Graeme Revell : le néo-zélandais éclectique.
Bonjour, Mr. Revell. Avant de démarrer cet entretien, j’aimerais vous dire que je suis un fan de vos travaux depuis ‘Dead Calm’ (Calme Blanc) et que j’ai écouté beaucoup de vos partitions pour le cinéma et pense définitivement que vous êtes l’un des meilleurs compositeurs officiant à l’heure actuelle à Hollywood. Pourriez-vous tout d’abord nous dire deux mots au sujet de votre passé de musicien en Nouvelle-Zélande et comment vous en êtes arrivé à travailler pour l’industrie du cinéma américain ? Tout d’abord, merci beaucoup, c’est très flatteur pour moi. Je n’étais pas vraiment un musicien en Nouvelle-Zélande. J’ai débuté ma carrière en Australie vers 1977 dans un groupe de rock punk/industriel nommé SPK. Je suis resté en Australie pendant un an ou deux avant de partir en Angleterre. Nous sommes restés avec le groupe en Grande-Bretagne jusqu’en 1984, puis nous sommes revenus en Australie pendant quelques temps, et c’est par un pur concours de circonstances que j’en suis arrivé à faire ‘Dead Calm’. Pour résumer, après avoir passé plus de 3 mois à expérimenter différentes choses pour ‘Dead Calm’, j’ai décidé d’utiliser ce que j’avais écris pour un des albums de SPK que je n’avais pas utilisé auparavant et tout le monde en semblait très satisfait. Votre premier score pour ‘Dead Calm’ (1989) est considéré comme l’une de vos meilleures oeuvres. Pourquoi n’y a t’il pas eu d’édition officielle de cette partition et pensez-vous qu’il y ait une chance pour qu’un label de musique de film envisage de sortir un album de cette musique ? Non, il n’y a aucune chance de voir une édition du score de ‘Dead Calm’ parce qu’il n’y a jamais eu de master original de cette musique. A cette époque, George Miller [NDLR : producteur du film de Phillip Noyce] était particulièrement intéressé par la nouvelle table de mixage Harrison qui venait tout juste de sortir, alors il utilisa en studio le multi pistes de la musique par dessus les effets sonores car il souhaitait créer un univers sonore particulier pour le film où la musique et les effets ne seraient pas vraiment dissociables. Le seul mix musical qui ait jamais existé pour ce film provenait de ce qu’ils avaient fait pour le score où des éléments de la musique apparaissaient de façon très dramatique, à tel point qu’arrivé à la moitié d’un des passages de style opératique l’utilisation de la voix fut abandonnée. Il est donc regrettable que le seul enregistrement que j’ai put conserver soit une bande magnétique d’un quart de pouce. Je pense que je reprendrai un jour le score entier et le rebâtirai dans le cadre d’un nouveau travail. Vous avez débuté dans le monde des films d’horreur au tout début des années 90 avec des scores tels que ‘Spontaneous Combustion’, ‘Child’s Play 2’ et ‘Psycho IV’. Ces scores n’ont pas été édités, à l’instar de ‘Dead Calm’, mais pour certaines personnes, c’étaient de grandes partitions pour des films bien médiocres. Y a t’il ainsi une chance de voir un jour apparaître une édition album de ces musiques ? Je ne pense pas. Je suis le genre de personne qui n’aime pas trop revenir sur son passé. J’ai tellement de choses que j’aimerais faire que je n’ai simplement pas le temps de m’occuper de tout cela, et même si je retrouvai ces scores -si je les avais en ma possession- je ne suis même pas certain que je m’en occuperai. Ces scores étaient pour moi des tentatives d’essai en attendant de travailler sur de bien meilleurs projets, et je ne ressens pas le désir de sortir des albums de ces musiques. Récemment, vous avez renoué avec le genre des musiques de film d’horreur pour des films tels que ‘Bats’ (La nuit des chauve-souris) et ‘Bride of Chucky’ (La fiancée de Chucky). Portez-vous un intérêt particulier pour ce type de musique horrifique? J’aime les films de genre et les films d’horreur en font partie. Leur palette musicale est généralement très large. Vous pouvez expérimenter avec les sons les plus bizarres, même s’il s’agit d’instrument acoustique traité de façon très particulière. Il me semble que ‘Bats’ fut crée majoritairement à partir d’un violoncelle soliste. C’était du moins la première expérimentation musicale que j’ai mené sur ce film. D’autre part, j’ai adoré faire ‘Bride of Chucky’ parce que j’aime l’idée que les films d’horreur se parodient eux-mêmes aujourd’hui. C’est tellement agréable de rire un peu. En 1991, vous avez aussi travaillé avec Wim Wenders sur ‘Until the End of the World’. En 1993, vous avez de nouveau collaboré avec Wenders sur ‘Faraway, so Close!’. Comment avez-vous réussi à travailler avec un réalisateur aussi réputé que Wim Wenders ? Je suppose que cela a du être une grande expérience pour vous de collaborer avec ce grand réalisateur au moment où vous débutiez votre carrière dans la musique de film ? J’étais très excité à l’idée de travailler avec Wim Wenders. J’adore ses films, plus particulièrement ‘Wings of Desire’, qui reste d’après moi l’un des meilleurs films de tous les temps. Je m’étais déjà familiarisé avec ses films bien avant de commencer à travailler pour lui. Ce fut une grande expérience. La chose que je retiens au sujet de Wim c’est que son film, sa vie et ses passions sont tous connectés les uns aux autres. Il n’y a aucune différenciation de faite entre sa vie de tous les jours et sa vie en tant que metteur en scène. J’ai une haute estime pour cela. Dans un sens, ses films sont une sorte de chronique de tout ce qu’il pense et ressens dans sa vie. C’était vraiment génial de faire partie de cela, et dans ses films, tout ce qu’il essayait de faire était très inspirant. En 1992, vous avez écrit une de vos premières partitions thriller pour ‘The Hand that Rocks the Cradle’ (La main sur le berceau) de Curtis Hanson. J’ai relevé quelques similitudes avec la musique du ‘Silence of the Lambs’ (Le silence des agneaux) d’Howard Shore dans certains passages de votre partition. Je suppose que cette musique était présente dans le temp-track du film. Que pensez-vous des temp-tracks ? Est-ce un problème pour vous ou considérez-vous au contraire cela comme un bon outil permettant de stimuler la créativité? Au sujet de ‘The Hand that Rocks the Cradle’, vous avez raison. Le temp-track (bande son provisoire) fut largement monté à partir de segments de ‘Silence of the Lambs’ et, il me semble, de ‘Sleeping with the Enemy’ de Jerry Goldsmith. Mais j’ai très vite rencontré quelques difficultés. C’était plus ou moins mon premier film hollywoodien populaire. Le réalisateur s’était particulièrement entiché des bandes sons provisoires. Ce fut extrêmement difficile pour moi de m’éloigner de ce temp-track. Même la moindre note montant ou descendant quand le temp-track allait dans la direction opposée devenait une source de questionnement. Ce fut la seule fois où j’ai du faire face à cette difficulté et j’en ai tiré quelques leçons. Depuis, je n’ai aucun problème à écouter des temp-tracks et à m’en éloigner. La seule chose que je n’aime pas c’est lorsque mes propres musiques sont montées dans le temp-track. Ce qui se passe le plus souvent, si cela fonctionne et que je dois écrire la musique, c’est le risque de réécrire de nouveau la même chose, et je préfère vraiment ne jamais avoir à le faire. ‘The Crow’ (1994) fut l’un de vos plus grand succès. Comment analysez-vous la réussite de cette musique ? Comment avez-vous travaillé sur ce film et quels souvenirs gardez-vous de cette partition ? ‘The Crow’ fut probablement le premier projet sur lequel on me laissa un maximum de liberté. C’était un film se déroulant dans le futur sans la moindre indication qui permette de savoir à quoi cela allait ressembler. Ce fut donc très agréable d’utiliser tous les éléments de musique du monde avec quelques touches de trompette jazzy et de rock’n roll mélangés dans un même univers. La chose que j’ai le plus apprécié c’est que, lorsque Brandon Lee a malheureusement été tué [NDLR : au cours d’une scène du film, Brandon Lee devait se faire tirer dessus par un pistolet à balle à blanc, mais l’arme en question contenait en réalité de vraies balles et l’acteur périt à la suite de cet accident tragique durant le tournage du film], le film est devenu plus puissant. C’était pour moi très important d’écrire une petite élégie pour cordes dédiée à son personnage, qui le rendit encore plus poignant. J’ai du y mettre un peu de mon argent, mais cela en valait vraiment la peine. J’ai écrit une pièce pour cordes avec une chanteuse et un duduk arménien. C’était vraiment génial. Le milieu des années 90 fut définitivement pour vous l’ère des musiques d’action et d’horreur/thriller. Vous avez écrit quelques œuvres plus mineures telles que le tendu ‘Ghost in the Machine’ (1993), le sérieux mais humoristique ‘Street Fighter’ (1994) ou bien encore le gros score symphonique pour ‘Mighty Morphin Power Rangers : The Movie’ (1995). ‘Power Rangers’ est certainement l’une de vos premières grandes partitions orchestrales écrites pour un film. Etait-ce vraiment différent de travailler sur ce film et comment vous y êtes vous pris pour écrire cette grande partition orchestrale? En fait, ‘Child’s Play 2’ était déjà écrit pour un gros orchestre, mais ‘Power Rangers’...mes enfants étaient encore jeunes à cette époque et c’était très amusant de faire ce film parce qu’ils voulaient aller à la première, il me semble, ou c’était un ami de mes enfants, je ne m’en souviens plus très bien. Mais cela ne posa aucun problème. Ma seule déception provient du fait que la Fox nous demanda d’enregistrer la musique dans le nord de l’Australie. L’orchestre n’avait pas l’habitude de jouer des musiques de film et la pièce utilisée pour l’enregistrement était d’une qualité médiocre. C’était assez décevant du point de vue de la qualité sonore. Mais ce fut néanmoins une bonne expérience pour apprendre à travailler dans ces conditions. Corollaire de cette question, aviez-vous déjà une expérience de la musique orchestrale et de l’orchestration avant de travailler sur de pareils projets? Etait-ce un nouveau monde pour vous, sachant que vous venez de la musique industrielle de SPK? C’était un monde totalement nouveau pour moi. Je n’avais encore jamais travaillé avec un orchestre. C’était amusant. Quand j’ai fait ‘Dead Calm’, je ne savais même pas qu’il existait des orchestrateurs ou des copistes alors j’ai tout fait moi même. J’ai écrit chacune des parties pour la totalité du score. C’était une bonne façon d’apprendre et les choses semblaient bien marcher. Quand je suis allé aux Etats-Unis, j’ai découvert une description de travail. Alors j’ai fini par faire moi même une partie du boulot tout en confiant une autre partie à mon fidèle collaborateur [NDLR : Tim Simonec, orchestrateur attitré de Graeme Revell]. En 1996, vous avez rencontré Robert Rodriguez avec ‘From Dusk Till Dawn’ (Une nuit en enfer). J’ai relevé quelques similitudes avec le ‘Requiem Polonais’ de Penderecki. Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de cette excellente partition horrifique avec ses choeurs en latin ténébreux, qui rappelaient une fois encore votre style musical horrifique que vous semblez tellement apprécier ? C’est extrêmement bien que vous ayez pu relever la similitude avec le ‘Requiem Polonais’, parce que lorsque j’ai rencontré Robert je lui ai exprimé mon envie d’écrire un opéra Mariachi. Il me répondit que ce serait vraiment cool et j’ai très vite su que je venais de rencontrer un nouvel ami qui partageait mes idées. Il est venu dans mon studio et je lui ai montré une façon plutôt sympa de travailler à partir d’éléments disparates. En fait, je lui ai même fait entendre quelques passages du ‘Requiem Polonais’ par dessus d’autres types de chants latin de style opéra. Je lui ai montré la façon dont on pouvait couper ces éléments et les modifier par endroit. Nous sommes ensuite allé dans l’Utah où nous avons enregistré avec un orchestre et un vrai choeur. Il m’a dit depuis qu’il avait vraiment apprécié cette façon de travailler et qu’il l’avait incorporé dans son propre style. Récemment, vous avez de nouveau travaillé avec Rodriguez sur ‘Sin City’, avec John Debney et le réalisateur en personne, ainsi que sur le nouveau film de Rodriguez, ‘The Adventures of Sharkboy and Lavagirl in 3-D’. Je crois que c’est votre première collaboration avec d’autres compositeurs de musique de film, comme sur ‘The Insider’ (Révélations) de Michael Mann (1999), pour lequel vous avez écrit de la musique additionnelle. Comment avez-vous collaboré avec messieurs Debney et Rodriguez ? Etait-ce un nouveau défi pour vous? Je n’ai pas vraiment travaillé conjointement avec John Debney ; en fait, pas du tout même. Avec Robert, je suis allé à Austin, TX et il m’a montré quelques segments de thèmes qu’il avait écrit. Il voulait incorporer ces thèmes, qui constituaient en fait le ‘Sin City Theme’, dans un ou deux segments de ma musique. J’étais très content de faire ça. J’ai vraiment beaucoup de respect pour Robert, y compris en tant que compositeur. Il m’a dit qu’il voulait que les trois parties musicales dans le film, en dehors de ce thème, soient toutes séparées. Plus tard, Wolfgang Amadeus, l’ingénieur du son de John qui travaille quelques fois avec moi, m’a appelé et m’a dit qu’ils allaient alléger la musique avec quelques parties de cordes et si je souhaitais venir pour que ma partie y soit superposée à celle de John durant la session. J’ai répondu non, car je voulais que nos parties soient totalement séparées par respect pour la vision de Robert. J’apprécie le travail de John et cela n’a rien de personnel. Je voulais juste dans ce cas précis rester complètement à part. Cela semblait fonctionner parfaitement. Certaines personnes m’ont dit que nous aurions du collaborer davantage ensemble car nos travaux sont très discontinus. C’est un heureux résultat! Avec ‘The Saint’ (1997) et ‘The Negotiator’ (1998), vous avez prouvé à tous que vous étiez définitivement un grand compositeur de musique d’action. Hans Zimmer, qui est généralement considéré comme un spécialiste dans ce domaine, a aussi écrit quelques grandes partitions d’action au milieu des années 90. Les rythmiques électroniques de ‘The Saint’ et ‘The Negotiator’ semblent avoir été quelque peu influencées par Media-Ventures (le studio musical de Hans Zimmer, fondé en 1989 avec Jay Rifkin). Connaissez-vous personnellement Hans Zimmer, qui est un spécialiste de la musique électronique et des synthétiseurs, et que pensez-vous de ses travaux pour le cinéma d’aujourd’hui? J’apprécie son travail. J’aime certains de ses scores plus que d’autres, mais c’est ce que je dis aussi de mes propres œuvres. Pour tout ce qui concerne les parties électroniques, je n’ai vraiment pas été influencé par Hans Zimmer. Je trouve que ses travaux sonnent toujours un peu ‘années 80’. J’espère que mes œuvres sont plus proches des années 90 en terme de rythmiques, techno ou électro. Dans ‘The Saint’, j’essaie de me rapprocher le plus des années 60 avec ce score car c’était à l’origine une série TV britannique de cette époque. De toute façon, mon but est de me différencier moi-même des autres personnes. J’essaie d’éviter à tout prix que ma musique ressemble à celle de quelqu’un d’autre. Pourriez-vous nous dire quelques mots au sujet de votre mauvaise expérience sur ‘The 13th Warrior’ (Le 13ème guerrier) de John McTiernan? Que s’est il passé exactement? Pourquoi votre partition a t’elle été entièrement rejetée? Ce qui s’est passé c’est que John McTiernan, le réalisateur, avec lequel je n’avais pas vraiment collaboré étroitement, ne s’est pas beaucoup investi dans la musique, et se retira lui-même du film lors de la post production. Michael Crichton en reprit très vite les rennes, et je pense qu’il n’écouta même pas mon score. Quand il s’empara du projet, je crois qu’il a simplement décidé que son ami Jerry Goldsmith devrait être le compositeur, point final. Je n’ai jamais vraiment considéré cela comme un rejet et je ne pense pas qu’il y ait eu quelque chose d’inférieur dans ce score, et je suis assez content d’en être toujours le propriétaire. Corollaire de cette question, avez-vous entendu le score de Jerry Goldsmith et que pensez-vous de sa partition pour ‘The 13th Warrior’? C’était bon, un peu différent, beaucoup plus traditionnel que mon score, et je n’ai pas trouvé que le film nous rendait justice, autant à l’un comme à l’autre. Ce fut en tout cas mes impressions finales sur ce film. En 2000, vous avez écrit la musique de ‘Pitch Black’ de David Twohy. Vous avez aussi travaillé avec le réalisateur sur son second opus, ‘The Chronicles of Riddick’ et sur la sinistre partition pour ‘Below’ (Abîmes). Personnellement, j’ai un faible pour le mystérieux thème de ‘Below’, ces 9 notes sont absolument parfaites dans le film! Vous semblez avoir trouvé un nouveau collaborateur en la personne de David Twohy, n’est-ce pas? Oui, je le pense, nous sommes très proches et nous communiquons très facilement. David étant un réalisateur scénariste, il possède un talent certain dans la communication et ne gaspille jamais ses mots à m’expliquer ce qu’il attend de moi, et, lorsque je fournis mon travail, il en est toujours très satisfait. Il n’y a aucune indécision avec David, et c’est ce que j’apprécie chez lui. Il s’intéresse aussi beaucoup à la science et s’approprie tout ce qui peut lui être utile. C’est une bonne collaboration. La même année, vous avez écrit la musique pour votre premier film d’animation, ‘Titan A.E.’. Etait-ce un nouveau défi pour vous d’écrire de la musique pour un film sans acteur en chair et en os? Est-ce que le processus de création musical est différent sur un dessin animé ? A t’on une chance de voir un jour une édition officielle de cette musique? ‘Titan A.E.’ était assez simple. Je pense que lorsqu’on compose pour un film d’animation, en dehors de ce que l’on appelle le ‘Mickey Mousing’ qui est une approche musicale plus enfantine, c’est la même chose qu’écrire de la musique pour un film avec de vrais acteurs. Nous allons maintenant parler de votre expérience sur ‘Lara Croft Tomb Raider’ (2001). Je sais que la production a rejeté le premier compositeur et ne vous a offert que très peu de temps pour composer la musique du film. Je sais aussi que c’est une chose de plus en plus fréquente aujourd’hui à Hollywood (à l’instar de ‘The 13th Warrior’). Comment avez-vous réussi à écrire le score de ‘Tomb Raider’ en si peu de temps et que pensez-vous de ces problèmes de rejets systématiques à Hollywood? Le principal problème des rejets c’est que les producteurs engagent bien souvent la mauvaise personne au premier abord. Ils parcourent une liste de gens qui ont écrit de la musique pour des gros succès au box office et des films qui ont été nominés aux Oscars et juste parce que c’est arrivé, ils pensent que cette personne là est plus appropriée qu’une autre pour faire ce travail, et quelque fois, on assiste à certaines des décisions les plus grotesques alors que tout le monde sait qu’au bout de six semaines environ, ce travail échouera à quelqu’un d’autre. C’est agaçant car on aimerait que les gens puissent comprendre qui il faut engager et pourquoi, et quelle chance on aurait ainsi d’avoir un meilleur score, bien plus intéressant. C’est donc la raison principale de tout cela, et parfois, vous pouvez rencontrer quelques difficultés de communication lorsque le réalisateur se bat avec le studio et sa politique. Et parfois, vous n’avez que très peu de temps pour faire quelque chose. Dans le cas de ‘Tomb Raider’, c’était 10 jours du début jusqu’à la fin. J’ai simplement reçu le scénario sur lequel nous avons travaillé en entamant une véritable course contre la montre, alors que j’avais un studio où ils étaient en train d’écrire, un autre où ils étaient en train de faire le mixage, et encore un autre équipé d’une connexion satellite avec Londres où l’on était en train d’enregistrer dans leurs studios, en downloadant et uploadant sur des lignes T1 pour renvoyer les morceaux à L.A. afin d’assurer le mixage. C’était un défi technique intéressant. Je n’ai pas dormi une seule fois durant tout ce temps, à tel point que je ne me souviens plus de grand chose à ce sujet. Le film marche bien, et quand je réécoute le score, je le trouve correct. ‘Out of Time’ (2003) était une partition épatante. C’est la première fois que vous écrivez une musique aux touches cubaine/jazz/Amérique du sud. Je sais que vous êtes un passionné de musique ethnique, comme ‘The Crow’ (avec le mystérieux et envoûtant duduk arménien), les sonorités orientales de ‘Dune’ ou les samples de chants tribaux ethniques de ‘No Escape’ (Absolom 2027). Je suppose que travailler sur une musique exotique comme dans ‘Out of Time’ fut particulièrement enthousiasmant pour vous? C’était vraiment très amusant! C’est aussi excellent de pouvoir conserver un côté mélodique tout au long du score, parce que bien souvent je dois estomper le côté musical dans ce que j’écris, afin de pouvoir m’adapter par la suite à l’environnement sonore, un style de score atmosphérique plus indirect. C’est pourquoi ‘Out of Time’ était vraiment génial! J’ai écris quelques démos pour Carl Franklin, et à ce sujet, j’ai une anecdote amusante à vous raconter: le jour où il est venu au studio, j’avais cinq ou six interprètes cubains en train d’enregistrer le score, et c’est alors qu’il a dit « oh mon dieu, pouvez-vous faire ça? Pouvez-vous faire une musique de ce genre? » et j’ai répondu « mais j’ai écris cela pour une de vos démos! » et il m’a répondu « oh, je pensais que vous veniez de trouver ça quelque part sur un album et que vous me l’aviez envoyé. Vous avez écrit ça dans une démo pour moi ? Oh bon sang ! » Il eut un bref moment d’inquiétude. Je me dis alors qu’il va approuver ce morceau, et il est en train de me regarder avec un air catastrophé. C’était vraiment génial de travailler avec ce type de musiciens. En fait, c’est le meilleur moment dans ce métier, lorsque l’on collabore avec des musiciens incroyables venus du monde entier. Vous avez six cubains dans une pièce, et le gros problème c’est de les faire s’arrêter de jouer. Une fois qu’ils sont pris dans le rythme, on ne peut plus les arrêter. J’ai lu quelque part que vous vous étiez attelé à l’écriture d’un script. Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet? Cela s’appelle ‘The Tear Garden’. C’est l’histoire de mes débuts dans mon groupe quand j’étais aide-soignant dans un hôpital psychiatrique. ‘Working Title’ devait faire le film pendant un an, mais malheureusement, ils ont changés d’avis et ont abandonnés le film. Mais nous sommes de nouveau en train de vendre le script. Je travaille avec certaines personnes de MTV à l’heure actuelle, cela pourrait tout à fait leur convenir. Vous avez été engagé sur le remake du film de John Carpenter ‘The Fog’, réalisé par Rupert Wainwright. Avez-vous commencé à écrire la musique du film et à quelle sorte de musique allons-nous avoir à faire? C’est un film d’horreur conventionnel, avec bien moins de mélodie que je l’aurais souhaité. La vision de Rupert Wainwright était plus portée sur le naturel. Le brouillard est un phénomène naturel, alors je m’en suis rapproché en utilisant des effets sonores. ‘The Fog’ est entièrement porté par la musique au détriment des effets sonores, alors mon travail a occupé une bonne place sur la bande sonore du film. J’aimerais maintenant que l’on parle de votre nouveau projet, votre premier score pour un jeu vidéo, ‘Call of Duty 2’. Après l’horreur, le thriller, la comédie, le drame, l’action, l’aventure et le film d’animation, vous avez écrit un score pour un jeu vidéo! Cela prouve votre incroyable éclectisme! Quel sorte de score avez-vous écrit pour ‘Call of Duty 2’ et comment vous y êtes vous pris pour composer la musique de ce jeu vidéo ? Y a t’il plus de liberté pour la création musicale sur ce type de support? Oui, c’est un petit peu confus à cause du fait que cela m’a pris un peu de temps pour tout comprendre, et je ne sais toujours pas comment ils ont montés mes fragments musicaux que j’ai écris, car cela dépend de la vitesse à laquelle le joueur joue au jeu et à la vitesse à laquelle il appuie sur les commandes durant la scène étant donné que chaque joueur le fait à des vitesses différentes. Parce que c’est ‘Call of Duty’, il s’agit d’un gros score d’action épique sur la seconde guerre mondiale. Rien d’ultra original, juste quelque chose de satisfaisant. Afin de conclure cet entretien, j’aimerais vous dire que je suis toujours aussi épaté par votre éclectisme et la qualité de vos musiques. Comment faites-vous pour trouver toute cette énergie afin de composer des musiques pour des projets aussi divers? Ecrire de la musique, ce n’est qu’une histoire de notes. C’est toujours un défi, que ce soit une nouvelle vidéo ou un nouveau film. Ceux qui s’en sortent le mieux dans ce métier ont une sorte de synesthésie où l’on entend quelque chose au moment où l’on voit quelque chose. Quand je regarde une vidéo vierge sans aucun son, j’entends immédiatement le score et pour moi, à chaque fois, c’est un score différent parce qu’il s’agit d’un film différent. L’autre chose que j’apprécie dans ce métier c’est que j’aime tous les styles musicaux, sans en exclure un seul, et je trouve toujours un moyen d’en glisser un différent dans chaque film. Par exemple, je travaille actuellement sur ‘Aeon Flux’, et je suis le troisième compositeur engagé sur ce film. Cela se passe en l’an 2400, alors je dois me projeter dans un nouvel univers afin d’essayer de trouver quelque chose qui ne trahira pas le film. Plus d’une dizaine d’années dans la musique de film…vous avez acquis une grande expérience! Ainsi, la sempiternelle question conclusive, avez-vous un projet de ‘rêve’ pour l’avenir? Mes projets de rêve concernent plutôt les drames excentriques et réellement intéressants, peut-être même un peu intellectuel. J’adore les films de Spike Jonze et Charlie Kaufman. J’ai été un peu déçu lorsque j’ai travaillé sur ‘Human Nature’ de Michel Gondry et Charlie Kaufman. Ces films n’ont pas très bien marché. Si cela avait été le cas, j’aurais sans aucun doute été plus souvent engagé sur ce type de film. Ceux-ci ou les comédies sont les films que je choisis toujours d’aller voir lorsque je vais au cinéma. Cela pourrait être en tout cas vraiment bien! Merci Mr. Revell pour m’avoir accordé un peu de votre temps. J’espère que vous continuerez à nous offrir de grandes musiques de film! Entretien réalisé par Quentin Billard Traduit de l'anglais par Quentin Billard Remerciement: Tom Kidd de chez Ray Costa Communications. |