière, symbole de pureté. La symbolique du musé envahi par l'eau est déjà évidente. Les êtres doivent se noyer, se perdre (mourir?) pour pouvoir renaître à une nouvelle ère, comme le démontre clairement le plan final, où Kusanagi se retrouve dans le corps d'une jeune fille après sa 'résurrection'. L'ombre du Christ semble presque planer sur ce plan final, et bien entendu -ce n'est pas non plus un hasard-, Kusanagi cite d'ailleurs un passage de la Bible (plus précisément du 'Nouveau Testament') lorsqu'elle s'adresse à Batou, qui -il faut le préciser- est une sorte d'amant pour elle, mais un amant qu'elle ne peut aimer à cause de son côté trop terre-à-terre, trop matérialiste. C'est d'ailleurs pour cela que le Puppet Master l'a choisi elle et elle seule: il sait qu'ils sont semblables, elle et lui, il sait qu'elle représente une sorte de miroir de son être, qu'elle est la seule à rechercher la même chose que lui, un être complémentaire qui doit s'unir pour concrétiser la naissance d'une nouvelle entité, justifiant ainsi leur besoin d'exister par ce qu'ils ne possèdent pas et que les humains ont: la reproduction. Mais il s'agit plus ici d'une reproduction spirituelle et non charnelle, une reproduction/fusion qui dépasse le simple cadre physique. On pourrait aussi y voir une fusion entre l'homme incarné par l'existentialisme de Kusanagi et la machine incarnée par le Puppet Master, la fusion de l'homme et de la technologie (autre grand thème de la science-fiction). Du coup, on peut une fois de plus se demander qui contrôle qui? Le nom même de 'maître des poupées' n'est pas anodin. Il signifie que le 'Puppet Master' a le pouvoir de contrôler les hommes, donc, la machine a bel et bien dépassé ses créateurs. N'oublions pas non plus cette réplique de Batou qui parle à un moment donné des poupées et précise, en parlant du ghost, que même les poupées paraissent être douées d'une âme, ce qui, une fois encore, n'est pas un élément dû au hasard dans le scénario complexe et génial de ce film. Quant à cette idée d'amour avec Batou, Oshii a décidé de la suggérer avec une discrétion tellement appuyée qu'elle rend cet amour quasi inexistant dans le film. Seuls quelques éléments laissent présager ces sentiments entre les deux cyborgs. L'amour est aussi un élément important ici, mais on aura plus l'occasion d'y revenir en analysant la musique de Kenji Kawai pour le film.

D'un point de vue technique, la mise en scène du film est absolument captivante, d'une part parce que chaque plan semble être parfaitement maîtrisé et recherché (jeu sur les regards, sur la lumière, sur la stabilité méditative de certains plans, etc.), d'autre part parce que les quelques rares scènes d'action du film paraissent bien calmes par rapport à la profonde lenteur du film, qui, si elle peut paraître monotone à première vue, n'en demeure pas moins géniale dans le contexte du film. Par rapport au manga d'origine, Mamoru Oshii a ainsi apporté quelques éléments nouveaux: tout d'abord, Kusanagi est nettement plus froide et plus machinale, débarrassée de tout l'humour qu'elle pouvait avoir dans le manga. Elle passe la majeure partie du film à regard un point fixe, le regard vide et immobile, comme si ses pensées sortaient de la réalité. Mais son côté extrêmement froid et figé contraste avec l'aspect plus vif et parfois espiègle de Batou, ce qui nous permet ainsi de mieux les différencier psychologiquement l'un de l'autre. Ensuite, Oshii a tenu à diminuer les scènes d'action par rapport à la BD de Masamune Shirow en y apportant toutes ces questions philosophiques et métaphysiques. C 'est ce qui explique alors la lenteur de la mise en scène qui apporte un côté méditatif typiquement japonais au film (on pense par exemple aux mises en scène statiques et pourtant vivantes des films de Takeshi Kitano). Comment conclure finalement sur un film d'une telle envergure sans risquer la redondance par rapport à tout ce qui a déjà été dit? En faisant le plus simplement du monde: 'Ghost In The Shell' est un pur chef-d'oeuvre, tout simplement!

La musique de Kenji Kawai a énormément contribué à l'identité et au succès du film de Mamoru Oshii. On retrouve dans 'Ghost In The Shell' tout ce qui fait l'essence même de la musique de cet excellent compositeur japonais: une musique électronique atmosphérique et aérienne traversée de moments plus humains et plus saisissants. Par rapport au film de Oshii, la musique n'a pas vraiment la puissance intrinsèque qui se dégage de 'Ghost In The Shell', mais elle reste malgré tout parfaitement intégré dans cet univers futuriste métaphysique et humain, surtout grâce au fameux et inoubliable thème principal qui se trouve être un chant écrit en ancien japonais. Les paroles du chant introductif de 'Making of a Cyborg' (générique de début du film) ne sont donc guère anodines mais paraissent plutôt énigmatiques à première vue. Traduites en français, cela donne donc: "quand je danse, j'enivre une belle femme. Quand je danse, la lune resplendissante me trouble. Dieu descend du ciel pour assister au mariage et l'aube approche lorsque l'oiseau de nuit chante". Ce chant se caractérise par ses choeurs spirituels chantés d'une manière particulière qui fait penser à une chorale féminine japonaise zen. Il apparaît alors à trois reprises dans le film: pour le générique de début, lors de la création de Kusanagi, au milieu du film lorsque cette dernière se ballade seule dans Hong-Kong, et pour le générique de fin, auquel s'ajoute de manière inattendue un élément qui vient livrer la clé de l'énigme: un chant soliste supplémentaire placé après le choeur, et qui apporte la solution à travers son chant: une invocation shintoïste de Dieu - 'Toho kami emi tame', une sorte d'appel de Dieu par la prière. Sans le savoir, le public occidental possède les clés de la solution à travers ce chant qui en dit bien plus qu'il n'y paraît, et constitue une parfaite balise musicale pour le film. Comme le remarque Bertrand Rougier du quotidien sur le cinéma fantastique 'Mad Movies' dans sa note d'intention sur le DVD de 'Ghost In The Shell', il est amusant de constater que la clé de l'énigme est donné à la fin du générique de fin alors que les spectateurs ont presque tous quittés la salle.

On remarque ainsi que le chant évolue à trois reprises lors de ses trois apparitions dans le film. Dans 'Making of a Cyborg', il est a cappella avec seulement quelques sonorités discrètes proches d'un tambour et d'un tambourin. On notera déjà quelques intrusions de synthétiseurs qui restent encore relativement discret ici. C'est lors de la réapparition de ce thème dans l'excellente séquence de Hong-Kong ('Ghost City - Chant II') que ce chant spirituel zen semble avoir évolué puisque Kawai lui ajoute une section électronique centrale dans un style plutôt new-age/atmosphérique typique de ses créations pour des films de Mamoru Oshii. A l'instar de Kusanagi, le chant semble évoluer au fur et à mesure que la compréhension du Major devient plus claire vis-à-vis de ses interrogations et de ses objectifs. A ce sujet, on pourrait presque penser que ce mélange choeur/synthétiseur pourrait ainsi évoquer le côté à la fois cybernétique du personnage (le synthé) et son côté profondément humain (la chorale féminine), une idée certes caricaturale mais qui tient la route dans le contexte du film. Finalement, c'est lors du final 'Reincarnation - Chant III' que la chorale prend toute sa dimension spirituelle et religieuse comme on a pu le préciser auparavant, avec l'ajout de l'invocation shintoïste à Dieu. C'est aussi le moment où Kawai décide enfin d'utiliser des cordes pour ajouter une dimension humaine à sa pièce, un élément inattendu qui rend ce passage encore plus fort et émouvant pour le final du film.

Le reste du score s'avère malheureusement être nettement moins marquant mais s'affirme dans un registre beaucoup plus atmosphérique qui rend la musique finalement assez difficile d'accès pour tous ceux qui ne sont pas habitués à ce style de musique. Ainsi, 'Ghosthack' reprend les tambours qui accompagnaient le choeur sous la forme d'une pulsation obsédante avec quelques touches électroniques discrète. La musique s'oriente plus ici vers l'idée du bruitage qui apporte une dimension sonore assez particulière au film, une dimension finalement plutôt intense par rapport au film et à ses images fortes. 'PuppetMaster' évoque le personnage que traque désespérément Kusanagi tout au long du film, dans un style toujours très atmosphérique sous la forme de bruitages sonores discrets. On retrouve dans ces morceaux le côté à la fois lent, calme et méditatif du film, même si l'on ressent néanmoins ici une certaine tension sous-jacente dans le côté froid et quasi machinal de ces musiques atmosphériques. Avec cette nouvelle pièce atmosphérique, Kenji Kawai semble vouloir donner un côté quasi immatériel au personnage du Puppet Master, traduit à travers un mélange de sonorités électroniques graves et de sonorités métalliques diverses, parfois proches de l'esthétique de la musique concrète. On retrouve donc ici le côté expérimental de Kenji Kawai que l'on aura l'occasion de retrouver plus tard avec ses participations à des films d'Hideo Nakata.

On trouve un très bref élément mélodique typique de Kawai à la fin de 'Virtual Crime', un élément discret et peu développé mais qui rappelle à quel point le compositeur aime varier ses ambiances dans ses partitions pour des films d'animation (le récent 'Avalon' en est un parfait exemple). Plus marquant, 'Nightstalker' accompagne la scène où Kusanagi se rend au musé à bord d'un hélicoptère, prêt à rencontrer enfin le Puppet Master. On remarquera à quel point le réalisateur apprécie sa musique puisqu'il a même décidé ici de gommer les dialogues et de mettre en retrait les bruitages pour permettre à ce morceau de s'exprimer pleinement de manière étonnante sur la scène. Effectivement, 'Nightstalker' se distingue de par son côté méditatif et mélancolique avec l'utilisation d'une guitare solitaire hispanisante sur fond de synthé new-age. Lorsque l'on aperçoit ses plans de Kusanagi en plein action, qui contraste avec les autres scènes où l'on voit les membres de la section 9 s'activer à la poursuite du commando ayant enlevé le corps cybernétique du Puppet Master, on comprend mieux la soudaine solitude de Kusanagi face à ses propres angoisses, une solitude cachée derrière ses yeux vitreux et son apparence féminine idéalisée. Plus étonnant, 'Floating Museum' accompagne la scène de l'affrontement avec le tank dans le musé inondé d'une manière assez surprenante: plutôt que d'évoquer la violence de la fusillade ou d'avoir recours à des percussions habituelles pour ce type de scène d'action, Kawai a préféré jouer sur un certain décalage qui apporte beaucoup à cette séquence en utilisant un petit motif de synthétiseur tendance new-age qui traverse toute la scène en y apportant un éclairage tellement particulier qu'il en arrive à quasiment gommer le côté brutal de cet affrontement. On ressent dans ce morceau un côté presque mélancolique, et la soudaine apparition d'un choeur féminin au moment où Kusanagi tente de stopper le tank en montant sur son toit crée la surprise et apporte une dimension humaine poignante et inattendue à cette scène. On comprend que Kusanagi tente de se dépasser face à l'adversité, obsédée par ses interrogations existentielles et ses angoisses. Finalement, 'Ghostdive' est l'ultime pièce atmosphérique décrivant la fusion entre Kusanagi et le Puppet Master, où Kawai réutilise les éléments de 'PuppetMaster' en les faisant stagner d'une manière qui peut paraître particulièrement ennuyeuse et monotone si l'on est guère réceptif à ce type de musique (mais l'effet à l'écran reste très réussi, et c'est évidemment le principal).

'Ghost In The Shell' est à l'image du film de Mamoru Oshii un grand classique incontournable d'un point de vue musical. Il s'agit sans aucun doute de l'oeuvre de référence que tous les béophiles citent régulièrement lorsqu'il est question de Kenji Kawai. Pourtant, le score est assez difficile d'accès et paraît moins complexe, moins achevé que le film de Oshii. Le problème vient surtout de l'inégalité des pièces car, en dehors du chant spirituel, le reste tombe dans de l'atmosphérique pas toujours très accrocheur et parfois ennuyeux. En tout cas, l'écoute isolée paraît assez déconcertante et fonctionne bien mieux dans le film, ce qui est évident, bien entendu. Reste que l'on aurait pu s'attendre à quelque chose d'un peu plus fouillé, d'un peu plus approfondi. Ceci étant dit, Kenji Kawai a parfaitement compris toutes les subtilités philosophiques du film et les a magnifiquement restituées à travers sa musique chorale. Le reste du score est là pour apporter un côté plus froid et plus fonctionnel au film, comme lorsque le compositeur décide d'utiliser ces sons électroniques/mécaniques dans ces passages aériens qui concernent le 'Puppet Master'. Cela fonctionne à l'écran, mais cela reste finalement assez fonctionnel et peu intéressant hors du film. Le score de 'Ghost In The Shell' a beau être un classique, il n'en demeure cependant pas moins inégal dans sa conception, inspiré par moment et plus plat à d'autre, mais sans pour autant faire défaut au film de Oshii, loin de là. On se serait cependant peut-être attendu à quelque chose d'un peu plus profond, d'un peu plus fort, un peu comme dans le futur score de Kenji Kawai pour le magnifique 'Avalon' (autre chef-d'oeuvre de Mamoru Oshii). Ceci étant dit, il serait injuste de ne pas considérer le score de 'Ghost In The Shell' comme la preuve flagrante du savoir-faire d'un compositeur japonais qui nous livre ici un score original et très peu conventionnel, loin de toute forme de classicisme européen ou hollywoodien. A l'instar du film de Oshii, le score de Kawai est une oeuvre sans compromis où l'artiste s'est exprimé pleinement, et même si sa musique nous laisse parfois sur notre faim, on ne peut qu'apprécier l'effort du compositeur qui nous livre une vision musicale originale et étonnante de ce film complexe et passionnant à la fois!


---Quentin Billard