Elliot Goldenthal
Voilà un musicien passionnant au style parfaitement reconnaissable, qui revendique depuis plus d’une décennie déjà un goût très prononcé pour le style avant-gardiste de la musique savante ‘contemporaine’ du 20ème siècle. Au cours de sa jeunesse, Goldenthal étudia auprès de deux grands noms de la musique américaine, Aaron Copland et John Corigliano. Ce dernier eu une influence décisive sur la personnalité musicale d’Elliot Goldenthal, qui exprima très rapidement son goût pour les expérimentations musicales et le retour à un style avant-gardiste qui commençait à disparaître à une époque où les musiciens savants revendiquaient alors leur appartenance au courant de la néo-tonalité. Diplômé de la Manhattan School of Music avec un prix de composition, Goldenthal se tourna très vite vers la musique de concert en écrivant pour grand orchestre, orchestre de chambre et pièces vocales. En 1979, Goldenthal se laissa tenter par l’expérience du cinéma en écrivant la musique d’un petit film modeste, ‘Cocaine Cowboys’ du réalisateur allemand Ulli Lommel avec Jack Palance et Andy Warhol. En 1980, Goldenthal rencontra sa future femme, la cinéaste Julie Taymor avec laquelle il partage le même goût pour le grotesque, et qui travaille depuis plusieurs années déjà dans le monde du spectacle. Goldenthal et Taymor vivent toujours ensemble et collaborent ensemble sur des mêmes films, mais ils ne sont toujours pas mariés.

En 1989, Goldenthal signe la musique de ‘Pet Sematary’ de Mary Lambert, film d’horreur inspiré de Stephen King qui lui permet d’exprimer son goût pour les atmosphères atonales et macabres et les effets orchestraux avant-gardistes et expérimentaux, malgré un générique de début quasi calqué sur l’ouverture de la partition de ‘The Amityville Horror’ de Lalo Schifrin (1979). Encore quelque peu impersonnelle, cette partition étrange et macabre permet néanmoins à Goldenthal de se voir offrir d’autres projets tels que ‘Drugstore Cowboy’ de Gus Van Sant (1989) pour lequel il signe une musique électronique particulièrement étrange, suivi du téléfilm ‘Criminal Justice’ (1991) avec Forest Whitaker et Anthony LaPaglia, ‘Grand Isle’ de Mary Lambert (1991) avec Kelly McGillis et le téléfilm ‘Fools of Fire’ (1992) de sa femme Julie Taymor, d’après une nouvelle d’Edgar Allan Poe, qui marque leur première collaboration cinématographique. C’est finalement avec le fameux ‘Alien 3’ de David Fincher composé la même année que Goldenthal se fera définitivement connaître du grand public, l’imagination du compositeur se déchaînant dans ce qui reste aujourd’hui encore son plus grand chef-d’oeuvre, une oeuvre sauvage, brutale, noire, belle, tragique, spirituelle et pessimiste où se mélangent orchestre symphonique, chants religieux quasi grégoriens, synthétiseurs atmosphériques étranges et même un bref passage de type trash/metal. Avec ‘Alien3’, Elliot Goldenthal annonçait déjà le style de ses futures grandes partitions et posait définitivement les bases d’un style indissociable du compositeur, fait de cuivres stridents et agressifs, d’élans orchestraux massifs et virtuoses, de classicisme ambigu teinté d’expérimentations sonores diverses et variées, etc. Partition colossale, poignante et terrifiante, la musique de ‘Alien3’ allait exercer une très grande influence sur la majeure partie des compositeurs hollywoodiens de la seconde moitié des années 90, en particulier à cause de son utilisation assez innovante de chants religieux plaqués sur un fond sonore souvent macabre et agressif. Des musiciens tels que John Debney, Hans Zimmer ou Don Davis n’hésiteront pas par la suite à balancer de-ci de-là des ‘agnus dei’ ou des voix de soprano dans leurs compositions en réminiscence aux expérimentations assez insolites de Goldenthal sur ‘Alien3’. Par la suite, Goldenthal signera quelques partitions mineures comme le frénétique mais très fun ‘Demolition Man’ (1993), ‘Golden Gate’ (1994), la musique électronique pour le téléfilm ‘Roswell’ (1994) avec Kyle MacLachlan et Martin Sheen avant de nous offrir un deuxième grand chef-d’oeuvre pour ‘Interview with the Vampire’ (1994) pour lequel Goldenthal débuta sa collaboration avec le réalisateur Neil Jordan. ‘Interview with the Vampire’ permet au compositeur de reprendre et de développer ses formules musicales héritées de ‘Alien3’ en réaffirmant une fois encore son goût pour le langage atonal, une écriture foncièrement avant-gardiste et des éléments vocaux religieux et gothique dans la lignée de son précédent chef-d’oeuvre. En l’espace de deux partitions écrites entre à peine deux ans d’écart, Elliot Goldenthal aura finalement réussit à se faire connaître du grand public en ayant son nom auprès des autres grands compositeurs d’Hollywood.

S’en suivent alors une série de productions hollywoodiennes diverses telles que ‘Batman Forver’, ‘Heat’, ‘A Time to Kill’, ‘Michael Collins’ ou bien encore le frénétique ‘Sphere’, l’atypique et étrange ‘The Butcher Boy’ ou le délirant et grotesque ‘Titus’ pour sa nouvelle collaboration avec Julie Taymor sur une adaptation modernisée et extrêmement violente du chef-d’oeuvre de William Shakespeare. Goldenthal renouvelle son goût pour la composition de grosses partitions d’action extrêmement massives avec le ‘Sphere’ de Barry Levinson et surtout ‘Final Fantasy: The Spirits Within’ (2001), film d’animation adapté de la célèbre série de jeux vidéos de chez Squaresoft (mis en musique par le grand Nobuo Uematsu). A l’inverse du style éclectique et immensément riche des musiques de Uematsu pour les divers épisodes des ‘Final Fantasy’, Goldenthal opta pour une approche orchestrale/chorale gigantesque et extrêmement massive, utilisant le célèbre LSO avec une formation de plus de 110 musiciens (presque un record pour une musique de film de ce genre!). C’est aussi une fois encore l’occasion pour le compositeur de nous rappeler qu’il fut autrefois l’élève de John Corigliano, de qui il a hérité ce même goût pour les effets orchestraux brutaux et frénétiques (cf. la BO de ‘Altered States’ de Corigliano) et une même maîtrise de l’orchestre symphonique. Goldenthal nous dévoile aussi dans ‘Final Fantasy’ quelques touches de wagnérismes qui rappellent que le compositeur a aussi une formation classique solide à son actif et a un lien plus qu’évident avec le postromantisme allemand de la fin du 19ème siècle comme nous le prouve par exemple le magnifique final très wagnérien d’esprit de ‘Titus’. Goldenthal retrouva ensuite Neil Jordan sur ‘The Good Thief’ avant d’enchaîner sur le film d’action ‘S.W.A.T.’ avec un score orchestral/rock plutôt fonctionnel. Avec 'Frida' de Julie Taymor (2002), Goldenthal voit enfin son talent justement récompensé par l'académie puisqu'il remporte pour la première fois de sa carrière l'oscar de la meilleure musique de film avec cette évocation biographique émouvante de la vie et de l'oeuvre de la célèbre peintre mexicaine Frida Kahlo. Entre temps, Goldenthal a aussi composé quelques brillantes musiques de concert telles que le ballet ‘Othello’ (1997), l’oratorio ‘Fire Water Paper, a Vietnam Oratorio’ écrit et crée en 1996 pour fêter les 20 ans de la fin de la guerre du Viêt-Nam, la musique pour une production de Broadway ‘The Green Bird’ (1995) sans oublier la musique pour une production théâtrale de Julie Taymor intitulée ‘Juan Darién: A Carnival Mass’, qui remporta un grand succès auprès des critiques. Goldenthal a écrit bien d’autres musiques de concert et continue de privilégier en parallèle sa carrière de musicien pour le cinéma, offrant à l’un comme à l’autre toute la mesure de son talent et d’une personnalité musicale forte, imprégnée dans une culture musicale à la fois classique et résolument moderne. A une époque où bon nombre de musiciens hollywoodiens ont tendance à manque cruellement d’originalité et d’inventivité, Elliot Goldenthal est là pour rappeler que la musique de film est toujours vivante et qu’elle doit constamment être défendue par des artistes intègres qui ne doivent pas hésiter une seule seconde à transmettre toute leur passion et leur art aux artisans du septième art!